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« Les cinq sens de l’Afghanistan »

Kaboul en 1960L’Afghanistan et moi, nous avons un vieux compte en suspens, ou plutôt, un rendez-vous manqué. C’était il y a bien des années. Un de mes amis, amant tout comme moi des terres brûlées où on a l’impression de toucher l’infini, m’avait proposé de l’accompagner dans ce pays qui l’avait fasciné, dans un long périple en Land Rover depuis la France. A l’époque, moi j’étais éprise de l’Afrique dont je venais de rentrer épuisée et j’avais répondu : « la prochaine fois ». Mais quand, peu après, l’armée soviétique avait envahi le pays, je m’étais demandé si je ne venais pas de perdre une des occasions de ma vie, de celles qui vous laissent un ineffaçable pincement au cœur. Malheur aux pays carrefour où tout le monde prétend un droit de passage, et cela, c’est bien l’histoire de l’Afghanistan. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui encore, je suis ce qui s’y passe, comme si sans aucun point commun nous avions cependant un lien de parenté. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas pu résiter au plaisir de traduire le portrait "sensible" qui suit, lu dans le premier numéro sur papier de Peacereporter, après quatre ans on-line.

 

« L’ouie

Partout les gens écoutent les mélodies romantiques des éternels succès de l’Elvis Presley afghan, le légendaire auteur-compositeur Ahmad Zahir, qui faisait fureur durant les années 70, surtout parmi les femmes, assassiné en 1979 par un de ses rivaux envieux. Ses chansons sont encore les plus écoutées, par les Afghans de tous les âges.  Il est impossible de faire un voyage en taxi ou en autobus sans que le chauffeur enfile dans sa radio une vieille cassette de Zahir, la même qu’on passe et repasse pendant tout le trajet (on peut la trouver sur www.afghanshop.com).

Le chant des muezzins qui, des minarets, appelle les fidèles à la prière est aussi intrigant au coucher du soleil qu’à l’aube. Leur voix hypnotique résonne cinq fois par jours dans tous les coins du pays, des grandes villes aux villages les plus isolés dans le désert ou sur les montagnes.

Le bruit assourdissant des klaxons des voitures qui, de l’aube au coucher du soleil, encombrent les rues de Kaboul est aussi pénible pour les oreilles que la puanteur du gasoil pour le nez. Le silence de la nuit, au contraire, n’est rompu que par le bruit des hélicoptères de guerre qui survolent la ville et par le crépitement des quelques générateurs qu’on a laissé allumés pour illuminer les lectures nocturnes des riches afghans et des nombreux coopérants étrangers insomniaques.

 

Le goût

L’arôme intense du tchaï, le thé, boisson de tous les moments de la vie sociale des Afghans. Très sucré et accompagné par de petites coupes remplies de raisins secs verts, de pistaches et d’amandes. La courtoisie veut qu’on en boive au moins trois verres : un pour la soif, un pour faire connaissance et un pour devenir amis.

Une saveur qui reste sans autre pour toujours, c’est celle du délicieux kebab afghan : brochettes d’agneau cuites sur la braise, dont la particularité est due au charbon aromatisé avec des écailles d’ail pour donner saveur et tendresse à la viande.

Le caractéristique Kabouli pulao, le riz jaune aux raisins secs et aux carottes avec de la viande de poulet et d’agneau, qui accompagne presque tous les déjeuners et les dîners des hôtes importants : relevé avec du curry mais attendrie par le raisin.

 

L’odorat

L’odorat est mis à dure épreuve par la puanteur de gasoil de l’air citadin : celui des pots d’échappement des vieux camions russes et indiens et ceux des générateurs diesel continuellement allumés pour compenser le manque d’électricité.

Le parfum de la version afghane du fenugrec, plus petit que le nôtre, implique également la vue : en été il recouvre d’un tapis jaune les vallées et les hauts plateaux de l’Hindu kuch et, après la récolte, les femmes et les enfants le séparent du son et de l’ivraie en le lançant en l’air sur les toits des maisons où on l’avait étalé pour qu’il sèche. En plus de l’ivraie et du son, le vent emporte aussi un peu de son parfum.

Les bouffées de l’odeur piquante du haschisch qu’on respire un peu partout, dans la rue comme dans les maisons, avec la même fréquence que l'odeur de la cigarette chez nous. Même plus, car l’odeur du haschich, on la sent même dans les lieux publics. Et tant pis pour les interdictions du coran.

 

Le toucher

La poussière du désert qui, portée par le vent, recouvre chaque chose. Tout, en Afghanistan, est continuellement empoussiéré. Une poussière très fine qui s’enfile partout, et bouche les voies respiratoires et les appareils de photo.

La rugosité et la callosité des mains des afghans habitués aux travaux durs dès l’enfance, laisse une sensation inoubliable. Les mains qu’il arrive qu’on sert non pas pour saluer – les Afghans se saluent en s’embrassant – mais plus souvent quand quelqu’un vous prend par la main. Le contact affectueux entre les hommes est normal en Afghanistan.

 

La vue

Les yeux et les regards se perdent dans les mille nuances des jaune, ocre, orange, marron et rouge : les teintes dominantes des paysages désertiques et montagneux de ce pays. Mais aussi des villages traditionnels qui, avec leurs maisons d’argile, se fondent parfaitement dans le milieu naturel qui les entourent.

Les films de Bollywood envahissent les étals et les boutiques des bazars et sont retransmis à la télévision avec un grand succès auprès du public : la sensualité des actrices indiennes, comme la belle Aisha Rai, est d’une attraction irrésistible pour les Afghans à qui on cache le monde féminin. »

Enrico Piovesana « I cinque sensi dell’Afghanistan », p. 9 de l’édition papier de Peacereporter.

(Traduction de l'italien ImpasseSud)

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Ecrit par ImpasseSud, le Mercredi 11 Juillet 2007, 07:57 dans la rubrique "Récits".