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Les deux erreurs de l’Illuminisme

Tablier de maître de la maçonnerie (XVIIIe siècle)Le 29 mars 2003, alors que les USA et ses alliés bombardent l’Afghanistan depuis 6 mois et qu’ils sont prêts à envahir l’Iraq, j’avais écrit ce billet sur The Sun of the Web, en me basant sur deux faits précis : la lettre d’un des collaborateurs d’Emergency et la discussion entre journalistes, suivie la veille sur La 7, où j’avais découvert le journaliste et écrivain Massimo Fini, « élève » de Claude Lévi-Strauss. Farouchement opposé à la guerre en cours et défenseur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il disait avoir rassemblé sa pensée dans son dernier livre « Il vizio oscuro dell’Occidente » sorti en Italie en novembre 2002. Intriguée par ses propos tranchés et opposée moi aussi à une guerre dont on camouflait le but réel, je l’ai tout de suite acheté. Le bon sens et le bien-fondé des idées exposées dans cet essai m’a même tellement impressionnée, que j’en ai immédiatement effectué la traduction en français, en envoyant une copie à tous mes meilleurs amis, qui, pour la plupart, ont fait suivre eux aussi. En voici donc un extrait :

 

« L’Illuminisme a fait deux erreurs psychologiques tellement grossières qu’on a du mal à croire que des gens intelligents – parce que, tout du moins au début, il s’agissait de gens intelligents – aient pu les concevoir.

 

« La première, c’est d’avoir proclamé le droit à l’égalité sans pouvoir la garantir, en aucune manière, ayant en fait, à l’inverse, accentué les disparités, qu’elles soient économiques ou sociales. Vers la fin du XIX siècle, Friedrich Nietzsche, l’un des premiers à prendre conscience que quelque chose se préparait, a écrit : « Proclamer le droit à l’égalité dans une société qui a besoin d’une masse d’esclaves salariés signifie qu’on a perdu la tête ». Dans les sociétés industrielles, les inégalités économiques n’ont pas diminué mais augmenté (les statistiques le démontrent)[20], tout comme, au niveau global, ont augmenté de manière vertigineuse les distances entre les pays riches et les pays pauvres (qui sont devenus plus pauvres non seulement d’un point de vue relatif, par rapport aux pays riches, mais d’un point de vue absolu, plus pauvres qu’ils ne l’ont jamais été.) Mais ceci n’est rien. Même les disparités en termes de style de vie et de considérations sociales ont augmenté. Aujourd’hui, une star de la musique pop, une idole de la télévision ou du cinéma, un footballeur, sont plus éloignés du commun des mortels que ne l’était un feudataire par rapport à son serf. Et ceci avec une différence fondamentale. Qu’il s’agisse de l’Europe médiévale ou bien de l’Orient, la société était divisée en ordres et en castes, c’est-à-dire que l’inégalité était codifiée et légitimée. Cela mettait les individus à l’abris de la frustration, de l’envie et de la haine : ce n’est pas de ma faute si je ne suis pas né noble, si je ne suis pas né roi. Eux, ils participent à un autre championnat, et je ne suis pas obligé de me mesurer à eux. Je peux accepter la disparité avec une relative sérénité. Mais dans une société où il existe un droit théorique à l’égalité, moi, je suis incapable de supporter les différences d' « égalité », parce que je les vis comme une insulte, une offense ou une faute de ma part. Et comme nous l’explique encore Von Mises, cette frustration et cette envie sont justement les ingrédients indispensables à la société libéral-industrialiste parce qu'ils déclenchent cette course sans fin vers les symboles d’état, - c’est-à-dire vers l’achat de biens, même les plus inutiles (comme les très récents waters japonais qui mesurent automatiquement les sucres dans les urines, sont dotés d’électrodes qui chatouillent les fesses, reproduisent le son de six colonnes sonores, resplendissent dans l’obscurité, et, à la fin, saluent l’utilisateur en relevant l’abattant), vers un bien-être qui doit continuellement être dépassé -, essentielle pour tenir sur pied l'ensemble du "bazar".

Comme si cela ne suffisait pas, le protestantisme - la doctrine qui, en mythifiant le travail comme moyen de rédemption a été le propulseur fondamental du décollage industriel qui aujourd’hui encore est dominant dans les pays guides de l’actuel modèle de développement comme les Etats-Unis et l’Allemagne -, a eu la naïveté de regarder le pauvre comme un être maudit par Dieu, alors que le riche, au contraire, est un Elu. C’est pour cela qu’aujourd’hui le pauvre n'est plus seulement pauvre : c’est un rebut, coupable de l’être, « un ennemi de Dieu qui porte sur soi les signes de la damnation éternelle »[21]. Damné ici-bas et damné dans l’au-delà, pas même égal dans la mort, là où la morale médiévale avait au contraire métabolisé la pauvreté avec une grande sagesse. Le mendiant, comme l’idiot du village, est un individu qui, d’une façon mystérieuse qui lui est propre, a un rapport direct et, par certains côtés, privilégié avec Dieu. Dans certains cas, à travers les ordres mendiants, la pauvreté avait même été glorifiée et portée en exemple. En cela, l’Eglise chrétienne avait d’ailleurs été précédée par la pensée grecque. Dès que ce qu’on appelle le « capitalisme antique » fit son apparition au II siècle av. JC., les principales écoles de philosophie se mirent immédiatement à exalter les "penes" et la "penìa", les pauvres et la pauvreté, car ils avaient bien compris que si on enlevait à la majeure partie de la population jusqu’à la plus petite légitimation existentielle, on allait à l’encontre d’un océan de malheur et de dangers.

 

« Mais c’est justement à propos du "bonheur", mot interdit et qui ne devrait jamais être prononcé, que l’Illuminisme a fait sa plus grave et définitive erreur psychologique, une sorte de « norme de verrouillage », comme le disait Zietelmann, qui blinde le système dans sa paranoïa. Il a proclamé « le droit au bonheur ». A vrai dire, il n’a pas été jusque-là, il a ratifié « le droit à la recherche du bonheur », comme cela est écrit dans la Constitution américaine. Mais au niveau des masses, cela a été introduit comme le droit d’être heureux. Penser que l’homme ait un « droit au bonheur » signifie qu’on le rend, ipso facto et par-là même, malheureux. La sagesse antique était au contraire consciente du fait que la vie est avant tout fatigue et douleur, et que, par conséquent, tout ce qui y échappe est une libéralité. Que «La vie oscille entre l’ennui et la douleur», seul Schopenhauer, "rentier" déjà corrompu par le bien-être, peut l’affirmer. Pour renverser une fois de plus la répartie de Méphistophélès [NdT voir ci-dessous] : l’homme occidental voulant et cherchant de manière obsessive le Bien, ou plutôt le Mieux, a créé de ses propres mains le mécanisme parfait et infaillible du malheur. »

Massimo Fini, extrait de « Il Vizio Oscuro dell’Occidente, Manifesto dell’antimodernità » (2002), Marsilio Ed.
(Traduction de l’italien par ImpasseSud)

 

 

Ici, plus que de pencher pour le tort ou la raison, je pense qu'il est surtout bon que, de temps en temps, quelqu'un vienne remettre en question ce que nous tenons pour des vérités inébranlables et incontestables.

 

NdT: “Je suis l'esprit qui veut éternellement le mal, et éternellement crée le bien” (Méphistophélès dans « Faust » de Goethe.)
[20] Massimo Fini, La Ragione
[21] M. Weber, L'etica protestante et lo sprito del capitalismo

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Mardi 24 Octobre 2006, 14:30 dans la rubrique "J'ai lu".

Commentaires et Mises à jour :

bonjour1
28-11-06 à 17:29

Bonjour,
Est-ce que tu pourrais m'envoyer ou me dire comment de peut me procurer la traduction complète de l'ouvrage ?

J'ai lu l'extrait que tu as publié et je trouve cela très intéressant. J'aimerai en lire plus.

 
ImpasseSud
29-11-06 à 07:49

Re:

Bonjour,

Hélas, je ne crois pas que cet ouvrage ait été traduit en français, si ce n'est par des particuliers comme moi, à titre personnel ou sur requête d'étudiants universitaires. Ce qui pousse les éditeurs à acheter les droits de traduction d'un livre, c'est avant tout la promesse de vente, très rarement son contenu.
Ce petit bouquin est sans autre très très intéressant car il remet en question non pas les dernières idées en cours, mais certains « piliers » de notre société que, nous, Occcidentaux, considérons comme universels et absolus alors que, même si largement partagés, il ne s'agit que de points de vue subjectifs. La VO en italien est en vente ici.

Ce n'est pas la première fois que je parle de ce livre sur ce joueb (et certainement pas la dernière...). Dès que j'aurai un moment, j'essaierai de retrouver billets et commentaires et je viendrai en ajouter la référence ici.


 
bonjour1
29-11-06 à 13:35

Re: Re:

Ok,
Dommage que je ne lise pas l'italien.

Merci