Pour une fois la présentation de l’éditeur me va très bien : Au début des années 1880, Aimé Victor Olivier, que les Peuls appelleront Yémé et qui deviendra le vicomte de Sanderval, fonde le projet de conquérir à titre personnel le Fouta-Djalon et d'y faire passer une ligne de chemin de fer. On a presque tout oublié de lui aujourd'hui: il fut pourtant un précurseur de la colonisation de l'Afrique de l'Ouest et ses aventures faisaient le régal des gazettes de l'époque. Au cours de ses cinq voyages successifs, Sanderval parvient à gagner la confiance de l'almâmi, le chef suprême de ce royaume théocratique qu'était le pays peul, qui lui donne le plateau de Kahel et l'autorise à battre monnaie à son effigie. De ce personnage haut en couleur, Tierno Monénembo nous offre une foisonnante biographie romancée. L'épopée solitaire d'un homme, Olivier de Sanderval, qui voulut se tailler un royaume au nez et à la barbe de l'administration française... et des Anglais.
Voilà donc un roman extrêmement intéressant du fait qu’il lève le voile sur les précurseurs du colonialisme, tous ces gens qui, comme René Caillé qu’admire profondément Olivier de Sanderval, ont simplement étés happés par le vide des cartes d’Afrique du XIXe siècle, poursuivant leurs rêves dans un esprit d’aventurier plus que de conquérants. Même si notre héros fait penser à Don Quichotte et les aberrations du colonialisme montant à « Cœur des ténèbres » de Joseph Conrad, ici, grâce à la plume d’un écrivain guinéen, Peul qui plus est, l’optique est nouvelle : on se trouve finalement à équidistance des Peuls et de la civilisation occidentale de l’époque, mais sûrement en faveur et en défense des premiers, irrémédiablement défaits ensuite par les ambitions politiques et militaires de l’époque. Ce qui fait que malgré le côté hautement picaresque de ce récit bien écrit et riche en informations (1), il vous reste une sorte d’incomplétude la dernière page tournée, comme s’il restait un non-dit.
D’incomplétude ou d’amertume ? Certains y voient un dernier coup de griffe peul : « l'ombrageuse race peule, réputée rusée, méfiante, fanatique et perfide, toujours sur ses gardes, jamais vraiment amie ». Le fait est que tout au long des 264 pages de ce roman, il y a quelque chose qui m’a empêchée de m’y attacher. Est-ce le détachement discret de l’auteur ? Est-ce le fait que cette biographie, débordante d’enthousiasme, est au contraire la énième démonstration que nul n’est prophète en son pays ? Est-ce l’illustration que l’Histoire laisse rarement la place aux intentions, non pas louables, mais ne seraient-ce que tolérantes, voire égalitaires dans la diversité ? Est-ce la mise à nue des sales jeux de la politique, tellement semblables à ceux d’aujourd’hui ? Ou l’évidence que face à l’intelligence et l’ouverture d’esprit, même additionnées de ruse, c’est la poussée des plus frustrés qui finit toujours par l'emporter ?
Y a-t-il un peu de tout cela derrière ce roman de Monénembo publié il y a à peine un an ? On sait que chaque lecteur lit, comprend, perçoit selon des clefs qui lui sont propres. Ceux qui ont déjà lu ce livre se sont peut-être fait une autre opinion, ils ont peut-être tiré d’autres conclusions. Quoi qu’il en soit, il s’agit sans autre d’un bon livre, ne serait-ce que pour son point de vue original, son unité historique, et pour la poursuite plaisante de la trame. Alors, si ce n'est déjà fait, qu'on le lise.