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Julianne

KinderdijkeNéo-zélandaise, elle habitait depuis quelques années à Montréal, et étudiante en sociologie, elle venait d’obtenir une bourse d’études de trois mois en Europe. Elle avait atterri à Genève, et désireuse de parfaire son français (ou de changer d’accent ?), elle avait mis une petite annonce à la Maison de l’Etudiant. De mon côté, je cherchais à améliorer mon anglais trop scolaire, et c’est là que nous nous étions rencontrées.

 

De taille moyenne, un peu rondelette, les cheveux de ce magnifique roux sombre des Anglo-Saxons, les yeux verts émeraude au milieu d’une mer de tâches de rousseur, elle n’était pas très jolie. Ses vêtements d’un autre âge mais propres, les rotondités de son accent canadien et le rire qu’elle laissait exploser de temps en temps la rendaient cependant tout de suite sympathique, dès le premier abord.

 

Elle, elle désirait visiter l’Europe de l’Ouest, moi, je disposais d’une voiture et d’une tente. Si bien que quelques jours avaient suffi pour que notre décision soit prise. Nous partirions ensemble en partageant les frais. Elle avait donc tracé l’itinéraire sur la carte. Moi, j’étais d’accord, à priori, j’allais pouvoir découvrir l’Europe à travers son regard, et cela éveillait ma curiosité.

 

Nous voilà donc parties. Le garde-manger dans le coffre et des repas simples préparés sur un réchaud (nos budgets étaient serrés), les nuits courtes dans des campings choisis en fonction des distances, les démontages de la tente souvent mouillée qu’on étalait sur les bagages pour qu’elle sèche, avant le soir, au vent des fenêtres grandes ouvertes, me la faisaient découvrir jour après jour. Elle était rationnelle et ne devait pas savoir ce qu’est l’incompatibilité. Rien de maussade pourtant chez elle, mais ce grand rire qui arrivait à l’improviste. Et nos discussions se poursuivaient en français, tandis que mon anglais s’étiolait.

 

Au Canada, elle était fiancée avec un jeune homme connu à l’université, et ils devaient se marier, dès son retour. Par amour ? Non ! Pas la moindre petite place pour la fantaisie, pour le romantisme, pour les folies de la jeunesse. Son avenir était déjà programmé dans les moindres détails : fin de leurs études respectives, travail, enfants et comment elle les éduquerait (elle consacrerait ponctuellement un quart d’heure par jour à chacun d’eux), sans oublier la division des tâches. J’étais stupéfaite. Pas le moindre point d’interrogation. Je restais souvent bouche bée.

 

Il y avait, bien entendu, trois impératifs dans son voyage. Le premier était de préparer son trousseau, elle voulait renouveler de fond en comble ses sous-vêtements pour le moins vétustes et délabrés. C’est ainsi qu’après être passées de la Suisse à l’Italie par le col du Simplon, Venise, Innsbruck, Munich, Rothenburg, Francfort, Cologne, Luxembourg, Amsterdam, Bruxelles et Bruges nous avaient vu dans des boutiques de lingerie féminine où elle faisait des choix très sobres. Mais n’était-ce pas poétique ? Toute l’Europe dans sa lingerie ! Au Canada, jour après jour, au contact de sa peau il y aurait les mystères du Pont des Soupirs, la fraîcheur de l’Inn, la folie de Neueschwanstein, l’ébriété de la Hofbräuhaus, la poésie de la maison de Goethe, les plaisirs de Dionysos, la fluidité du Rhin, la joie des champs de tulipes, l’émerveillement du  Rijksmuseum  et le romantisme des moulins de la Kinderdijk, le parfum des fleurs de la Grand-place et l’espièglerie du Manneken Pis, puis le silence du Béguinage. Quel programme pour l’imagination !   

 

Elle avait un second devoir à accomplir, rendre visite à sa great-great mother à Exeter. Et nous voilà embarquées à travers la Manche, affrontant de but en blanc la conduite à gauche. L’Ile de Wight était sur le tracée que Julianne avait dessiné sur la carte, elle voulait voir les lieux du fameux festival du rock, ce Woodstock européen. A l’improviste, elle était devenue obstinée… Pas à cause d’un quelconque penchant pour la musique, non, elle voulait en savoir plus sur le phénomène. En tous cas, elle avait réussi à remplir un dossier.

 

Nous avions abandonné la tente qui refusait définitivement de sécher, pour passer au Bed & Breakfast, encore très abordable. Et après les contrastes verts et noirs du Pays de Galles avec ses petits ports anguleux et ses torrents secrets,  après les sourires méditerranéens de la Cornouaille, nous étions arrivées à Exeter, où nous attendait une très vieille dame, parcheminée et fardée, au port victorien.

 

Quelques jours plus tard, à Londres, nos routes s’étaient séparées. Elle, elle prenait le soir même le train pour Paris, où, troisième impératif et point d’orgue, elle devait choisir et acheter sa robe de mariée, avant de reprendre l’avion pour Montréal.   

 

Je me demande souvent si la vie a apporté à Julianne tout ce qu’elle avait si bien planifié. Nous nous sommes perdues de vue, assez rapidement. Je n’avais probablement été qu’un moyen sur son chemin rectiligne, un moyen sans aucune amertume, cependant, car dans ce voyage j’avais largement trouvé ma part.

 

NB. Julianne, bien évidemment, n’est pas son vrai prénom.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Mardi 5 Août 2003, 13:26 dans la rubrique "Bribes perso".

Commentaires et Mises à jour :

Sacha
06-08-03 à 00:09

Je viens juste d'écrire un commentaire perdu, car j'ai écrit un mauvais mot de passe. Tu ne cesseras jamais de m'étonner ImpasseSud. Je t'imagine très bien, dubitative devant Julianne qui planifie sa vie dans les moindres détails.

J'ai l'impression que sa vie, (désirant la maîtriser dans les moindres détails) a dû être bien différente de ce qu'elle en disait à ce moment là. Qui sait! Peut-être a-t-elle succombé à Paris, au charme d'un jeune homme et a jeté sa robe de mariée à la Seine.

 
ImpasseSud
06-08-03 à 07:25

Re:

Non, non! Elle a bel et bien acheté sa robe de mariée à Paris, et au Canada, elle a épousé son fiancé. Pour le reste, je n'en sais pas plus, car six mois plus tard ma dernière lettre est restée sans réponse. Peut-etre avait-elle déménagé dans un endroit non programmé.

 
Lucanus
06-08-03 à 08:11

Re: Re:

Une autre vie l'attendait, une vie qu'elle n'avait pas planifiée car elle est tombée amoureuse de son mari, un homme qui a su la sortir d'elle-même. (en général c'est le contraire qui se passe mais comme c'est un fille de l'hémisphère sud . . . .)

 
ImpasseSud
06-08-03 à 13:33

Re: Re: Re:

Elle doit avoir les oreilles qui sifflent!

 
PierreDesiles
07-08-03 à 10:59

Quelle cheminement imprévu !

Encore un joli conte ImpasseSud, et pourtant vécu par vous deux. Ca donne envie de partir à l'aventure...!