Au milieu du XVe siècle, les Albanais, guidés par un chef irréductible, le légendaire Général Skanderberg (Gjergj Kastriot de son vrai nom), défendent avec acharnement, pendant plus de trente ans, leur liberté contre les invasions périodiques de l’Empire Ottoman. Ce roman historique raconte le début du conflit, ou, plus précisément, un des premiers sièges, du 18 juin au 13 septembre, contre la citadelle de Kruje, devenue le symbole de leur résistance. Devant ses murs infranchissables, l’armée turque, bien plus puissante et bien mieux organisée, mais peu à peu épuisée par la chaleur torride, rompue par l’attente et écrasée par l’humiliation et l’angoisse, est contrainte à chaque fois à marquer un temps d'arrêt dans sa campagne, parce que l’automne approche à nouveau et que le roulement des tambours de la pluie va bientôt signaler la fin de toute espérance de victoire. En filigrane de ces pages intenses, Ismail Kadaré insinue les ombres de faits plus récents, (ceux du conflit albano-soviétique de 1960 avec le blocus économique et politique imposé à l’Albanie par l’URSS et tous les pays du bloc de Varsovie mais auquel les Albanais n’ont jamais cédé), établissant un rapport flatteur entre passé et présent qui reste le sceau de la meilleure tradition du roman historique.
J’ai acheté ce livre par hasard et par curiosité, dans le but de découvrir le plus important écrivain albanais contemporain. Moi qui n’aime pas les récits de batailles dont les stratégies militaires et l’horreur répétée m’ennuient carrément, j’ai cependant trouvé ce livre tellement passionnant que je l’ai lu d’un seul trait.
Le récit est habilement et admirablement mené grâce à une singulière particularité : l’alternance régulière, dans le style comme dans la forme, des narrateurs présumés. On suit ce qui se passe au sein de l'immense campement de l’armée turque, qui, à l’époque, était l’armée la plus moderne du monde, on participe aussi aux terribles assauts, mais, le chapitre suivant, on peut lire quelques pages du journal d’un Albanais qui, de l'intérieur de la forteresse, raconte la défense, les mille astuces et la détermination inébranlable de ses compatriotes. C’est comme si on épiait par le trou d’une même serrure, mais des deux côtés à la fois. Ces « tambours de la pluie », on finit par les attendre avec impatience (j’en ai perdu le sommeil), et face à la force de la nature qui reprend implacablement le dessus, on est tout à coup convaincu de l’imbécillité de la guerre, de l’inutilité de ses horribles carnages, bien souvent décidés - car Ismail Kadaré n’oublie pas la psychologie qui se trouve derrière leurs motivations -, non pas au nom d’un idéal ou d’un projet à long terme, mais simplement pour une raison personnelle, immédiate et inavouable.
A lire sans hésiter !
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