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Geremek Bronislaw, « La potence ou la pitié » (1978)
--> L’Europe des pauvres du Moyen-âge à nos jours.

« Crise financière » : jusqu’en septembre 2008, cette expression signifiait bien peu de chose pour la grande majorité des Occidentaux, pas assez âgés pour avoir bien connu celle de 1929. Les moins écervelés sentaient qu’elle arrivait, mais l’ensemble des populations préférait penser à autre chose ou croire aux bonimenteurs. Quel a été son impact en Europe ? Il est encore difficile de faire un bilan, d’une part parce qu’elle n’est pas terminée, et de l’autre parce que ses répercutions économiques ont été/sont différentes d’une région à l’autre, d’un secteur à l’autre, et qu’une bonne partie des symptômes qui la caractérise était déjà présent auparavant. Le fait, tant décrié, d’avoir rassuré et renfloué les banques a sans aucun doute évité la panique qui, elle, aurait été catastrophique. L’Europe de l’Est, par exemple, a été plus durement frappée que l’Europe de l’Ouest où, là encore, il y a de grosses différences. Telle région a vu son taux de chômage grimper terriblement, alors que dans telle autre presque rien n’a changé ; ou, au contraire, on a tout à coup assisté à la reprise de secteurs stagnants jusque-là. Malgré cette évolution disparate, on peut cependant déjà tirer deux conclusions.

 

La première, c’est que cette crise, contrairement à ce qu’on espérait, ne servira pas de leçon aux néolobéralistes vu que nos gouvernements capitalistes laissent que ses fauteurs restent à leurs places, permettent aux industriels en actifs de continuer à fermer pour aller gagner plus gros ailleurs, et, maintenant que le pire est évité, que ces mêmes banques sauvées de la faillite ou des difficultés « récompensent » la confiance des épargnants en abaissant brutalement les taux d’intérêt, et les contribuables en continuant à octroyer des bonus exorbitants à leurs dirigeants et à refuser des prêts aux entreprises. La seconde, c’est que, pour les classes moyennes des Trente glorieuses, le concept de « pauvreté » s’est tout à coup présenté comme une menace réelle dont elle se croyait définitivement à l’abris malgré l’augmentation de la fragilité économique de ces dernières années : toute proche, déjà tangible pour certains. Et c’est alors qu’après avoir circulé en sourdine pendant plusieurs années, ont commencé à jaillir les multitudes de thèses à propos des causes de la pauvreté, de ses mécanismes et des solutions possibles, avec les accusations envers les plus faibles, coupables de paresse, d’étroitesse d’esprit, d’idées protectionnistes, de déséquilibre social et de menace sécuritaire, avec les suggestions de fichage, rejet, travail obligatoire, allant même, ici en Italie, jusqu’à l’invitation, - non explicite, cela va de soi -, pour les inspecteurs du travail à fermer les yeux sur le travail au noir et sur les situation irrégulières. A mes yeux, tout cela est apparu comme un ensemble de scélératesses, et quand, au cours d’un débat télévisé, le conducteur a lu certains passages de « La pitié ou la potence » de Bronislaw Geremek qui traite justement des réactions engendrées par la pauvreté au cours du dernier millénaire, je n’ai eu de cesse de me le procurer.

 

Voilà un livre de référence, qu’on cite un peu partout, que j’ai mis un certain temps à lire, que je n’ai jamais eu envie d’abandonner avant la fin,  mais… pas facile à résumer. Je préfère donc rapporter ici l’introduction de la fiche de lecture d’Edouard Gardella (très intéressante) publié sur le site Melissa :
« 
Partant des deux constantes, de la fin du Moyen Age à nous jours que sont la distinction entre bons et mauvais pauvres et la perception seulement négative de la pauvreté, B. Geremek expose sa problématique : étudier les mutations des représentations des pauvres dans la conscience collective. Son projet est donc de contribuer à une histoire « des sentiments, de la sensibilité, et de l’imagination » [p. 15], tout en récusant l’évolutionnisme simpliste selon lequel la répression moderne succède à la charité médiévale, ces deux tendances pouvant parfois cohabiter dans les mêmes institutions. Pour mener à bien ce projet, les types de sources sont nécessairement divers : des archives parlementaires, judiciaires aux traités théologiques et théoriques [économiques ou sociologiques], sans oublier les textes littéraires. Si l’auteur ne définit pas le terme de représentation, on peut en prendre une acception globale : manière de penser ou de ressentir plus ou moins généralement partagée dans une société à une époque donnée, et qui, par sa vertu symbolique, oriente l’action. Mais on verra que Geremek ne tombe jamais dans le pur idéalisme ou dans une simple histoire des idées : les représentations apparaissent toujours comme des réponses à des problèmes posés par les mutations des structures socio-économiques. Son point de départ chronologique, même s’il le contextualise en reprenant le bas Moyen Age pour éviter de considérer la répression comme une constante transhistorique, sera alors le 16ème siècle, qui invente la centralisation de l’assistance aux pauvres et l’interdiction de mendier. La question historiographique majeure consiste alors à mesurer l’importance de la Réforme dans ce changement, à partir notamment de l’étude de M. Weber sur l’éthique protestante et de l’esprit du capitalisme dont s’inspire explicitement l’auteur. »

 

Personnellement, j’ai trois remarques à faire :
1) Ce livre extrêmement riche en informations est beaucoup moins clair qu’il pourrait l’être. Si je ne doute pas un seul instant que les experts du Moyen-âge et du XVIe siècle s’y retrouvent, pour une profane comme moi ou pour tous ceux que cette question intéresse simplement parce qu’elle est d’actualité, il s’agit d’un terrain continuellement fuyant, où l’auteur annonce, laisse entrevoir des données concrètes qui cependant n’arrivent pas, ou de façon si succinctes qu’on reste immanquablement sur sa faim ou carrément dans le flou. Ce n’est pas par hasard que l’intérêt de ce livre commence à croître, à mi-parcours, à partir du moment où l’auteur aborde l’examen ponctuel de certains cas spécifiques - Paris, Venise, Ypres, l’Angleterre – qui se révèlent des laboratoires exemplaires pour l’étude de la mendicité et de ses remèdes.
2) Cette part d’imprécision, cependant, n’empêche absolument pas de comprendre le but de l’auteur qui semble avoir voulu démontrer
que l’attitude face à la pauvreté, dans un éternel duel répression/assistance, part de l’interprétation qu’on en fait à une époque donnée et qu’à des époques similaires correspondent des interprétations similaires qui, en général, rencontrent l’accord de la population. « Le monde semble être peuplé, à toutes les époques, par des adeptes de la pauvreté volontaire qui louent l’abnégation, et par les apologistes du travail, de l’épargne et de la réussite matérielle, par ceux qui restent indifférents aux pauvres, souscrivant même à une politique répressive, et par ceux qui voient dans la miséricorde la vertu suprême. Ce qui change, ce sont uniquement les rapports de force entre ces différentes attitudes » [p. 316-317], entre les classes dominées et les classes dominantes du moment, n’empêchant jamais, quelle que soit l’époque et les interdits, les initiatives caritatives individuelles.

3) Dommage que l’étude entreprise par M. Geremek s’arrête aux années 70 du siècle dernier, une période faste qui, d’une part, avait remis à la mode l’éloge de la pauvreté volontaire, et, de l’autre, ne s’était pas encore engagée sur la voie de la globalisation. Car, à mon avis, ce livre appellerait un deuxième tome qui, hélas, ne viendra pas puisque son auteur est décédé, sur des sujets à peine effleurés dans les dernières pages, comme la question de savoir si la pauvreté d’une partie de l’humanité est une condition nécessaire au capitalisme, ou pourquoi, contrairement à ce qu’il en a souvent été jusqu’à présent, les sentiments d’injustice et de révolte contre les inégalités ne remplissent plus leur rôle unificateur chez les pauvres.


A lire ! La lecture de ce livre élargit vos horizons et on en ressort différent.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Lundi 31 Août 2009, 16:23 dans la rubrique "J'ai lu".

Commentaires et Mises à jour :

Incognito
02-09-09 à 09:38

Lien croisé

« La potence ou la pitié », Bronislaw Geremek : "sion signifiait bien peu de chose pour la grande majorité des Occidentaux, pas assez âgés pour avoir bien connu celle de 1929. Les moins écervelés sentaient qu elle arrivait, mais l ensemble des populations préférait penser à autre chose. Quel a été son impact en Europe ? Il est encore difficile de faire un bilan, d une...Entre mer et maquis (...)Lire l'article complet"

 
ImpasseSud
21-06-10 à 16:49

Une interview très intéressante de Bronislaw Geremek

Dans les archives vidéo de TSR à propos de la marginalité et de la pauvreté au Moyen-Age avec un parrallèle avec la marginalité actuelle avec les "inutiles au monde".