« Budva se trouve au Monténégro, sur les bords de l’Adriatique. J’y suis allé début août. Budva est une station thermale et elle est surtout fréquentée par les Serbes. Le Monténégro aspire sans hâte à l’indépendance, il veut se détacher de
Oui, mes chers, les Balkans sont un vrai pays des merveilles. Dans un Etat qui en réalité n’existe pas encore, dans un Etat qui, il y a deux ans encore, participait à une guerre, et du mauvais côté, dans un Etat bombardé par les avions de l’OTAN, dans un Etat dont, récemment encore, les plus grosses recettes provenaient de la contrebande, dans un Etat dont l’Europe a une idée assez vague ou pas la moindre idée, et bien, dans cet Etat-là, on paie en euros. Partout. Sur les marchés, dans les magasins, les taxis, les hôtels. Les salaires sont payés en euros, tout comme les pots-de-vin. Avec des euros, on peut louer une voiture ou acheter un âne.
C’est ainsi qu’en été on voit débarquer la moitié de
Au milieu des étals de viande rôtie, des cabriolets de dizaines de milliers d’Euros et des fêtes foraines avec leurs manèges, leurs roues et leurs montagnes russes, au milieu d’une musique électronique sans vie et des femmes à moitié nues qui déambulent, incertaines sur leurs talons de 15 centimètres, gisent des enfants. Les enfants ont des couvertures et ils dorment. Ils sont couchés sur le trottoir et à côté de chacun d’eux il y a une boîte en carton pour les offrandes. Les passants évitent les figures gisantes, les dépassent, parfois il jettent 10 ou 20 centimes dans la boîte et vont plus loin. Tout autour une musique démente, catatonique, cogne, mais les enfants ne se réveillent pas. On les a sûrement bourrés de somnifères. A côté, derrière une enceinte en bois où la lumière est plus aveuglante et la musique encore plus forte, il y a une discothèque. On y est si serrés que ceux qui essaient de s’y amuser peuvent uniquement restés debout avec les bras en l’air. Un peu plus loin, il y a une femme avec un python de deux mètres de long enroulé autour de son cou et un homme avec un singe sur l’épaule. On peut se faire photographier avec une des deux bêtes. Tout l’ensemble, le long de mer, la promenade, la station thermale, tout baigne dans une solution faite de lumière nerveuse et stroboscopique et de fracas électronique. C’est ainsi que Budva s’imagine le grand monde et la modernité.
Dès qu’on sort de Budva les montagnes commencent. La route en lacets monte de plus en plus haut. Dix minutes plus tard, la station thermale, les discothèques et les talons de 15 centimètres disparaissent, et on a l’impression qu’ils n’ont jamais existé. On passe d’une misérable imitation de la modernité à un passé absolument réel. Des ânes paissent le long de la route, sur les pentes brûlées par le soleil les chèvres vont à la recherche de quelque chose de comestible. Au milieu de lieux déserts s’élèvent des maisons de pierre aux murs épais et aux fenêtres qui ressemblent à des meurtrières. Rien d’étonnant vu qu’ici la vendetta entre clans est encore en vigueur. Comme en Albanie, à 30 kilomètres. La maison devient alors un ultime refuge et une forteresse. Dans ce paysage, seules les voitures qui courent le long de la route vous rappellent que nous sommes au XXIe siècle.
Cette expérience de modernisation a en soi quelque chose de diabolique. On rejette tout ce qui a été au nom d’une modernité qui assume l’aspect d’une fiction, d’une illusion, d’une apparition luciférienne. Cela concerne tous les pays postcommunistes, même si dans une autre mesure. Mais il n’y a qu’au Monténégro qu’on peut l’observer en ne se déplaçant que de 15 kilomètres.»
Andrzej Stasiuk « La finta modernità di Budva », publié dans L’Espresso du 22.09.2005
Traduction de l’italien par ImpasseSud.
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