On s’imagine souvent que seule une censure affichée peut tuer la satire. C’est tout du moins ce que je pensais il y a encore quelques temps, quand je n’avais pas encore les idées très claires à ce sujet. Seul le vécu nous les rend limpides. Quand on évoque le mot de censure, dans l'imaginaire circulent des articles de journaux non publiés, des émissions annulées, des sites fermés, des auteurs bâillonnés, des intimidations, voire même des arrestations. Cependant, même à petite dose, cette imagerie n’est pas forcément exacte, vu qu’elle s’adapte surtout aux pays sans liberté d’expression. Dans nos pays démocratiques ou présumés tels, je pense qu’il existe un type de censure bien plus subtil, bien plus sournois, presque indolore, mais beaucoup plus efficace parce que beaucoup moins perceptible à travers l'usurpation de la satire justement, un mécanisme qui déclenche rarement l'indignation, tout au plus quelques réactions sporadiques.
Car la satire ne remplit son rôle que si elle met en évidence et aux yeux de tous le ridicule d’un personnage en vue (d’une société, d’un organisme, d’un gouvernement, d’une gestion, d'un courant d'opinion, etc..) et susctite chez lui/elle un sentiment de honte propre à suggérer un changement de comportement. Depuis quelques temps, cependant, nos personnages que je regrouperai sous l'adjectif largement transversal de « publics » font tout et n’importe quoi, disent tout et n’importe quoi, nient carrément l’évidence ou se démentent le lendemain, se conduisent sans préjudices ou critères moraux, étalent leurs affaires en plein jour, mettent l'absence de respect et la provocation à la mode, allant même jusqu’à promouvoir cette façon-de-faire en modèle qui paie en retour. Le ridicule et la honte ont disparu. Bien sûr, il y a encore des pamphlets qui vous valent un procès, mais si le bon peuple passe déjà son temps à se repaître et à rire de ce cinéma permanent, apparemment si bon-enfant qu’il finit par excuser ses auteurs, que peut bien vous servir d'autre la satire ?
Dans ces circonstances, la satire ne peut plus qu’être banale, répétitive ou violemment outrancière pour essayer de frapper. Et là, soit elle génère l'ennuie, soit elle choque, devenant ainsi carrément contre-productrice. Au mieux, elle fait beaucoup moins rire qu’un Berlusconi, par exemple, qui, en plein crise mondiale, va trouver Bush, lui fait dire « buongiorno » au micro, et la main sur l’épaule et le visage hilare le couvre de compliments à propos de l’excellence de ses deux mandats qui ont fait de lui l'un des plus grands présidents des Etats-Unis (sic). « Au moins, lui il fait rire », ne cessent de répéter les gens stressés. N'a-t-on jamais autant besoin de rire que quand on n'en a plus envie ? Sa popularité n’a jamais été aussi haute dans les sondages. C'est ainsi qu'est née une pseudo-satire dans le sens du vent, c’est ainsi que son parti peut présenter la candidature d'un de ses avocats personnels, actuellement sous enquêtes judiciaires, comme juge à la Corte Costituzionale, c'est ainsi qu'il peut faire et faire passer tout ce qu'il veut... Désormais, non plus messagère du ridicule ou de la honte mais de l'ennui, la véritable satire reste sans écho et la censure a gagné.
Bien entendu, ici je me réfère plus spécifiquement à l’Italie, bien que... de l'autre côté des Alpes... Et chez vous, comment se porte la satire ?
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La satire pourrait-elle mieux faire que le président...