« A chaque lever de soleil, l’Iraq, la Mésopotamie d’antan, perd un peu de son patrimoine. » C’est par cette phrase que le quotidien libanais L’Orient-Le Jour d’hier commence son article à propos des bandes de pillards qui continuent à écumer, jour après jour, les sites archéologiques. Après les premiers pillages et les saccages au Musée archéologique de Bagdad sous les yeux des marines américains et l’émotion qu’ils ont suscité dans le monde, on aurait pu croire que le phénomène s’était arrêté, ou tout du moins, qu’il avait diminué. Et bien non, il continue de plus belle, car les Iraquiens ne peuvent pas vivre de l’air du temps.
Les trafiquants iraquiens, poussés par les collectionneurs, organisent le pillage intensif des anciennes cités sumériennes, assyriennes et akkadiennes. Au Nord, où les sites sont finalement sous surveillance américaine, les pillages se sont presque arrêtés. Mais dans le Sud, des centaines de pillards vivent sur les tells (collines artificielles formées par la superposition des villes anciennes), travaillent en plein jour et vendent les œuvres d’art aux trafiquants. Les vestiges sont rasés, les poteries éparpillées, les briques cassées. Peu à peu, les grandes cités sumériennes sont à jamais détruites.
A Jokha, déterrée il y a à peine quatre ans, l’accès aux étrangers est interdit par des « gardiens » armés de kalachnikovs. Les pillards, plus de deux cents personnes, sont des gens des villages voisins qui écument ces cités sumériennes depuis le début de la guerre. Ils campent sur les lieux et y vivent depuis 5 mois. En fin d’après-midi, les trafiquants passent, achètent ce qui est intéressant et donnent même des consignes sur les requêtes du marché. Jokha ressemble à un camp de batille, des trous partout, de plus de quatre mètres de diamètre. Un bombardement n’aurait pas fait plus de dégâts. Combien de niveaux archéologiques perdus ?
A Umm el-Akkareb, grande cité sumérienne rattachée à Oumma, les pillards sont installés avec leurs tentes. « Nous n’avons pas de travail. Le rendement agricole ne suffit pas et nous avons besoin d’argent » déclare Hussein qui ne réalise pas l’importance des dégâts qu'ils sont en train de causer, bien qu’il soit capable de faire le guide. Ne faisait-il pas partie des ouvriers qui travaillaient depuis quatre ans sur ce site ? La terreur des archéologues, c’était justement de voir les ouvriers se transformer en pillards. Il semble que ce cauchemar se soit réalisé.
A Larsa la maison de fouille de la mission française est détruite. Le gardien a choisi le trafic de carburant qui est plus rentable. Là aussi des trous et des tas d’objets éparpillés sur le tell.
Et c’est la même chose à Essen, Fara et tell Adab.
Irchad Yassine, beau-frère de Saddam Hussein, est réputé dans tout le pays pour être le plus grand trafiquant d’antiquités. Est-il pour quelque chose dans l’organisation du trafic ? Une chose est sûre, c’est que le réseau qui finance les fouilles clandestines et le trafic des œuvres d’art fonctionne bien.
Et pendant ce temps-là, les Américains regardent :
« Protéger ces sites du pillage est une simple affaire si on y met les ressources nécessaires, assure le professeur John Russel. Une surveillance par satellite des tells archéologiques, renforcée par des patrouilles d’hélicoptères et d’un recrutement de nouveaux gardiens, est réalisable et non coûteuse, mais il faut en avoir la volonté ». Le professeur McGuire Gibson propose une autre solution, plus pragmatique « Les fouilleurs clandestins sont de simples paysans vivant essentiellement de l’agriculture du blé et de l’orge. Leurs récoltes de cette année n’ont pas été vendues car le gouvernement irakien, principal client, est absent. Pour eux, les sites archéologiques sont l’unique substitut à l’agriculture et le seul moyen actuellement de faire de l’argent. Il est urgent par conséquent d’acheter les récoltes et d’investir dans le secteur agricole au sud de l’Irak. »
Pour ce faire, il s’agit de trouver un accord avec les chefs des tribus locales, mais les Américains ne veulent pas en entendre parler car, selon eux, "le mode de vie des tribus n’est pas digne du XXIe siècle "!
Du côté iraquien, dans les bureaux de l’Organisation nationale du patrimoine et de l’archéologie en Iraq (ONPI), il règne le chaos le plus complet. On voudrait que la direction change, mais les employés de l’ancien régime, habitués à obéir aux directives, sont incapables de prendre des initiatives.
Les Américains ont cependant cherché à sauver la face, après le saccage du Musée de Bagdad. Le 3 juillet dernier, afin que les reportages passent à la télévision le 4 juillet (fête nationale aux USA), ils ont ouvert les portes du Musée de Bagdad aux hauts officiels américains et à quelques journalistes, pour les convier à admirer l’une des plus belles collections de trésors royaux du monde : les bijoux des reines assyriennes de Nimroud, Or ces trésors étaient à l’abri dans les caves de la Banque centrale depuis 1990 et n'ont couru aucun risque de pillage. Mais aujourd’hui les Américains prétendent les avoir sauvés !
Commentaires et Mises à jour :
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Lu sur Il Manifesto du 08.04.05 :
« Amulettes sumériennes, sceaux datant de 2.400 av. JC (parfois même avec la signalisation clignotante « rare » ou « superbe »), colliers, tablettes cunéiformes : ce sont tous des objets de petites tailles, facilement transportables dans une poche et non repérés par les metal-detector des aéroports internationaux. Le patrimoine archéologique iraquien est en vente sur Internet, sur un site comme eBay, pour une poignée de dollars. A un prix défiant toute concurrence – qui va de 20 dollars aux 2000 dollars pour un bijou assyro babylonien, -
(Traduction ImpasseSud)
La culture n'est pas à l'ordre du jour chez les néo-libéraux - pas rentable ! Les intermittents du spectacle en France viennent aussi de s'en apercevoir. C'est lamentable.