« Aujourd’hui Pékin n'a pas l'air d'une ville à la veille de ses Olympiades ». Ça fait des jours que je répète cette phrase-sentence, avec mes amis ou seul en taxi tandis que la ville défile lentement. J’ai le temps de réfléchir, d’observer. Le fait est qu’à part les cocardes blanches et rouges et les quelques panneaux en métal coloré ajourés avec les logos des différentes disciplines olympiques apparus le long de l’Avenue de
Il manque cet apparat fait de couleurs, de lumières et de sons, l’équipement qui devrait ancrer les Jeux et manifester leur présence dans toute la ville, en lui restituant le sens de l’évènement, de la fête : l’atmosphère, justement, la saveur croustillante des choses. Il manque les vibrations, l’attente trépidante d’un évènement tellement voulu, d’un jouet sans doute enrayé sur une série vraiment inquiétante d’évènements désastreux. Surtout pour un peuple aussi superstitieux et fataliste.
Au lieu de cela, la ville à l’air de courir, distraite, comme toujours, oscillant dans une certaine indifférence et peut-être, - mais cela c’est mon impression -, vaguement importunée. Je ne me réfère donc pas aux sites des Olympiades, stades et infrastructures, fermés largement en avance avec la diligente pertinence dirigiste, mais aux mille chantiers encore ouverts, à leur poussière infernale, au sens opiniâtre d'un gris généralisé : gris les viaducs, grise la matrice de la couleur des gratte-ciel, menaçants, modernes, si éloignés du gris gentil et gracieux des briques des Hutong, avec leurs toits à pagodes, quelques décorations et les chevelures des hauts bouleaux dans lesquelles le ciel, souvent gris, a de toute façon mille histoires à raconter.
Pékin vu par les piétons, avec ses trottoirs infinis, rapiécés et tourmentés par les travaux en cours dans lesquels on bute, les détails manquants, les plates-bandes postiches avec leur gazon négligé et la terre qui apparaît. Certes, aujourd’hui ce n’est pas le vert qui manque, planté massivement il a sans doute remplacé l’iconographie olympique, mais il n’est soigné que là où le spectateur doit le voir, derrière les assemblages du show.
Dès qu'on tourne le coin, c’est fini.
Aujourd’hui Pékin a l’air, mais il n’est pas.
Pas encore tout du moins.
On a la sensation d’un grand halètement, semblable à celle d’un étudiant universitaire qui vient passer ses examens après une nuit de veille. Chaque minute est précieuse pour finir de tracer, d’écrire, de mémoriser quelque chose. Effort louable, certes, mais aussi la démonstration d’une immaturité d’adolescent en ce qui concerne la gestion du temps en toute sécurité et celle de la planification en toute confiance.
C’est ainsi qu’il en sera pour les œuvres d’architecture importantes, futures icônes urbaines, apparemment finies la nuit qui précède l’évènement, mais complètement terminées seulement dans un an. Enfermées de toute façon dans leurs enceintes, pour rappeler l’inaccessibilité du pouvoir.
Chaque jour, j’observe le devenir de ces chantiers, ou plutôt, je l’ai fait pendant deux ans. Gris eux aussi, en particulier l’édifice sanctuaire que Rem Coolhaas a dessiné pour la télévision d’Etat,
Parce qu’aujourd’hui, finalement, il y a un soleil incroyable sur Pékin. Le ciel est bleu comme dans le reste du monde et, avec ses quelques nuages, il bouleverse l’ordre des choses.»
John Salamini*, « Grigio Pechino », publié sur Peacereporter le 5
(Traduction de l’italien par ImpasseSud)
*John Salamini est né aux Etats-Unis, à
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