Un air de tarentelle, une ritournelle enjouée, un tambourin qu’on frappe en cadence. La pointe vert sombre d’un haut cyprès, l’ondulation douce des palmiers aux dattes mûres, la délicatesse des aiguilles de pins sur un ciel pur, les branches agressives des bougainvilliers, les eucalyptus qui embaument, les platanes qui jaunissent, les magnolias pompeux et sévères qui s’étalent, les orangers discrets qui attendent l’hiver, les lauriers qui s’assagissent, une petite vigne aux grappes bleus, des oliviers centenaires, un buisson de jasmin envahissant, un vieux mur décadent. La joie est dans l’air. La fête commence dans quelques jours.
Les danseurs affairés, les pas qu’on recommence ; les corps jeunes, les tailles souples, les habits qu’on prépare ; les coiffes blanches, les chemisiers candides, les bustiers travaillés, les cols de dentelles, les jupes multicolores, les tabliers étroits, les mocassins ; les culottes de drap noir, les vestes étroites, les bas blancs, les ceintures rouges, les chapeaux, les espadrilles, les foulards. On veut que tout soit parfait.
Les rues qu’on balaie, les caniveaux qu’on nettoie, les trous qu’on bouche, l’asphalte qu’on étend, les panneaux lumineux qu’on fixe, les drapeaux qu’on pend, les scènes qu’on construit, les chapiteaux qu’on élève, la circulation qui halète. La ville est en effervescence.
Le sanctuaire qu’on apprête, le cadre de la Madone qu’on décroche, sa bordure d’argent qu’on éclaircit, l’enfant qui sourit, son lourd piédestal qu’on consolide ; les porteurs en litige, leurs vêtements blancs qu’on sort des armoires, les foulards et les ceintures cramoisies qu’on repasse ; les étendards qu’on dépoussière, les confraternités qui se réunissent, les scouts qui s’organisent, les associations qui se mobilisent. La ferveur monte.
L’archevêque qui se réjouit, la cathédrale qu’on prépare, le maire qui s’inquiète, les conseillers qui s’agitent, la fanfare qui répète, les forains qui s’installent, les enfants qui s’excitent, l’école qui attend, la mer qu’on oublie. Ce sera la clôture de l’été.
Le sanctuaire en fête, la veillée de prière, les pèlerins du matin qui montent, les voitures qui arrivent de loin, les fidèles qu’elles déversent ; les balcons qui fleurissent, les calicots qu’on déroule, les couleurs qui se mêlent, les gens qui se bousculent, le marché qu’on déserte, les boutiques qu’on ferme ; le préfet qui arrive, le maire qui ceint son écharpe tricolore, l’archevêque qui jubile, les prêtres en file, les agents en tenue de parade. Le grand jour est arrivé.
Le cortège qui se forme, le choeur qui entonne, la fanfare qui le suit, les porteurs qui plastronnent, les autorités qui prennent place, la foule qui se range. La procession va partir.
Les arrêts de prière, les arrêts commémoratifs, les arrêts face aux églises, l’arrêt à la mairie, l’arrêt à la préfecture, les porteurs qui plient sous le poids, les hôpitaux qu’on bénit, les femmes émues, les hommes dignes, les gens qui se signent, les airs de musique, les espaces de silence. La procession passe lentement.
La cathédrale qu’on aperçoit, ses portes qu’on ouvre tout grand, son parvis noir de monde, la foule en liesse, le soleil qui jaillit derrière les nuages de septembre, le visage de l’archevêque qui resplendit, le maire qui sourit : la Madone est arrivée, les fidèles vont entrer.
Les célébrations peuvent débuter, la ville peut s’arrêter, la joie peut exploser, les danses peuvent commencer. Comme chaque année, depuis plus de trois siècles et demi.
Mots-clefs : Méditerranée, Flore, Italie, Religions
Commentaires et Mises à jour :
Re:
Sacha, je vais te surprendre, ma position est très ambiguë. D’une part, je déteste le chaos qu’apporte ces fêtes que je fuis, et je trouve complètement stupide qu’aujourd’hui encore on puisse être attaché à ce genre de crédulité. Mais d’autre part, je me garderais bien de demander leur suppréssion, car elles ont une âme antique, certaines même sont un peu païennes (la fête de San Gennaro en est un exemple), et elles font partie intégrante de ces populations, de leurs coutumes, du paysage et du climat. Et on ne peut pas les dissocier sans les dénaturer.
Par contre, j'aime beaucoup la gaieté et le rythme de la tarentelle.
Re: Re:
Je suis d'accord avec ton avis et j'ai le même dédain pour les foules festives mais le peuple a besoin de jeux, de surnaturel, de divin pour oublier sa condition. "La religion est l'opium du peuple" disait Renan.
La tendance actuelle un peu partout me semble être la recherche de retombées commerciales donc lucratives d'où le regain d'intérêt pour ces fêtes avec tout ce que cela draine de dérives. On garde l'emballage mais on change le contenu !
Re: Re: Re:
Je n'aime pas ces fetes, mais il s'agit là d'une question de gout parce que je n'aime ni la foule ni le chaos, et meme si la crédulité me surprend au jour d'aujourd'hui, je n'éprouve aucun dédain ou mépris, je comprends mal, c'est tout. J'en veux pour preuve que je ne ferais pas le moindre geste pour les supprimer.
Ensuite, dans ce genre de fetes pluriséculaires, il n'y a aucune condition à oublier (ta citation est de Karl Marx), aucun sens de lucre, elles sont identiques depuis toujours, et les commerçants n'y gagnent rien, au contraire. Si on les remet plus étroitement dans leur contexte ancien (dont elles ne sont pas vraiment sorties), il s'agissait d'une véritable fete dans le plein sens du mot, faite de joie et ferveur, un des quelques moments de l'année où on se receuillait, on se retrouvait, on dansait et on faisait chez les forains et les vendeurs ambulants de passage les emplettes longtemps désirées de choses utiles qu'on ne trouvait pas encore dans le commerce des villages et meme des villes d'une certaine importance. Aujourd'hui, il reste le contexte de ferveur (qui concerne chaque etre en particulier), et la présence des forains avec tous les divertissements qu'ils offrent.
J'ajouterai encore ceci :
La fête que j’ai décrite a sans autre un caractère méditerranéen marqué par la religion catholique. Mais ce genre de fête se retrouve partout. Elles n’ont rien à voir avec Noël ou la fête de mères qui ne sont plus désormais que la fête des commerçants. Elles portent en elles quelque chose d’ancestral, d’immuable dans le temps, comparable, pour faire un exemple, à la braderie de Lille où, encore aujourd’hui, la ville est presque complètement bloquée, où tout le monde vide ses greniers sur le trottoir, où les montagnes de moule fleurissent à tous les coins de rue. Pour ma part, j’en ai entendu parler depuis ma tendre enfance, j’y suis allée une fois, et ce lundi j’ai eu un récit complet de la part d’un jeune qui y est allé pour la première fois. Et dans son récit, j’ai retrouvé le même esprit, la même joie que dans les récits de mon enfance et dans l’impression que j’en ai eu moi-même.
Même si personnellement on ne les aime pas (personne ne vous oblige à y aller), je pense qu’il ne faut pas abolir ces fêtes, car elles conservent encore ce degré d’humanité qui n’existe plus dans notre monde que le profit et la technologie rendent de plus en plus impitoyable.