Un roman historique, d’espionnage, d’aventure, moderne même s'il se situe en pleine Renaissance, dense, sérieux, magnifiquement captivant. Une belle gageure de 743 pages qu’on abandonne avec regret la dernière tournée. Si vous devez faire un cadeau de fin d’année à quelqu’un qui aime lire, choisissez celui-là, car il est propre à satisfaire tous les goûts.
« Omnia sunt communia ! », tout est en commun : le cri qui a terrorisé les princes allemands au cours de la révolte des paysans conduite par Thomas Münzer s'échappe encore des lèvres des vaincus suppliciés après la défaite de Frankenhausen en 1525. Mais qui a poussé Thomas Münzer à l’aventure extrême ? Qui l’a convaincu que son armée de gueux pouvait mettre en pièces des chevaliers en armures ? Qui est celui qui écrit à Pietro Carafa, l’émissaire du pape, ces mystérieuses lettres très informées dans lesquelles il lui conseille, comme meilleur moyen pour contenir la révolte, de s’allier de fait avec le plus grand ennemi de Rome ? Et qui est cet étrange survivant qui prend la fuite et porte la flamme de la liberté dans la ville de Münster, centre de résistance d’une autre révolte et d’une autre foi hérétique, celle des anabaptistes, jusqu’à une autre défaite et au massacre de la part de l’armée de l’évêque ? Qui, dans le port d'Anvers, peut bien être à l'origine de l'énorme escroquerie qui ruine le crédit ?
Dans un Nord bouleversé par d'innombrables guerres et les hérésies, mais attisé par l’élargissement du commerce au monde entier, l’industrie naissante et l'énorme puissance des banquiers Fugger, et animé par un inaltérable désir de liberté, l'intrigue internationale se poursuit de ville en ville, pleine de détails précis, colorés et exacts, une saga du monde moderne où la fièvre religieuse accompagne et marque des conflits beaucoup plus terrestres. La révolution de Gutenberg a diffusé la Bible et le savoir, tout comme, un demi-millénaire plus tard, la révolution informatique et électronique a mis potentiellement à la portée de tous un savoir vertigineux. Tout à coup, sans s’en rendre compte, on se retrouve en train de faire un parallèle avec les grands pouvoirs médiatico-culturels contemporains.
Ce roman qui vous tient constamment en haleine est en plus un traité sur la ruse, sur le ridicule et sur la falsification, animé par une foule de personnages parfaitement reconstruits où le Bien et le Mal s’affrontent et se mêlent, et où tout est dominé par deux figures énigmatiques : le mystérieux « Q », l'infatiguable agent secret de Carafa qui trahit tous ses compagnons de lutte dont il a su inspirer la confiance ; et le survivant, un ex étudiant en théologie allemand qu’on pourrait appeler « Personne » parce qu'il change de nom continuellement et dans lequel chacun de nous, s’il le désire, peut se reconnaître : désabusé et féroce, c'est avec des pulsions bien humaines qu'il traverse les évènements. Les routes des deux hommes se croisent à plusieurs reprises, tout d’abord par hasard et à leur insu, puis moins casuellement, jusqu’à l’inévitable affrontement final, à Venise, qu’il vaut mieux laisser à la découverte du lecteur.
Si à cela on ajoute que l’auteur dont le nom apparaît sur la couverture, Luther Blisset, n’est qu’un pseudonyme, un nom collectif derrière lequel se trouvent quatre jeunes écrivains italiens, altermondialistes depuis des années, ennemis déclarés de la « société de contrôle » et du copyright (en fait ce livre, vous pouvez le photocopier pour usage non commercial ou le télécharger directement en italien, anglais, espagnol, portugais et polonais, hélas pas en français car Le Seuil a refusé son accord) mais qui, après des années de travail et de recherche (la genèse du roman), sont devenus des conteurs nés, alors...
Allez, bonne lecture ! Vous ne le regretterez pas, car en plus, c'est finalement le moyen de comprendre quelque chose à un des aspects du monde de la Renaissance qui, au collège ou au lycée, vous a semblé si confus, mais aussi de découvrir les 12 articles qui auraient pu faire faire un énorme bon en avant à l'humanité.
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