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Gianini Belotti Elena, « Adagio un poco mosso » (1993)

J’ai lu ce livre il y a douze ans, peu après sa sortie. L’humour dont il est truffé m’avait immédiatement séduite. Adagio un poco mosso, c’est le rythme des corps des vieilles dames solitaires, protagonistes des sept nouvelles qui le composent, mais ce n’est certainement pas celui de leur esprit. L’âge avancé rend les femmes invisibles, aujourd'hui plus que jamais. L’indifférence de ceux qui voudraient qu’elles végètent dans un coin immobile de l’existence, ou selon des règles bien établies, les réduit à des stéréotypes sans dignité. Mais, elles, tout en acceptant leur état et la réalité avec humour, refleurissent dans le veuvage après des mariages “heureux” qui les ont dépossédées d’elles-mêmes, regardent autour d’elles avec curiosité mais avec un sage détachement, reprennent en main les rênes de leur vie, orientant leur esprit et leur coeur ailleurs, hors du cercle des affections familiales, et défendent leur propre autonomie de toutes leurs forces.

 

J’ai toujours adoré les histoires de vieilles dames, même quand j’étais très jeune, surtout quand elles appartiennent à la catégorie qui, finalement libérées d’un grand nombre d’obligations, a décidé de suivre ses désirs quitte à s'écarter des sentiers battus. Car il faut savoir que « les désirs résistent intacts aux années qui passent, même s’ils sont destinés à ne jamais être satisfaits. »

Ici, on retrouve des situations éternellement actuelles, hors du temps, entre désirs personnels, affectifs et sexuels, conditionnements que l’on veut fuir, vieilles blessures jamais guéries ou compensées, élans intimes jamais vraiment assouvis, puis droit de vieillir et de mourir dignement sans devoir se plier aux abus de pouvoir des modes ou des proches, ou à l’humiliation de la dépendance, etc… Nos protagonistes trouvent les échappatoires les plus élégantes. 

 

Si j'ai dépoussiéré ce livre aujourd’hui, c’est parce que, il y a quelques jours, j'ai vu un reportage sur la condition actuelle des femmes au sein de la famille (au sens propre ou élargi, et quelle que soit la classe sociale ou la religion), et il ne semble pas qu’il y ait plus d'unions ou de séparations « heureuses » aujourd'hui qu’il n’y avait de mariages « heureux » autrefois. On oublie souvent que tout est une question d'optique par rapport à l’époque dans laquelle on vit. Ce que l’on trouve normal aujourd’hui peut ne plus l’être demain, mais la continuité qui veut qu’il faille toujours « composer » pour qu'une relation de couple marche est toujours en vigueur. Et aujourd’hui comme hier ce sont presque toujours les femmes qui « composent » le plus.

Encore adolescente, je me souviens d’avoir beaucoup aimé le film La Vieille dame indigne issu d’une nouvelle de Bertold Brecht, alors que la personne qui m’accompagnait avait été profondément choquée. Et ce livre-ci, justement, tout comme le film de René Allio, peut enchanter ou agacer, selon l’idée qu’on se fait des femmes.

 

Je ne suis pas une inconditionnelle d’Elena Gianini Belotti, mais bien qu’on ait traduit en français et publié en France plusieurs de ses écrits à propos des petites filles et des femmes en âge d’enfanter, ce livre n’existe qu’en italien. Je trouve cela tout à fait regrettable. J’en ai moi-même fait une traduction qu’à l’époque j’avais envoyée à de nombreux éditeurs et notamment à celui qui avait publié Du côté des petites filles, mais mes envois soit sont restés sans réponses soit me sont revenus avec toutes sortes de motivations de non publication dont voici la plus imagée : « Comme vous le savez, ce genre ne plaît guère en France ». Ah ?! Comme pour dire : gare aux femmes qui, en France, ont le culot de vieillir, alors que dans l'ensemble de l'Occident il y a de plus en plus de femmes âgées et même très âgées. Paradoxalement, à force de faire de la jeunesse un mythe, on a, bien plus que par le passé, relégué le thème de la vieillesse des femmes au rang des tabous. Au-delà d’un certain âge, quand elles ne font plus partie de celles à qui on confie l’éducation de leurs petits-enfants ou qu’elles n’ont aucune envie d'aller s’enfiler avec celles de leur âge dans le car ou l’avion d’un tour-opérateur pour faire marcher l’économie, doivent-elles être obligatoirement vouées à l'invisibilité ?


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Ecrit par ImpasseSud, le Mercredi 17 Janvier 2007, 14:35 dans la rubrique "J'ai lu".