Hier, j'ai parlé du livre "Les Fiancées d'Allah" dans lequel Julija Jusik, une journaliste russe, raconte le drame des femmes tchétchènes, transformées en "shahidki" (femmes martyres) par des hommes lâches et sans scrupules. Avant de lire cette première histoire, je pense cependant qu'il est nécessaire, afin de mieux comprendre le contexte dans lequel elle se déroule, d'en lire l'introduction.
"Le 29 novembre 2001, Ajza Gazueva ajusta sur ses flans sa ceinture explosive et se dirigea vers le siège du commandement militaire. Tout en faisant les cent pas dans son vêtement ample qui descendait jusqu’aux pieds, elle se mit à attendre l’arrivée du commandant Gejdar Gaziev. Dès que sa voiture s’arrêta, elle courut au devant de lui. Gadziev était accompagné par son escorte, et il pensa qu’il n’avait rien à craindre d’une jeune femme. Certaines d’entre elles passent des journées entières sous les fenêtres du commandement, pour demander qu’on relâche leurs maris ou leurs frères qui ont été arrêtés. « Juste une minute ! », cria Ajza, qui essaya de se faufiler entre les hommes de son escorte. Et puis l’explosion : une forte détonation, de la fumée, des cris, du sang. Ajza se désintégra, en mille lambeaux, plusieurs hommes de l’escorte moururent sur le coup, Gadziev, gravement blessé, fut transporté d’urgence à l’hôpital où on ne réussit pas à le sauver. (….) Qu’avait bien pu faire Gadziev à cette belle fille pour l’amener au point de ne plus avoir peur, à condition de le tuer, de renoncer à sa propre vie ?
Quatre mois plus tôt, le commissaire militaire de la région d’Urus-Martan, qui avait fait de terribles zacistki (rafles) dans le village à la recherche de wahhabites armés, avait arrêté Alihan, le mari d’Ajza. Ajza et son mari n’étaient mariés que depuis sept mois. Jeunes, éperdument amoureux, ils étaient incapables de vivre l’un sans l’autre, ne serait-ce qu’un seul jour. Alihan avait été battu, d’une façon sauvage, en s’acharnant sur lui, le laissant plus mort que vif. Mais il était toujours en vie. (Ce qui se passa ensuite me fut raconté en grand secret au Ministère de l’Intérieur de la Tchétchénie ou plus exactement de la République tchétchène.) Hors de lui, Gadziev avait alors ordonné qu’on lui amène sa femme. On avait conduit Ajza auprès de lui. Dès qu’elle avait vu son mari, livide à cause des coups reçus, Ajza avait fondu en larmes et s’était mise à supplier l’officier de le relâcher. Mais Gadziev avait ouvert le ventre d’Alihan et, tirant la jeune femme par les cheveux, il avait enfoncé son visage dans les intestins de son mari. Celui-ci était mort devant elle, au milieu de plaintes et de spasmes épouvantables, tandis qu’elle-même qui n’avait que vingt ans, aveuglée par le sang, ne pouvait absolument rien faire. (Par la suite, les mêmes militaires reconnurent, avec beaucoup de difficultés, qu’il s’agissait effectivement d’une erreur, Alihan n’avait aucune rapport avec les wahhabites.)
Ajza avait essayé de survivre pendant plusieurs mois, mais sans succès. A cela, il faut ajouter que son frère avait été tué quelques temps auparavant.
Sa mère vit en République d’Ingouchie, dans un camp de réfugiés. Là, les Tchétchènes réussissent tout du moins à gagner quelques kopeks pour survivre. J’y suis allée, mais je n'ai pas réussi à la trouver. Mais j’ai trouvé la sœur d’Ajza, une belle jeune fille aux longues jambes qui ne parle pas le russe et sa tante Jahita. La misère crève les yeux. Les bas de la jeune fille sont troués. Pour manger, il n’y a que de la farine et de l’eau avec lesquelles on s’ingénie à préparer des galettes : « Si vous saviez la peine que nous avons éprouvée pour elle », soupire la tante. « Quelqu’un a profité de sa douleur, quelqu’un lui a attaché une ceinture explosive et l’a poussée à faire ce qu’elle a fait. Après la mort d‘Alihan, son mari, elle était devenue extrêmement sombre (….) Quand elle sauta, nous avons tout de suite su le nom de la personne qui l’avait convaincue à faire ce geste. Paraît-il qu’il était apparu immédiatement après la mort d’Alihan, et il s’était mis à essayer de la convaincre à venger son mari. Il lui faisait lire certains petits livres qui parlaient de religion, il l’emmenait dans des endroits où on dit que ces malheureuses se retrouvent. Quand tout le monde avait su comment était mort Alhihan, il avait fondu sur elle, comme un vautour. Il était évident qu’il avait compris qu’après ce qu’elle avait vécu, elle serait prête à tout. »
Mots-clefs : Tchétchénie, Femmes.
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