TÉHÉRAN - « Tout d’abord, elle se dispute avec lui et puis (l’éternel féminin !) elle en tombe éperdument amoureuse. Lui (scandale !), il caresse sa main. Lui (l’héroïque masculin !) la sauve des méchants, mais il est arrêté et torturé. Réduit au minimum, c’est ce qui s’est passé jusqu’à présent dans le romantique feuilleton télévisé situé au début de la seconde guerre mondiale qui tient l’Iran collé au petit écran. Bien fait en ce qui concerne le cadre et les coutumes, avec de nombreux personnages qui rendent l’histoire fascinante et les psychologies crédibles, « Zero Degree Turn » pourrait être une série comme tant d’autres, mais le « lui » en question est Iranien-[Palestinien. NdT], elle, c’est une juive [Française, NdT] qui essaie d’échapper à l’holocauste nazi, et ce « colossal » en feuilleton va en onde tous les lundis sur la première chaîne de télévision publique de
C’est la question que s’est posé le Wall Street Journal. Le « but de la coûteuse production TV », a affirmé le quotidien américain, « c'est de faire une grande distinction entre les juifs en tant que peuple et l’Etat d’Israël ». C’est probablement vrai vu que l’Iran réserve un siège au Parlement au représentant de sa communauté juive, garantit la liberté de culte à ses 25.000 juifs iraniens, mais ne perd aucune occasion pour affirmer que le sionisme est une aberration de l’Histoire.
Cependant, si on en parle avec une famille iranienne, père, mère, un fils et une fille adolescents, « Zero degree Turn » va beaucoup plus loin. Le lundi soir, tout le monde est à table à 21 heures, ponctuels, quand le feuilleton commence, avec une salade de concombre, du yogourt et du riz avec une blanquette de poulet. Les temps sont durs. L’inflation pèse sur les salaires des parents. Août vient de se terminer et le rationnement de l'essence continue. En l’espace d’un an le coût des dépenses habituelles a presque doublé et, en plus, les rondes moralisatrices ont repris. Quand elle sort, la jeune fille est de moins en moins « mal voilée », elle a peur. Comme dans de nombreux logements, peu importe si « réformateurs » ou « philo occidentaux » comme celui-ci, il y a une antenne parabolique sur le balcon. C’est illégal, mais la police n’a pas dépassé le stade des rappels. Le lundi, cependant, le choix ne se porte pas sur les chaînes étrangères, mais sur un gros roman « made in Iran » :
- "Hassan Fatthi, le réalisateur et metteur en scène, a rompu un tabou", dit l’adolescent. "A la télé publique, on n’avait jamais vu un amoureux toucher la main de celle qu’il aime".
- "Ils ont été malins", explique le père. "Quand ils achètent des films étrangers, ils doivent censurer les jambes et les décolletés, couper les baisers et embrassades et on finit par ne plus rien comprendre à la trame. Là au contraire, les vêtements en Europe durant la période de guerre des années 40, avec ses longues jupes et ses manches fermées aux poignets, vont très bien, même pour l’Iran d’aujourd’hui".
- "Le maximum", intervient la jeune fille, "ils l’ont atteint quand ils ont transmis le « Troy » hollywoodien. Pour rendre le film conforme à la morale, ils ont même changé l’Iliade, Hélène devenant la fille de Ménélas au lieu d’être sa femme ». (…)
- "Avec « Zero Degree Turn »", affirme la mère, "ils se sont poussés jusqu’à la limite consentie : à l’étranger les femmes sont sans foulard et il y a assez de romantisme pour charmer tout le monde. Avec la qualité d’un film étranger, le message arrive plus convaincant".
Les ayatollah ont toujours été à jour en matière de technologie. Vu qu’en 1979 les Mp3 n’existaient pas, la révolution de Khomeiny s’est répandue dans
Dans cette famille aussi, personne ne veut perdre les derniers épisodes. Le scénariste a-t-il choisi un happy end ou a-t-il voulu jouer moderne et ne pas laisser que l'amour triomphe ? Et puis, comment feront-ils pour se marier ?
- "Ce qui est sûr", dit la mère, "c’est que l’Iranien n’épousera jamais une femme qui n’est pas islamique."
Andrea Nicastro : « L’iraniano salva l’ebrea dall’Olocausto : uno sceneggiato rompe i tabù di Teheran ». Publié sur Il Corriere della Sera du 08 septembre 2007
Traduction de l’italien par ImpasseSud
Chez nous, en Occident, les choses sont-elles aussi différentes qu'on voudrait nous le faire croire ? Toute histoire fictive est porteuse de message, mais pour un bon lavage de cerveau, rien de tel que les « innocents » feuilletons, que les « innocentes » séries télévisées. Si on n'y fait pas attention, si on ne les regarde pas avec le détachement, le sens critique nécessaires, n'en ressort-on pas désinformés et parfois même formatés ?
Mots-clefs : Médias, Asie, Sujets brûlants, Société, Religions