Les Européens aisés qui recherchent un hiver plus doux vont souvent s’installer pendant un mois ou deux sur les bords de la Méditerranée ou sur une de ses îles, c’est bien connu. Et à la télévision, tout le monde a déjà vu - et peut-être même envié – ces foules de promeneurs qui défilent sur les bords de mer en un va-et-vient presque voluptueux. Ce que beaucoup ne savent pas cependant, c’est que la réalité est légèrement différente : entre mer et maquis, en hiver, on a souvent froid.
J’en ai eu le soupçon pour la première fois lorsqu’une de mes collègues, de retour d’un voyage en Israël au mois de février, m’a raconté qu’elle avait terriblement souffert du froid, érigeant en maxime son expérience frileuse : en hiver on n’a jamais aussi froid que dans les pays chauds (ou presque). La deuxième fois, cela s’est passé lors de mon premier voyage à Malte. Nous étions au mois de novembre, et ce voyage, improvisé au dernier moment, nous avait fait descendre au sud de l’Italie en deux jours. Après avoir dépassé les premières neiges du Val d’Aoste, en Calabre où nous devions nous embarquer pour La Valette, nous avions trouvé un temps gris et pluvieux, humide, bien différent de ce à quoi nous nous attendions. La Calabre ou Malte, c’était exactement pareil. Même les draps de l’hôtel étaient humides quand on s’y enfilait. Il faisait 18°, et il était inutile de chercher un lieu plus confortable, si ce n’est une place au soleil quand il réapparaissait, encore chaud, au cours d’une de ces journées splendides aux couleurs violentes où la mer, tiède, accueille avec bonheur le touriste retardataire.
Entre mer et maquis, Noël est très souvent au balcon, même si fin novembre ou début décembre, les fenêtres se sont fermées pendant quelques jours durant la première tempête. Mais quand janvier arrive, le froid s’insinue partout, et vivre au bord de la Méditerranée ne ressemble plus tellement à la promenade béate des touristes de la Croisette, mais plutôt à un jeu d’astuces pour repousser les assauts de sa morsure, ignorée aussi bien par les habitudes que par les constructions, conçues pour l’été. Pas de double parois ni de double vitres, mais un chauffage fantaisiste et intermittent, qui, dans les mentalités, n’est pas indispensable.
En effet, quand il fait 15° dans un appartement parce qu’au dehors il fait 10° ou que le thermomètre descend même un peu plus bas sous la violence du mistral ou de la tramontane qui bouscule les piétons transis et dévie les voitures, et que la mer, devenue une véritable furie, détruit les ports et écrase ou retourne les embarcations, aucune conduite d’eau ne gèle, aucun tuyau ne saute, et les gens réussissent, sans courir de danger, à se défendre contre le froid. Cela ne dure pas très longtemps, mais en attendant le retour de la chaleur, les maisons et les appartements où les pièces sont grandes et hautes de plafond pour permettre une meilleure ventilation en été, se muent en glacières. Les corps s’engourdissent, les membres se raidissent, les mains deviennent maladroites et les nez commencent à couler. Dans les nouveaux immeubles, où depuis un peu plus de vingt ans, on a finalement installé un chauffage central ou individuel centralisé afin de sacrifier à la modernité, tout va bien tant que l’installation est neuve, mais dès qu’elle tombe en panne, chacun est obligé de revenir aux vieux systèmes et de se débrouiller comme il peut, car le plus grand nombre rechigne face aux devis trop élevés, à faire une dépense jugée inutile. Les seuls refuges tempérés sont alors les grands magasins et les supermarchés, car les bureaux et les boutiques laissent souvent leurs portes ouvertes.
Alors, pendant deux ou trois mois – tout dépend de la rigueur de l’hiver – la majorité endosse des sous-vêtements de laine, deux ou trois pulls l’un sur l’autre, le classique habillement à « pelures d’oignon » qui annule les silhouettes. Ensuite tout le monde « trafique » avec les chauffages les plus divers. Cela va du radiateur à gaz (faire le fournisseur de bonbonnes à domicile est un métier qui rend bien) au convecteur électrique (dont la consommation est très coûteuse hors de France) qu’on déplace d’une pièce à l’autre. Sans oublier les bouillottes, dessus de matelas et pantoufles chauffantes, draps de flanelle et chaussons de lit. Les cheminées sont assez rares sauf dans les vieilles maisons construites au temps où on cuisinait dans l’âtre et dans quelques résidences secondaires. Les braisiers à charbon de bois, ces beaux braseros méditerranées, en laiton ou en cuivre finement travaillé, dont certains sont couverts d'un chapeau pointu ciselé comme une dentelle très fine afin de diffuser la chaleur avec élégance, tendent hélas à disparaître. Dans les campagnes ou dans certains vieux quartiers, on voit encore, sur les pas-de-porte, des femmes en train d’allumer du charbon dans une simple cuvette étamée, agitant vivement un morceau de carton au-dessus de la braise qui commence à rougir. Si tout va bien, en fin de soirée, la température de votre logis s’élève de quelques degrés, mais il y fait seulement moins froid qu’avant.
Oh, bien sûr, les belles journées limpides et éclatantes qui caractérisent l’hiver méditerranéen, à la lumière bleue et blanche, où on lézarde volontiers au soleil, ôtant même manteaux et blousons, ne manqueront pas, mais cela ne suffira pas à réchauffer votre intérieur.
Il en sera ainsi jusqu'à ce qu'un beau matin du mois de mars ou du mois d’avril, où l’air se remplira du parfum enivrant des fleurs d’orangers, la douceur frappera, insistante, aux fenêtres que tout le monde s’empressera d’ouvrir pour la faire entrer, au milieu des cris stridents des hirondelles de retour, signifiant la fin de l’hiver, et l’oubli, au fond d’un cagibis, de tout un attirail considéré sans valeur, jusqu’au mois de décembre suivant.
Mots-clefs : Méditerranée
Commentaires et Mises à jour :
Re: C'est très vrai !
Figure-toi qu'en écrivant ce billet, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à toi dont je lis assez souvent les articles. Le Portugal a un regard sur l'Atlantique et ses habitants sont paraît-il plus énergiques que les Méditerranéens, mais les histoires que tu y racontes, comme la rue qui engloutit la moitié d'un car, ou bien la boue qui envahit les routes chaque fois qu'il pleut fort, etc... ont pour moi une saveur tout à fait connue.
Dans mon immeuble, le chauffage central est tombé en panne cette année (plus froide que les autres), après de nombreuses années de bons et loyaux services (quatre heures par jour pendant trois mois suffisent amplement). Et me voilà donc avec des radiateurs électriques qui ne réchauffent pas beaucoup car si on les faire marcher à la puissance maximum ils font sauter le disjoncteur, et des gros pulls qui paralysent les mouvements. C’est comme si on entrait dans une semi léthargie. :-)))
Re: Re: C'est très vrai !
Re: Re: Re: C'est très vrai !
En fait, j'aime l'hiver, vraiment nécessaire pour nous remettre de la longueur de l'été, tout du moins pour nous qui avons été habituées à un climat plus tempéré. Et puis, nous savons bien que ça ne durera pas. Chez toi, quel est le parfum qui en annonce la fin?
Re: Re: Re: Re: C'est très vrai !
Re: Re: Re: Re: Re: C'est très vrai !
Pour ma part, j'adore ces manifestations de la nature. Bien sûr, il est vrai que l'homme pollue la planète de façon éhontée, il est également vrai que depuis quelques années le temps en Europe fait des siennes, avec ses excès de vent, de chaleur et de pluie. Mais quand, chez moi, il suffit de deux grosses pluies pour faire reverdir les collines brûlées par les incendies, et que le parfum des fleurs d’orangers, fidèle comme chaque année, ramène le printemps et l’exubérance dans les rues, je ne peux pas m’empêcher de reprendre confiance. La nature sait se défendre, et je me félicite d’habiter dans un endroit où on lui en laisse encore le droit. Pas toi?
Re: Re: Re: Re: Re: Re: C'est très vrai !
Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: C'est très vrai !
Depuis hier à midi, mon PC est en panne et je grignote où je peux:-)
Pour revenir à notre échange, en Italie il en est de même. Quand on pense qu'une ville comme Milan n'a pas de dépurateur, que le ramassage différencié exite mais qu'ensuite tout finit quand même dans les incinérateurs, dans des décharges abusives, ou dans les lits des torrents à sec, bouchant les ponts à la première grande pluie avec toutes les catastrophes qui s'en suivent, sans parler de ce qui finit dans la mer. En ce qui concerne les forêts, la pollution du grand public s'arrête souvent à 150 mètres du bord des chemins, car les Italiens ne sortent pas volontiers des sentiers battus, ce qui, dans un certain sens, est une chance.
Cependant, les gens commencent à prendre conscience du "luxe" qu'ils possèdent, les jeunes en particulier, surtout dans les régions pauvres, où la majorité est passée en un peu plus de dix ans d'une économie de survivance à la société de consommation. Mais hélas, ce sont les pouvoirs publics qui ne suivent pas. L'heure "politique" actuelle n'est plus à l'écologie, mais au profit à tout prix, mettant même aux enchères certains sites protégés. Que faut-il donc faire?
En tout cas, moi j'ai bien l'intention de continuer, sans aucun fanatisme stupide cependant, à jouir le plus longtemps possible de ce luxe : les plages propres et presque désertes, l'eau cristalline et les parfums du maquis, les sentiers de montagne intègres et les ruisseaux purs, les produits du jardin à la table... même au prix d'un peu de froid en hiver. En France, la grande liberté que j'ai connue en montagne a disparu; tout est payant, interdit ou codifié.
La véritable solution n'existe, hélas, que dans les prises de conscience individuelles.
Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: C'est très vrai !
On peut toujours rêver !!!
En ce qui concerne les collecteurs, la situation est la même en France ! Sais-tu qu'à Chartres, il existait une collecte différenciée qui finissait dans les mêmes décharges en 1998 ? J'ignore si la situation a changé, à Bordeaux quand nous sommes partis en 2003, il n'y avait toujours pas de tri sélectif, c'est dire.
C'est très vrai !
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