En Italie, ce dimanche, bien entendu on votait pour le renouvellement du Parlement européen, mais aussi pour les élections administratives (provinciales et municipales) qui avaient lieu le même jour dans une bonne partie du pays. La Ligue du Nord a gagné sur tous les plans, européens et aministratifs. Rien d'étonnant vu que bien implantée dans le gouvernement, elle lui a fait faire tout ce qu'elle avait promis à ses électeurs en matière de fédéralisme et de mesures soi-disant sécuritaires mais sûrement xénéphobes. Quant au parti de Berlusconi, le Pdl (Popolo della Libertà), s'il a perdu quelques points aux Elections européennes, il a gagné plusieurs fiefs aux élections administratives, malgré l'absence de réponse à la crise économique et la montée du chômage, et bien que son gouvernement ait coupé les fonds des secteurs publiques et sociaux. Pour le reste, vu que la gauche a perdu un peu partout et que les partis mineurs réussissent pas à arracher au Président du Conseil un nombre substantiel de voix, ce ne sont plus les « pourquoi » ou les « comment ? » qui intéressent ceux qu'on pourraient appeler les résistants, mais le « jusqu’à quand ? ». Car désormais l’omniprésence berlusconienne contrôle tout. José Saramago, Prix Nobel de littérature, ne vient-il de se voir refuser par son éditeur habituel italien, la traduction de son dernier livre ? Si Pierre Assouline nous explique l’affaire en quelques lignes, le « jusqu’à quand ? » de Saramago en personne, celui qu'il a écrit sur son blog, « O Caderno de Saramago » en portugais ou « El Cuaderno de Saramago » en espagnol, résume bien la situation :
« Jusqu’à quand ? »
« Il y a près de deux mille cinquante ans, un jour de plus un jour de moins, à cette heure-ci ou à une autre, le bon Cicéron était en train de crier au Sénat romain ou dans le Forum. « Jusqu’à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? » demandait-il une fois de plus au méchant conspirateur qui avait voulu le tuer pour s’emparer d’un pouvoir auquel il n’avait pas droit. L’Histoire est si riche, si généreuse, qu’en plus de nous donner d’excellentes leçons sur l’actualité de certains évènements du passé, elle nous laisse aussi, pour notre gouverne, quelques mots, quelques phrases qui, pour telle ou telle raison, ont fini par planter des racines dans la mémoire des peuples. La phrase que je viens de citer, fraîche, vibrante, comme si elle avait été prononcée il y a quelques instants, est sans autre une de celles-ci. Cicéron fut un grand orateur, un tribun aux énormes expédients, mais il est intéressant de noter comment, dans ce cas, il a préféré utiliser les termes les plus communs, qui auraient pu sortir de la bouche d’une mère qui réprimande un enfant agité. Avec l’énorme différence que cet enfant de Rome, ce Catilina, était un pas grand chose de la pire espèce, soit en tant qu’homme, soit en tant que politicien.
L’Histoire de l’Italie surprend tout le monde. C’est une très longue kyrielle de génies, peintres, sculpteurs ou architectes, musiciens ou philosophes, écrivains ou poètes, enlumineurs ou artisans, une infinité de personnes sublimes qui représentent le meilleur de ce que l’humanité a pensé, imaginé, fait. Les catilinas de plus ou moins grande envergure ne lui feront jamais défaut, mais aucun pays n’en est exempt, cette lèpre-là nous touche tous. En Italie, le Catilina d’aujourd’hui s’appelle Berlusconi. Il n’a pas besoin d’attaquer le pouvoir parce qu’il lui appartient déjà, il a assez d’argent pour acheter tous les complices dont il a besoin, y compris les juges, les députés et les sénateurs. Il a réussi la prouesse de diviser la population de l’Italie en deux parties : ceux qui aimeraient être comme lui et ceux qui le sont déjà. Maintenant il favorise l’approbation des lois absolument discriminatoires contre l’immigration illégale, il envoie des rondes de citadins pour collaborer avec la police à la répression physique des immigrants sans papiers et, le comble du comble, il interdit l’inscription des enfants de parents immigrés dans les registre d’Etat civil. Catilina, le Catilina l’Histoire, ne ferait pas mieux.
J’ai tout d’abord dit que l’Histoire de l’Italie surprend tout le monde. Par exemple, il est surprenant qu’aucune voix italienne (pour autant que je sache) air repris, en l’adaptant ne serait-ce qu’un peu, les paroles de Cicéron : « Jusqu’à quand, Berlusconi, abuseras-tu de notre patience ? ».
Il faudrait essayer, il y aura peut-être un résultat et peut-être que, pour cette raison ou pour une autre, l’Italie recommencera à nous surprendre. »
Extrait de El Cuaderno de Saramago, « ¿Hasta cuando? » le
(Traduction améliorée de la version italienne par ImpasseSud)
Ce billet du 15 mai était relativement tendre, celui du 8 juin, « La cosa Berlusconi »(1), l'est beaucoup moins. Que ceux qui ne savent ni l'espagnol ni le portugais entrent le texte dans un traducteur : ils sont loin d'être parfaits, mais c'est mieux que rien. Et que ceux qui s'étonnent de l'incroyable montée berlusconienne, incompréhensible aux yeux des populations de l'Europe de l'ouest (même la Grèce a su virer à gauche), prennent conscience de la puissance des barrières de l'isolement linguistique, capables de créer une sorte de censure automatique quand l'auteur de certains "exploits" est le même que celui qui détient la parole, qui diffuse l'information. Alors que dans le nord de l'Europe tout le monde est bi ou trilingue, en Italie, sauf pour un très faible pourcentage de la population, on ne parle que l'italien, et, encore très habituellement et avec fierté, les dialectes régionaux. Et vu qu'en Europe et dans le monde, aucun autre pays n'est de langue italienne, l'information est unique au sein d'un cercle presque fermé où, en bien ou en mal, à propos de ses clowneries, de ses mensonges, de son arrogance, de ses lois ad personam, ou même pour faire de la satire, on ne parle pratiquement que de lui ou par rapport à lui. Et quand, comme dans le cas présent, les informations réelles sur son mode de vie dissolu ou ses procès réussissent quand même à filtrer de l'étranger, toutes les chaînes de télévisions nationales laissent que lui-même et ses acolytes détournent l'attention vers autre chose ou, si c'est impossible, enrobent, minimisent, dépénalisent ou démentent catégoriquement les informations, à chaque JT (au moins une cinquantaine par jour entre grands et petits), allant même jusqu'à accuser l'opposition de les dicter à la presse étrangère. Bref, il occupe toute la scène en permanence, toutes les conversations, de façon explicite ou par omission volontaire, au point d'empêcher qui que ce soit, même l'opposition, de ne serait-ce que concevoir une Italie sans lui.
Alors, moi qui ait la chance de maîtriser trois langues, ait la chance d'avoir vécu dans plusieurs pays et pour ce faire d'avoir un cerveau relativement peu obnubilé, ait la chance d'avoir les moyens d'aller voir ailleurs, je n'en peux plus de ce cauchemar sans réveil, et j'ai plus que jamais envie de hurler aux quatre vents : « Jusqu'à quand ?!!! »
(1) Une traduction partielle en italien
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Saramago et Berlusconi
(Traduction de l'italien par ImpasseSud)