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Grossman David, « Le sourire de l’agneau », (1982)

Un roman d’inspiration politique à quatre voix en pleine question israélo-palestinienne : Uri, Shosh, sa femme, Katzman et Khilmi en sont les protagonistes. Uri et Katzman ont des caractères diamétralement opposés. Le premier est un jeune idéaliste, plein d'ardeur et d'enthousiasme. L'ingénuité aveugle avec laquelle il regarde le monde, qui amène souvent sur son visage le « sourire de l'agneau », le pousse à accepter la proposition que lui fait Katzman de le suivre à Djunni, ville des Territoires occupés dont il est le gouverneur militaire, pour l'aider dans les rapports de l'armée avec la communauté locale. Katzman, au contraire, ...

 

... rescapé des persécutions nazies, est incapable d'éprouver le moindre sentiment envers les autres, les terribles années de son enfance lui ayant ôté toute illusion sur l'être humain. Shosh, la femme de Uri, psychologue dans un centre de récupération pour adolescents difficiles, imbue de ses capacités et perpétuelle fausse tourmentée, ne sait plus bien où elle en est après le suicide d’un de ses jeunes patients. Khilmi, le fou bossu, le traître, le conteur illettré, rejeté par son village mais à qui tous les pères amènent en épouse leurs filles enceintes non mariées, vient de perdre le seul de tous "ses" enfants qu'ìl ait aimé, Yazdi, devenu terroriste.
Est-ce dû à Shosh dont la crise précipite après qu'elle ait révélé son secret, est-ce à cause de la douleur que Khilmi cherche à noyer dans le sentiment filial qu'il éprouve pour Uri, connu par hasard, mais dans ce huis clos souvent étouffant, quelque chose se passe, et tous les acteurs deviennent les otages de la corrosion éthique et morale provoquée par l’occupation. La notion de justice se détériore lentement, tournant à l'injustice : "A Djunni, j'avais appris comment tournent les roues de l'injustice. Quand on commet une injustice envers quelqu'un, on reste coincé dans le mouvement de la roue". Espoir, amour et trahison assument des contours nouveaux et inquiétants.

 

Bien que je l’aie lu assez rapidement, combien de fois me suis-je demandée si j’arriverais au bout de ce roman ? Car rien n’y est facile, tout y est complexe et compliqué, même si l’écriture est fluide et la construction savamment et délicatement élaborée. La recherche d’une vérité existentielle qui frise la schizothymie chez Shosh, la plongée dans les tréfonds de l’âme des protagonistes, y sont si denses qu’on finit par manquer d’air, comme si on devait partager le fardeau de l’immense fatigue qui pèse sur chacun d’eux. En plus, les descriptions poétiques, les recours aux images et à la grande tradition arabe de la fable peuvent sans aucun doute séduire ceux qui sont capables de se laisser prendre sous leur charme, mais elles impriment au récit une lenteur parfois difficile à supporter. Toutefois, il faut bien se garder de les sauter, car c’est là que se trouve, justement, le détail, la motivation de tel acte ou tel comportement, les informations essentielles à la compréhension de l’histoire. Histoire qui permet, vu qu’elle nous est racontée de l’intérieur, de mieux découvrir ce peuple israélien, si disparate dans son unité parce qu’il n’a pas encore eu le temps d’arriver à un normal décours générationnel, qui, souvent sans haine à la clef, se retrouve contraint à attaquer pour ne pas l’être, et qui, comble du paradoxe, comprend mal la passivité fataliste de la population palestinienne.... Il ne faut pas oublier que ce livre a été écrit en 1982.

 


Même s’il est très intéressant, ce premier roman de David Grossman n’est certainement pas d’une lecture facile. Mais arrivée à la fin, j’ai cependant eu l’impression gratifiante d’avoir fait un premier pas dans l’œuvre d’un auteur contemporain important, tout d’abord découvert à travers plusieurs entrevues et émissions transmises sur les chaînes italiennes, lors de la sortie d’un de ses livres en italien ou de la remise d’un prix couronnant son travail pour la paix en Israël. Car il est engagé dans ce sens depuis longtemps. Je ne peux donc que recommander ce livre qui, bien qu’empreint de pessimisme, ne peut que mener vers une plus grande compréhension d’une question, hélas, toujours plus brûlante. Je reviendrai sans aucun doute à cet écrivain, et, pour ceux que ça intéresse, David Grossman a également publié de nombreux livres pour enfants.  

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Samedi 16 Juin 2007, 11:17 dans la rubrique "J'ai lu".