Malte. Drôle d’île ! Je ne décrirai pas cet étrange rocher fortifié qui vous semble imprenable quand on arrive de la mer. Je ne parlerai pas des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, installés là depuis 1550. Je ne dirai rien non plus des rues étroites de La Valette, sa capitale, avec ses balcons suspendus d’un bois finement ciselé, fermés aux regards indiscrets, ni de ses maisons construites avec la douce pierre calcaire d’un jaune ocre doré uniforme au coucher du soleil. Je ne citerai pas non plus une seule de ses 365 églises. Ses collines, ses minuscules champs de pommes de terre, ses lapins sauvages, ses petites vignes naissantes, ses trois ou quatre plages brunes, ses luzzus* multicolores et ses falaises abruptes ne me tireront pas un mot. Je passerai sous silence ses autobus datant de l’époque anglaise, rafistolés avec génie et décorés de fresques aux couleurs vives, avec des naïvetés catholiques, qui sillonnent l’île du matin au soir. Pas un mot non plus sur cette civilisation ancienne qui, disparaissant à l’improviste, abandonna des monuments mégalithiques vieux aujourd’hui de près 4000 ans. Et je voudrais taire sa configuration géographique qui, si bien placée entre l’Europe et l’Afrique, attira les Phéniciens, les Romains, les Arabes, les Normands, les Castillans, les Français et les Anglais, chacun de ces envahisseurs laissant derrière lui un peu de son empreinte. Il faut la visiter.
Je dirai simplement quelques mots à propos d’un voyage de retour pas vraiment comme les autres.
Ces vacances de Pâques nous avaient vu nous embarquer depuis l’Italie, non pas à bord du bateau de ligne entre Reggio de Calabre et La Valette, mais bien sur un vieux cargo maltais qui faisait trois fois par semaine l’aller et retour entre ces deux villes. Point d’escale à Syracuse donc, mais douze heures en mer et de nuit, dans des conditions semi spartiates, car ce bateau n’avait pas les ailerons prévus pour le confort des passagers et il fallait y avoir le pied marin. Tous ceux qui connaissent le Canal de Sicile, ce bras de mer qui sépare la Tunisie de la pointe la plus méridionale de la Sicile, avec Malte au beau milieu, savent qu’il est renommé pour son imprévisibilité : les tempêtes de nord-ouest y arrivent presque sans aucun préavis, et elles sont souvent très violentes.
Au moment de notre embarquement, non loin de nous dans le port, il y avait un immense voilier blanc, un quatre mâts, qui se préparait lui aussi à lever l’ancre. Et, nous, de notre coque un peu rouillée aux odeurs mêlées de gasoil et de tambouille, nous regardions cette merveille de l’homme avec un brin d’envie pour ceux qui étaient à bord. Pouvait-il partir ailleurs que pour un voyage de rêve vers les mers du sud ?
Il avait appareillé un peu avant nous, et à notre sortie du port, nous l’avions aperçu, dans le jour déclinant, bien loin déjà, filant plein vent vers l’est, toutes voiles déployées. « Alors, il se dirige vers les îles grecques », avions-nous pensé. Le mistral, en effet, était au rendez-vous, et l’alliance du roulis et du tangage nous avait vite projeté vers nos couchettes. « Projeter » est bien le mot, on décollait ce soir-là, et je passerai sur les détails qui nous avaient occupés une bonne partie de la nuit. Vers deux heures du matin, cependant, la mer s’était calmée, en l’espace de quelques minutes. Nous étions au large de la côte sicilienne, et le Mistral n’y avait plus droit d’entrée. Finalement, nous avions pu nous assoupir, et c’est le lever du jour, à travers les rideaux bleus d’obscurcissement, qui nous avait réveillé. Voir l’état de la mer et à quel point en était notre rapprochement de la côte calabraise avait été le premier de mes soucis. J’étais vite sortie sur le pont….
Le voiler était là, presque immobile, les voiles presque toutes repliées, à quelques brasses, d’une blancheur éclatante dans la lumière du matin, d’une beauté à vous couper le souffle. Je ne me souviens pas d’avoir chercher à savoir son nom, mais il ressemblait à l’Esmeralda, … et il sillonnait la même mer que nous.
* luzzus : barque de pêche
(photo)
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Commentaires et Mises à jour :
Re:
Je suis incapable de te répondre. Nous nous trouvions dans le détroit de Messine, et pour nous la traversée était pratiquement terminée. J'étais emerveillée, c'est tout. Comme je l'ai écrit, c'était un quatre mats qui ressemblait à l'Esmeralda. Etait-ce lui ? Les quatre mats ne sont pas si nombreux que ça. En fait, c'est le seul que j'aie jamais vu.
Par contre, je connais assez bien, pour l'avoir visité deux fois, un autre navire-école, l'Amerigo Vespucci (voir aussi ici). C'est un trois mats, noir et blanc, tout en bois, construit en 1931, en couple avec un autre voilier, le Cristoforo Colombo (qui, je crois, a coulé). Il est patiné par le temps. Un vrai joyau, lui aussi. Mais rien à voir, comme taille, avec ce grand voilier blanc.
rêves en voilier...!
Tu as le chic pour nous faire rêver, j'ai cliqué sur l'album photo et je comprends que tu ne te lasses pas de le visiter dès que l'occasion se présente!
http://www.photoalbum.co.nz/vespucci/
J'aime aussi les voiliers car ils représentent tout ce que l'homme a su faire comme intégration pacifique et humaine dans la nature, sans la déranger!
Re: Re:
Le Cristoforo Colombo n'a pas coulé ; il a fini comme soute à charbon dans la mer Noire, hélàs !! C'était une prise de guerre (seconde guerre mondiale). Sauf erreur de ma part !
Sylvia, Nice.
Re: Re: Re:
Sylvia, merci pour cette mise au point.
Il semble bien que vous ayiez raison. Sur le nouveau lien (en italien) que je viens de mettre à la place du lien-cassé du deuxième commentaire, on peut lire en effet que le Cristoforo Colombo, fabriqué trois ans avant l'Amerigo Vespucci, c'est-à-dire en 1928, aurait été cédé à la Russie.
"Pour faire avancer ce monstre d’acier et ses 2.900 m2 de voiles..."
http://www.softocean.org/steph/actualite/index.html
Quand on voit la beauté de ce quatre mats chilien "Esmeralda", on ne peut l'imaginer en acier !
Celui que tu as vu, ImpasseSud, était-il en bois?
Un peu chaotique ton voyage pour mériter cette belle surprise!