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Khadra Yasmina « Les agneaux du Seigneur », (1998) et « La guerre d'Algérie, 1954-1962 »

J'ai trouvé ce livre épouvantable ! Je ne sais pas si Ghachimat est peuplé d’ "agneaux du Seigneur", mais dans ce petit village de l’Algérie des années 90 il n’y a que de la haine. Et de la haine on va glisser une fois de plus vers l’abattoir. Les nouvelles qui arrivent d’Alger et le retour au pays d’un de ses enfants fanatisé en Afghanistan servent tout à coup de catalyseur (ou d’autorisation implicite) au déchaînement d’antiques désirs de vengeances trop longtemps couvés et réprimés, à l’explosion des pires barbaries qui mettent tout à feu et à sang sans plus aucune forme de respect pour la vie ou quoi que ce soit, et à la libération de toutes les rancunes, jalousies, avidités et soifs de pouvoir. On commence à incendier, torturer, égorger sans fin. Pour se libérer d’un joug traditionnel ? Au nom d’un véritable intégrisme musulman ? Ou pour finalement régler des comptes vieux de trente ans, toujours en suspens ?

 

Ces questions-là, je me les suis posées, car la réponse n’est pas nette. Yasmina Khadra veut sans doute parler de l’intégrisme musulman, mais il n’en parle pas assez, il en minimise même l’influence. Il veut peut-être décrire une rébellion nationale, mais les échos en sont trop faibles. S'agit-il de circonspection ? Par contre, les recours au passé sont clairs, assidus, récurrents, et la seule chose de sûre, c’est qu’un chapitre après l’autre, on s'enfonce toujours plus dans le cynisme, les tueries et le pire du genre humain, un broyage auquel rien ni personne ne semble pouvoir échapper, pas même les noyaux familiaux traditionnels où désormais le fils se dresse contre le père et où les femmes elle-mêmes sont pétries de haine et de sottise. Quant aux envolées lyriques qui annoncent régulièrement le jour et la nuit, à mon avis, elles sont un peu trop sanglantes, elles aussi : « Quelques mèches sanguinolentes tentent vainement de s’agripper aux nuages » (p.11), ou encore « la nuit retrousse ses basques sur les blessures purulentes du levant » (p. 55). Ou est-ce voulu ? Et que dire des adjectifs modernes que l’auteur met dans la bouche des anciens ?

 

Si je dis que ce livre ne m’a pas plu, c’est presque un euphémisme. Il m’a même franchement indisposée, la provocation est trop forte, même si elle reflète la réalité. Il me faut comprendre ce qu’il y a derrière, même s’il s’agit d’un roman. Comment a-t-on pu le qualifier de « cri magnifique » ? Ici, on pousse un cri, cela ne fait aucun doute, mais il est atroce ! Dénonce-t-il seulement les horreurs de la guerre, ou est-ce que ça va beaucoup plus loin ? D’autant plus que ce cri semble se perdre dans le néant, rester sans écho, n’appeller aucun rachat. Comment certains critiques ont-il pu trouver de "l'espoir" dans ce livre-là ? A l’époque dans laquelle on vit, celle des durcissements identitaires, de cette lecture, moi, au contraire, je suis ressortie complètement accablée.

 

Incapable cependant de jeter ce livre dans un coin et de ne plus y penser car j’ai toujours éprouvé une grande sympathie pour l’Algérie que j’ai un peu connue il y a plusieurs années et où j’y avais des amis aujourd’hui disparus ou perdus de vue, je me suis dit qu’un livre de ce genre, on ne l’écrit pas par hasard. Yasmina Khadra semble être un écrivain (trompée par le pseudonyme féminin, j’ai acheté ce livre en pensant qu’il s’agissait d’une écrivaine, car voir l’Algérie des intégristes à travers le regard d’une femme, voilà qui m’intéressait grandement !) à la J.M. Coetzee. Alors, derrière ce roman, n’y a-t-il pas un aspect de l’Histoire qu'en France on a souvent omis de nous raconter ?

 

 

 

C’est ainsi que je suis allée prendre un petit livre en attente sur une étagère : « La guerre d’Algérie, 1954-1962 », un document de 122 pages des Editions Librio, qui en retrace les principales phases à partir d’une sélection d’articles publiés en temps réel mais aussi quelques années plus tard dans Le Monde. Ce que j’y ai découvert va bien au-delà de ces huit années de guerre d’indépendance dont aujourd’hui en France bonne partie de la population ne sait plus rien.

Dans ce qui, à l'époque, ne s'appelait pas encore l'Algérie, la rébellion et le djihad furent proclamés dès le début de l’occupation française, en 1830, et n’ont jamais cessé, à chaque fois réprimés avec une violence hors de proportion et une cruauté inouïe. Pendant ce temps-là, « les trois départements du « territoire national » inventés par la IIe République, en 1848, resteront sous régime d’exception jusqu’en 1946 et rien, jamais, ne sera démocratiquement expliqué aux Français ». C’est-à-dire que, d’un côté, les Français de métropole se soucieront fort peu de l’Algérie et, de l’autre, en Algérie, perdurera une nette distinction entre les colons blancs (Français, Espagnols, Italiens, Maltais, Grecs), très largement minoritaires mais accumulant le meilleur tout en faisant « suer le burnous », et la population musulmane sans droits, au service de la première, condamnée dans sa grande majorité à la pauvreté et à l’ignorance, et où s’intégrer n’était jamais sans risque car cela signifiait également trahir. Ce qui fait que le bilan dressé par Tocqueville en 1847 restera très longtemps vrai : « Autour de nous les lumières se sont éteintes. Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu’elle n’était avant de nous connaître. »

 

Je pense donc que si on veut comprendre le livre de Yasmina Khadra (mais aussi les évènements d’aujourd’hui dans les banlieues), il faut absolument lire ou relire ces pages d'Histoire. A mon humble avis car je suis loin d’être une experte en la matière, l’intégrisme musulman n'est pas seul à l’origine des terribles violences qui ont déchiré l'Algérie des années 90 et perdurent encore. Il s'est problablement agi, entre autres, d'une occasion saisie au vol, d'un prétexte. A un peuple longtemps écrasé sous un joug sans pitié ni justice, ne faut-il pas plus de trente ans, c’est-à-dire une génération, pour oublier un système de haines séculaires, surtout quand on continue à lui nier bonne partie de ses droits et/ou à le confiner dans un courant, une tendance, un contexte….  Et c’est ainsi que dans la bouche de Tej, un des « héros » vengeurs, l’auteur peut mettre un discours tels que celui-ci :

« Ne désespère surtout pas, mon cher émir. Nos recrues sont légions. Elles nous attendent au pied des murs, au fond des cafés, dans le désarroi et le dégoût. Il suffit d’un signe pour les mobiliser. Quand bien même elles ne croiraient pas en notre idéologie, lorsqu’elles prendront conscience du danger qu’elles représentent, du butin à ramasser, lorsqu’elles se rendront compte que la vie, les biens des autres leur appartiennent, chacune d’elles se découvrira l’envergure d’un petit dieu… La misère ne croit pas aux havres de paix. Enlève-lui sa laisse, et tu la verras se ruer sur le bonheur des autres. Si tu veux miser sur un monstre qui dure, choisis-le parmi les plus démunis. D’un coup, il rêvera d’un empire jalonné d’abattoirs et de p*tains et, dès lors, s’il disposait d’une paire d’ailes, il voudrait supplanter Satan… » (p. 136)

 

Alors, en ce qui concerne Les agneaux du Seigneur, à lire ou à ne pas lire, ceux qui l’aborderont et ont lu ces lignes savent désormais ce qui les attend. Quant à La Guerre d’Algérie 1954-1962 : à lire ABSOLUMENT pour se rafraîchir la mémoire, à un moment où on sélectionne arbitrairement (1 - 2) les actes du passé !

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Vendredi 18 Mai 2007, 08:56 dans la rubrique "J'ai lu".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
19-05-07 à 10:41


 
mt12
10-03-12 à 21:26

Re:

Au fond, tu n'as pas saisi la puissance du texte de Khadra, qui est tout simplement une tragédie shakespearienne. Le seule personnage qui s'en tire est le plus pourri, et le jugement de Dieu n'est pas pour les vivants. Peut-être est-ce la seule chose à comprendre de ce livre qui peut laisser mal à l'aise mais qui a le mérite de rappeler jusqu'où l'homme peut se laisser entraîner par sa folie.

 
ImpasseSud
11-03-12 à 10:50

Re:

"Au fond",.... ce que moi je trouve toujours surprenant, c'est quand, ayant une opinion différente, quelqu'un se sent autorisé à dire sur un ton suffisant que l'autre "n'a pas saisi,.... tout simplement...." Comme si ce quelqu'un, à propos d'un livre qui plus est (!), détenait la seule interprétation possible.
.... ce qui, tout simplement, et a priori, dénie toute possibilité de discussion. ;-)