Je viens de terminer la lecture d'une "trilogie" de Rémy Ourdan publiées dans Le Monde sous le titre "Bagdad un an après". Dans le premier article, "Au café Shahbandar", ce journaliste rencontre les mêmes intellectuels et les mêmes commerçants qu'il avait interrogés à la veille de la guerre. Bien sûr, aujourd'hui les langues y sont finalement déliées et les artistes se sentent plus libres, mais les commerçants regrettent l'ordre qui régnait sous Saddam. Dans "Du blues à l'âme", M. Ourdan retrace la vie de Samir Peter, un fameux pianiste iraquien, à travers la nostalgie de ce dernier pour la vie de la Bagdad dorée des années 60, la difficulté de sa vie sous le régime de Saddam qu'il haïssait parce qu'il l'a contraint à devenir un assassin, mais qui ne s'est pas terminée pour autant avec sa chute. Dans "La Caméra des survivants", il raconte la joie et la hâte éprouvées par le cinéaste Oday Rasheed et une vingtaine d'artistes dans le tournage, avec des moyens de fortune, du premier long métrage de l'après-guerre, sans même savoir si leur oeuvre verra le jour.
Ces trois articles sont intéressants, cela ne fait aucun doute, mais le titre "Bagdad un an après" n'est-il pas un peu abusif? L'ensemble de Bagdad, un an après, se résume-t-il à cela? Et les femmes ? N'y a-t-il plus de femmes à Bagdad? Ou bien Rémy Ourdan est-il entré dans une logique encore trop commune, celle qui les ignore? Ne pouvait-il pas ajouter encore deux ou trois volets à son article?
En quête de relecture, et afin de faire une comparaison avec mes impressions d'adolescente, comme déjà évoqué ici, hier, j'ai relu "Terre des hommes" d'Antoine de Saint-Exupéry. Le livre ne m'a pas déçu, j'y ai retrouvé toutes les idées qui me sont chères, son point de vue sur les qualités qui font la différence entre "l'homme" et l'animal, faites surtout du sens de la responsabilité, son acuité visuelle quant aux circonstances qui favorisent ou empêchent l'éclosion de ces qualités, son refus de la banalité, sa perception des relations humaines. Ses idées sur le colonialisme, bien que très altruistes, sont aujourd'hui complètement osbsolètes. Mais, arrivée à la fin, une question m'est montée au lèvres, spontanée : et les femmes? Et bien, il semble que pour Saint-Exupéry les femmes n'existent pas, ou si peu, sous la forme des jeunes filles en fleurs qui rêvent du mariage, de la femme qui, au foyer, attend avec patience le retour de son époux sur qui elle compte pour l'entretenir, ou encore sous l'aspect d'une vieille servante ignorante et ravaudeuse qu'il aimait plaisanter. Il éprouve une grande affection pour toutes ces femmes, mais toutes autant qu'elles sont ne sont là que par rapport à l'homme, sans identité propre. En effet, pas de majuscule au mot "homme". Ici on ne parle pas du genre humain, mais d'une moitié de l'humanité... Jusqu'à hier, je ne m'en étais pas aperçue.
Ce livre, me dira-t-on, date de 1939, et ceci peut donc expliquer cela. Mais chez Rémy Ourdan? Ce monsieur a-t-il oublié que nous sommes en 2004? Pourquoi ignore-t-il le terrible pas en arrière que connaissent un bon nombre de femmes de Bagdad, un an après, au milieu du nouveau chaos, entre les enlèvements, les viols, les arrestations arbitraires, l'insécurité même chez elles? Pourquoi passe-t-il sous silence que presque toutes celles qui travaillaient ou qui poursuivaient des études sont aujourd'hui contraintes, implicitement, à rester chez elles? Pourquoi ne nous parle-t-il pas de ces grands manteaux noirs dont doivent se couvrir aujourd'hui, pour passer inaperçues, toutes celles qui n'avaient jamais porté le moindre voile? River, cette jeune femme de 24 ans, a perdu toute envie de sortir (voir son billet du 27 mars "Sistanistan").
Tout à coup, j'ai l'impression d'avoir entendu trois anecdotes, légères, sympathiques, à côté du buffet d'un vernissage...