Tout a commencé il y a 13 ans, par un bouche à oreille qui a touché une famille après l’autre, un immeuble après l’autre, une rue après l’autre. Un beau soir, à Noceto, cette commune de 11.000 habitants aux portes de Parme, des centaines, de milliers de postes de télé se sont obscursis, se sont tus, comme pour répondre à la douleur d’une communauté. Un geste de colère, une révolte civique contre les émissions qui transmettent n'importe quoi et à n’importe quelle heure, sans se préoccuper des conséquences. A Noceto, il y a 13 ans, David, 12 ans, s’est pendu par jeu après avoir regardé l’exécution d’une peine capitale à la télévision. Face à un énorme sentiment d’impuissance, cette communauté a répondu immédiatement en prenant en main ses télécommandes pour effacer les modèles nuisibles et filtrer les images trop crues.
Au début, le message était explicite : « Eteins ta télé. Allume ton imagination ».
« Notre bataille est très difficile », explique le curé de la paroisse, « parce que notre but n’est pas de transformer la télévision en objet démoniaque, mais seulement de l’empêcher de dérober l’enfance ».
« Au cours des années, nous avons déplacé l’accent, » continue le maire, « Aujourd’hui, nous n’invitons plus directement les gens à éteindre leur télé, mais nous promouvons des alternatives ».
Cours de théâtre, laboratoires de peinture, lectures animées, jeux antiques, journées dédiées au sport, étude pour les devoirs dans la paroisse, rencontres avec les parents, ciné forum, soirées de réflexion, projets annuels pour détourner les regards du petit écran ; une myriade d’activités coordonnées qui ne laissent rien de côté, pas même le trajet de la maison à l’école. Ici, en effet, c’est le « piedibus » des agents de ville qui ramasse et accompagne les enfants à l’école.
Les impacts de la télévision sur les enfants sont très clairs :
« Plus ils discutent sans rien dire », expliquent des enseignants, « plus nous comprenons qu’ils sont trop souvent devant la télé. En plus, leurs rédactions sont toutes semblables ».
« C’est pour cela », observe un directeur d’école, « qu’il y a des années que les enfants participent à des laboratoires où ils font les acteurs, les costumiers, les scénaristes, les metteurs en scène, les musiciens… pour se produire sur la place au cours de la semaine annuelle de la créativité. » Depuis 1996, c’est ainsi que Noceto essaie d’éviter la dérive de la télévision baby-sitter et que, chaque année au mois de mai, ses 1.200 enfants se transforment en protagonistes.
Le pédiatre du pays et sa femme ont élevé leurs quatre enfants sans télévision : « nous sommes longtemps restés sans téléviseur et quand on nous en a offert un, nous étions tellement habitués à nous en passer qu'il est resté éteint ».
Dans la ville, cette prise de position rencontre une approbation presque généralisée, et la créativité est devenue une stratégie éducative partagée. Cela a-t-il été utile ? Les enfants de Noceto regarde-t-il moins la télévision qu’ailleurs ?
« Difficile à dire », conclut le maire, « mais le fait est qu’ils sont sûrement moins seuls. » Pour les plus faibles, les plus fragiles ou simplement ceux dont les parents travaillent l’un et l’autre toute la journée, il y a une alternative à la télévision comme baby-sitter. « Ce qui n'est pas d'une importance secondaire ! La télévision tue la fantaisie des enfants, elle contrôle les désirs et les comportements », commente Tilda Giani Gallino, professeur de psychologie du développement à l'Université de Turin. « Nous essayons de lui soustraire son rôle d’éducateur », conclut le curé, « et même si la bataille continue à être difficile, nous ne désistons pas, car l’enfance est plus importante que tout ».
(Sources : La Repubblica, Récits et témoignages, Photos)
Ils ont raison, dirais-je. Pourquoi permettons-nous que l’avenir de nos enfants soit "mal" formaté par bon nombre de programmes de télévision, d'horribles JT ? De rares familles essaient d’aller à contre-courant, mais ce n’est pas facile pour leurs enfants quand ils se retrouvent, tous les jours, avec d’autres enfants ou adolescents qui, eux, en sont pétris. Aujourd’hui, le second baby-sitter dont il faut sans doute se méfier, c’est Internet, mais les réponses sont identiques, et cette commune reste l’exemple des possibilités facilement réalisables, enrichissantes et sans traumatismes quand l’ensemble d’une communauté décide d’assumer ses propres responsabilités d’adulte.
P.S. La popularité actuelle de Berlusconi est-elle surprenante quand on sait qu'en Italie tous les moins de 30 ans ont grandi dans un pays où sur les 7 chaines nationales, 3 lui appartiennent, 3 sont sous sa botte depuis 2001, et la 7ème n’est visible partout que depuis quelques années ? Ce n’est pas moi qui le dit, mais The Economist.
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