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« La Maffia fait la loi », Damiano Damiani (1968)
--> Titre original « Il giorno della civetta » (Le jour de la chouette)

Quel titre mal choisi ! Presque une trahison ! Avec un titre pareil, je n’aurais jamais eu l'idée de voir ce film, alors qu’au contraire, grâce à la subtitlité de son titre original, je l’ai vu plusieurs fois en version originale. Pourquoi n'a-t-on pas repris celui de la traduction française du livre de Leonardo Sciascia dont il est tiré, «  Le jour de la chouette » ? N'a-t-on rien compris ? « … come la civetta quando di giorno compare » (Shakespeare, Enrico VI) », peut-on lire en exergue. A l’époque où sort le livre de Sciascia, en 1961, la « mafia », - mot qu’on n’ose à peine employer, qu’on ne prononce qu’à voix basse -, est justement en train de changer radicalement de visage. Elle élargit son emprise, de l’ensemble du monde rural à celui des adjudications dans le domaine de la construction et des travaux publics, de la Sicile à l’Italie toute entière mais aussi au monde international…., comme la chouette qui, nocturne, secrète, presque invisible, change d'aspect quand elle sort au grand jour. Pour en revenir au film….

 

… Dans une petite ville intérieure de la Sicile, un entrepreneur en bâtiment vient d’être assassiné et son corps est retrouvé près d’une ferme isolée, celle des Nicolosi. La mafia fait tout pour faire passer ce crime pour un délit d’honneur, d’autant plus que le soi-disant coupable reste introuvable, malgré les fiers efforts déployés par sa femme, Rosa Nicolosi (Claudia Cardinale). Le capitaine  Bellodi (Franco Nero), commandant du poste des carabiniers, homme intègre originaire du nord de l’Italie, enquête avec acharnement dans un climat d'omerta qu'il essaie de secouer, à la recherche des preuves qui pourraient lui permettre d’envoyer en prison le puissant chef mafieux local, don Mariano Arena (Lee. J. Cobb), sans autre coupable vu que dans la ville rien ne se passe sans son consentement. Il y réussit, mais trouve seulement le cadavre d’un informateur (Serge Reggiani). Les accusations tombent et tout finit …. Mais dois-je le dire ?

 

Ce film peut satisfaire deux genres de spectateurs. D’un part, les amateurs de films policiers, de l’autre, tous ceux qui se posent des questions sur la mafia, sur sa façon d’agir, sur les mécanismes qui impliquent l’ensemble d’une population sans lui laisser d’autre choix, sur ses appuis au sein du monde politique. A vrai dire, c’est là le véritable sujet du film puisqu’il soulève le voile sur la spécificité sicilienne où tout est en subtilités, chaque geste, chaque détail, chaque silence, mais surtout tous les échanges et les dialogues, où tout le monde, sauf le capitaine Bellodi, bien entendu, parle par métaphore, mais où tout le monde se comprend parfaitement. 

« A l'étranger », disait le réalisateur italien Francesco Rosi dans une interview relâchée au Festival de La Rochelle en 2002, « on ne s'imagine pas ce qu'il faut faire pour combattre un pouvoir qui n'est pas seulement criminel et ancré dans la vie quotidienne, il faut combattre une organisation qui est aussi une culture. »


Les manifestations d’ « une culture » particulière imposée en tant qu'ordre moral, je crois que c’est surtout cela qu’il faut saisir dans ce film. L’affrontement entre don Mariano et le capitaine Bellodi qui vient l’arrêter en est une belle illustration :

- Moi, dit don Mariano, « j’ai une certaine pratique du monde. Et ce que nous appelons humanité, - et nous en avons plein la bouche de l'humanité, un grand mot plein de vent -, je la divise en cinq catégories : les hommes, les moitiés d'hommes, les minus, les - sauf votre respect - faux culs  et les « quaquaraquà »*...  Les hommes, il y en a vraiment peu, les moitiés d'hommes, il me suffirait que l’humanité s’arrête là. Mais non, elle descend encore plus bas, aux minus, qui ressemblent à des enfants qui croient qu'ils sont grands, des singes qui imitent les grands….. Et, encore plus bas, les faux culs qui sont en train de devenir légion. Et, pour finir, les « quaquaraquà » qui devraient vivre comme des canards dans une marre parce que leur vie n’a pas plus de sens ni plus d’expression que ceux des canards….. Vous, même si vous arrivez à me clouer comme un Christ en croix avec ces papiers-là, vous, vous êtes un homme… ».

- Vous aussi », dit le capitaine avec une certaine émotion. Et dans la gêne qu’il ressentit aussitôt à cause de ce salut des armes échangé avec un chef mafieux, il pensa, pour se justifier, qu’il avait déjà serré les mains, au milieu des clameurs d’une fête nationale et en tant que représentants de la nation entourés de trompettes et de drapeaux, du ministre Mancuso et du député Livigni, sur lesquels don Mariano avait sans aucun doute l’avantage d’être un homme. (...) « Pourquoi suis-je un homme, et non pas une moitié d'homme ou carrément un quaquaraquà ? » demanda-t-il avec une dureté exaspérée ?

-  Parce que », dit don Mariano, « dans la position de pouvoir qui est la vôtre, il est facile d’offenser un homme. Mais vous, au contraire, vous vous comportez avec respect ... (…)

- Et vous, vous croyez que le fait de tuer ou de faire tuer un autre homme est digne d’un homme ?

- Moi, je n’ai jamais rien fait de tel. Mais si vous êtes en train de me demander, pour passer le temps, en discutant de choses et d'autres, s’il est juste de supprimer un homme, moi je dis que tout d’abord, il faudrait savoir s’il s’agit d’un homme…. »


L'ambiguïté est complète, on vacille presque un instant, la ligne de démarcation entre le bien et le mal se fait moins nette....


Que ceux qui ne pourront ou ne voudront pas voir ce film lisent le livre de Leonardo Sciascia, « Le jour de la chouette », encore plus intéressant, plus puissant. Il ne faut surtout pas oublier que ce fut un des premiers écrits, au début des années 60, à dénoncer ouvertement la collusion existant entre la mafia et le pouvoir politique. Sciascia est décédé depuis dix-sept ans, mais il avait raison quand, déjà à cette époque, il disait que le pouvoir doit conserver l'autorité " morale ", sans laquelle il perd la possibilité de changer les choses. A méditer, encore plus aujourd’hui qu’hier, et pas seulement en Sicile. 

 

* Prononcer couacouaracoua : qualificatif de l’argot mafieux qui imite le cri des oies et des canards pour désigner, avec mépris, les gens qui ne savent pas tenir leur langue, les mouchards.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Mercredi 28 Juin 2006, 16:47 dans la rubrique "J'ai vu".