Olga, fille unique d’un immigré russe échoué dans la Creuse et maîtresse femme en bataille contre ses cancers inguérissables depuis six ans, est finalement sur le point de s’éteindre dans un centre de soins palliatifs pour malades terminaux, dont seuls les murs sont roses. A son chevet, ses quatre filles sur la cinquantaine et ses petits-fils se donnent le relai. Après son décès, chacune des filles fait le point sur ses propres souvenirs par rapport à ceux de ses sœurs. (Un bon résumé ici). Voilà donc deux grands thèmes d’actualité. Le premier, très important, relatif aux résistances que notre société d’aujourd’hui persiste à opposer, moralement, hypocritement et concrètement, « au droit de mourir sans déchéance » pour les malades condamnés. Le second, bien plus classique : le rapport mère-enfant, mère-fille dans le cas présent, différent pour chaque enfant d’une même mère. Sur ce livre et Françoise Chandernagor dont je connais la réputation depuis longtemps, mais dont c’est « mon » premier livre, je n’ai trouvé qu’une suite d’éloge… Alors va savoir pourquoi il ne m’a pas plu, et qu’à un certain point, j’ai même fini par le trouver mauvais.
Le style et le langage, tout d’abord.
Même s’il est fluide et l’histoire bien construite, il sent le bachotage, la recherche de l’étalage le plus complet et le plus précis possible. Ensuite, au snobisme vieillot d’un langage parisien que je déteste depuis toujours parce que j’ai eu une flopée de parents de cet acabit, mal placé qui plus est vu que la région protagoniste est la Creuse, l’auteure a ajouté un débordement d’expressions et de mots qui se voudraient aguichants, intimes, familiers, d’époque éventuellement, mais qui finissent par sonner faux par excès. Et ne parlons pas de l’abondance de publicité implicite qui va de Danette à Darty, de Maxwell au K-Way, de J & B à Panzani, etc., sans oublier les noms de certains médicaments. A se demander si elle a été sponsorisée.
Le contenu maintenant.
Comme si les deux thèmes évoqués plus haut n’étaient pas suffisants, pas assez importants, l’auteure réussit à réunir et à faire endosser à ce petit noyau familial un nombre incroyable de thèmes secondaires qui vont de l’amour à la cruauté maternelle, au viol, au divorce à foison, au suicide et au rejet des hommes ; de la marginalité entre alcoolisme et dépendance médicamenteuse et psychopathe, aux rapports sexuels faciles chez les adolescentes et à l’avortement ; de la pédophilie à l’homosexualité et à la bigamie ; sans oublier le testament biologique. Et, pour assaisonner le tout, elle n'ajoute rien de moins que le cadre solennel de la cathédrale de Limoges avec chants et grandes orgues (... toutefois sans réussir à décrocher l’évêque) pour l’enterrement de cette femme d’un tout petit village de la Creuse, inconnue et incroyante, ainsi que les changements climatiques avec la grande tempête de l’an 2000, la canicule de 2003, et des tuyaux pour récupérer le sens du terroir. C’en est vraiment trop, je n’en pouvais plus. Après un final qui vous laisse tout d’abord dépités, j’ai presque été soulagée et me suis dit que la liste des sujets à caser était probablemment terminée. Quant aux petits-enfants, tous mâles et apparemment tous parfaits, - c’en est presque anormal -, elle ne les sort de l’ombre que pour quelques touches d’excellences.
Si un tel concentré est peut-être nécessaire quand on écrit un roman historique, dans un livre sur le temps présent, ce cumul devient vite une surcharge indigeste, et je ne comprends vraiment pas qu’aucune critique ne l’ait souligné.
Mais venons-en aux deux thèmes principaux.
Si l’assistance des quatre filles d’Olga envers leur mère est un peu forcée dans son indéfectibilité compte tenu de la durée de sa maladie, des distances, des professions et des charges de familles respectives des premières, j’ai quand même beaucoup apprécié la dénonciation explicite d’un corps médical peu attentif envers les malades d'une part, de l’hypocrisie des soins palliatifs en second lieu, et, pour finir, de l’implacabilité cruelle de la mainmise étatique sur la fin de la vie.
Quant à l’étude des rapports respectifs des quatre filles avec leur mère, il est évident que les rapports entre mère et enfants, et par conséquent l’image que chacun d’eux s’en fait, varient selon l’ordre d’arrivée de chacun d’eux dans la famille, les circonstances faciles ou difficiles de la vie qu’ils affrontent, l’équilibre (toujours variable) de la vie intime de la mère, des caractères, goûts et affinités respectives de la mère et de chacun de ses enfants. Ici, Olga est sans autre égoïste, cruelle et un peu hystérique, elle divise pour mieux régner et veut régner jusqu’à la fin, mais faut-il pour autant lui faire endosser l’entière responsabilité des dépendances de ses filles ? La réussite des petits-fils, par contre, dont elle s’est également occupée, ne nous invite-elle pas à penser qu’Olga aurait été une meilleure mère avec des garçons ?
Le fait est que la vie n’est facile pour personne et qu’elle a toujours eu et continuera toujours à avoir ses impondérables. La mère qu’on a ou qu’on a eu, à qui on a presque toujours des reproches à faire même quand elle est ou a été une bonne mère, ne pouvait, ne peut pas plus être parfaite que nous-mêmes avec nos propres enfants. Je crois qu’il faut s’en faire une raison, ne jamais perdre de vue la réalité, laisser ses propres enfance et adolescence à la place qui sont les leurs, et tourner résolument la page vers l’avenir, au lieu de verser dans le travers, décidément trop à la mode aujourd’hui, d'investir nos mères en causes ou en responsables de toutes nos difficultés, imperfections ou frustrations. La métaphore du cordon ombilical est souvent une fausse excuse, car comme dans la réalité physique, il y a un moment exact où il faut savoir le couper, - ce qui ne signifie pas qu'il faille couper les ponts -, et forger sa propre vie d’adulte.
Bref, d’un excès à l’autre, Madame Chandernagor a soulevé beaucoup de lièvres, déclanché beaucoup de réflexions avec ce roman. Mais est-ce vraiment un roman ? Moi, j’ai plutôt l’impression d’avoir lu une très longue dissertation romancée, à laquelle je mettrais .... Allez, c'est bientôt Noël,... 13/20. Mais je ne crois pas que je reviendrai de si tôt à cette écrivaine.
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Commentaires et Mises à jour :
Re:
J'ai lu votre billet avec intérêt moi aussi et vu que vous aviez déjà une certaine connaissance de Françoise Chandernagor avant d'aborder ce livre. Est-ce une des raisons de nos divergences ? Saviez-vous déjà ce qui vous attendait en matière de "densité" ?
Là où vous avez vu de la lenteur, moi, je n'ai vu qu'une occasion de gavage, confirmée par la fin, comme si l'auteur avait pensé : "Maintenant que j'ai parlé de tout ce dont je voulais parler, je laisse la fin à l'imagination du lecteur." Pour cette fin, je suppose même qu'elle s'est trouvée prise de court .... car à la différence des romans historiques qui, si je ne m'abuse, sont sa spécialité, ici le dénouement n'existe pas encore.
Si j'aime faire des résumés et commenter bon nombre des livres que j'ai lus, c'est en partie pour "ajuster" ma première opinion en la mettant noir sur blanc. Et il arrive en effet que je la tempère, voire même que je la corrige, mais dans le cas présent, j'ai été indisposée dès les cent premières pages et cette impression ne m'a plus quittée.
Comme je l'écris dans mon billet, je pense qu'on ne peut pas écrire un roman du temps présent comme un roman historique, d'autant plus quand il s'agit d'introspection. L'introspection nécessite du recul. Les véritables comptes que l'on fait avec ses propres parents s'étalent sur des années après leur décès, et non pas sur un an ou à peine plus. Il faut laisser décanter. Les romans historiques, avec leurs points de repères stables laissent des portes ouvertes et des libertés interdites aux protagonistes d'une histoire contemporaine, actuelle, et l'écrivain qui n'en tient pas compte risque de friser le roman à l'eau de rose. Comment se fait-il que Françoise Chandernagor qui n'est plus une jeune femme et dont l'expérience d'écrivaine n'est plus à démontrer ne le sache pas ?
Re:
Je n'ai pas ressenti cette impression de gavage. Je ressens ce que je qualifie de lenteur comme un poids en raison de la gravité des sujets abordés, mais ce que vous qualifiez de gavage, je l'interprète différemment. Une envie d'être infiniment précise? Pour transmettre le ressenti des personnages - un ressenti pesant, complexe, qui plus est -, n'est-il pas nécessaire de donner au lecteur autant d'élucubrations que n'en subirait un personnage qui est confronté à la / aux situation(s) décrites?
Par contre, je vous comprends assez bien concernant la fin. Je comprends vos sentiments, mais j'ai rien pensé de pareil de prime abord. J'ai cherché à comprendre pourquoi Chandernagor avait choisi cette fin, sans aboutir à une réponse quelle qu'elle soit. Je n'ai toujours pas de réponse, mais il me décevrait de croire que c'est un bâclage, je fais donc le choix de repousser cette hypothèse.
Vous dites "je pense qu'on ne peut pas écrire un roman du temps présent comme un roman historique, d'autant plus quand il s'agit d'introspection."
Et là, quelque chose m'échappe : pourquoi s'acharner à croire que La voyageuse de nuit est un roman historique? Pourquoi, sous prétexte qu'elle en a écrit plusieurs auparavant, Chandernagor ne pourrait-elle pas se décoller de cette étiquette de "faiseuse de romans historiques"?
Vous auriez reproché à La chambre ce que vous reprochez à La Voyageuse de nuit, j'aurais compris (...)
Par contre, oui. Il faut décanter, je suppose. Mais les propos tenus par les personnages de ce roman (les 4 Le Guellec) sont-ils si invraisemblables? Pensez-vous vraiment que Katia, Véra, Sonia et Lisa s'expriment comme si elles avaient pris du recul? ...
Re:
En ce qui concerne le final : non, je n'ai pas pensé à un bâclage, mais plutôt à une réelle décision. Pour FC, j'imagine, la fin reste réellement ouverte, sans grande importance, car ce qui comptait c'était d'aborder tous les sujets qu'elle s'était proposés.
Ensuite, je me suis sans doute mal exprimée car je n'ai jamais pensé que La voyageuse de nuit était un roman historique. Ce que je voulais dire c'est que, - à mon avis bien entendu -, FC, spécialiste du roman historique, a écrit ce roman du temps présent comme s'il s'agissait d'un roman historique dans lequel il est obligatoire d'introduire un bon nombre de données relativement précises pour que le lecteur puisse, d'une part, le situer dans le temps, et, d'autre part, acquérir le nombre de connaissances nécessaires à sa compréhension. Dans La voyageuse de nuit, on se retrouve en 2005-2006, donc en plein présent avec quelques retours en arrière très facilement datables, et bon nombre d'approfondissements et de détails sur un contexte que le lecteur connaît puisqu'il y vit, sentent le bachotage, la bonne élève qui doit montrer qu'elle est au courant de tout.... même des marques ! J'ai trouvé cela très scolaire, et c'est la raison pour laquelle j'ai pensé à une dissertation et eu envie de mettre une note.
Et pour finir, en ce qui concerne les 4 filles Le Guellec, j'ai du mal à répondre à votre question du fait que pour moi, dans ce livre, tout sonne faux par excès. Ce cumul de problématiques fait que Katia, Véra, Sonia et Lisa (tout comme Olga, son mari et Tata salope d'ailleurs) n'ont l'air d'être là que pour les personnifier, et de façon presque caricaturale. C'est ce qui fait presque de ce roman un roman à l'eau de rose, avec les personnages stéréotypés et sans nuances qui habituellement les caractérisent.
Re:
Merci d'avoir développé, je suis très contente d'avoir avec vous partagé mes ressentis à propos de ce livre. Votre avis tempère le mien, bref, l'échange me fut enrichissant.
Au plaisir :-)
Avez-vous une idée de la raison pour laquelle Chandernagor a voulu cette fin plutôt qu'une autre? Moi aussi, elle me désappointe franchement...