Maseru (Lesotho). La maison de Makoleile Lakabane est un quadrilatère de ciment armé, froid et croulant. A l’intérieur l’humidité pénètre dans les os et détruit les parois : les murs, construits au mois d’avril par une entreprise engagée par le gouvernement du Lesotho, sont déjà plein de lézardes. C’est pour cela que Makoleile n’y habite pas : il s’est construit une cabane de bois et de paille non loin de là, et c’est là qu’il dort avec ses enfants : la « maison », il l’utilise seulement comme dépôt. « Ce n’est pas ce qu’on nous avait promis », dit-il
Il est difficile de lui donner tort : Makileile est une des 10.000 personnes ou presque qui ont dû quitter leur maison à cause du Lesotho Highlands Waters Project, le second projet au monde pour sa grandeur d’endiguement des eaux après la digue des Trois Gorges en Chine. Le projet prévoit la construction de six digues pour contenir 40 % des eaux du fleuve Orange qui descend des montagnes du Lesotho où il prend naissance, et la porter dans le pays voisin, l’Afrique du Sud. Il coûtera 8 milliards de dollars, la somme la plus élevée allouée à une œuvre civile dans toute l’Afrique.
Les frais seront couverts par le gouvernement de Pretoria qui, en 1986, a signé un accord avec celui de Maseru avec, en tête, un projet clair: acheter l’eau du très pauvre Lesotho – qui dépend totalement du pouvoir voisin pour les ravitaillements en nourriture, énergie et biens de consommation – et la transporter à travers 200 kilomètres de tuyaux souterrains dans la riche région de Johannesburg, où, durant les années de l’apartheid, les blancs ont construit le cœur de leur système économique. C’est pour cela qu’aujourd’hui, à dix ans de la fin de la discrimination raciale, ce qui était l’image de marque des politiques de développement de l’Afrique du Sud ne plaît plus tellement à l’African National Congress, soucieux d’aider les zones les plus pauvres de son prpore pays, où, aujourd’hui encore, un verre d’eau est un luxe. « Avec l’argent que nous investissons au Lesotho, nous pourrions construire une bonne partie de notre réseau hydrique, qui, en certains points, perd 50 % de l’eau qu’il transporte », affirment de nombreux Sud-africains. C’est pour cela qu’il n’est pas exclu que Pretoria se retire bientôt du Lesotho Highlands Water Projects, interrompant les financements promis.
Makoleile ne sait pas grand-chose des disputes politiques, mais il sait que depuis un mois la première phase est terminée, avec la construction des deux grandes digues de Katse et Mohale, de 183 et 145 mètres de hauteur respectivement, et que sa vieille maison se trouve là où aujourd’hui il y a la digue de Mohale, couverte par des centaines de mètres cubes d’eau. Le bassin, si on le regarde de loin, ressemble à un énorme lac alpin, perdu dans les eaux de l'état le plus montagneux du sud de l’Afrique. C’est seulement en s’approchant par la route pleine de virages, que l’on comprend que c’est une énorme digue, fruit du travail de trois sociétés internationales et de neuf compagnies nord-américaines et européennes, […] qui tient le lac sur pied.
A la naissance du projet, de Maseru, des dizaines de fonctionnaires du gouvernement grimpèrent sur les montagnes et convainquirent les gens à se déplacer, assurant qu’ils recevraient des compensations pour les terres et les maisons. Ils leur donnèrent la possibilité de choisir de se transférer en bas, près de la ville, ou de rester sur les montagnes, dans des villages neufs plus modernes. Aujourd’hui, à 16 ans de distance, il n’y que quelques promesses qui ont été réalisées. « On nous a amené les routes et les poteaux pour la lumière », explique Nkopane Khama, chef du village de Ha Tsiil, « mais avec les routes, on a vu arriver des ouvriers étrangers et le Sida, qui aujourd’hui est en train de tuer tous nos jeunes. Et l’électricité, nous la voyons seulement passer, au dessus de nos têtes ; elle n’arrive pas dans les maisons. »
Nkopane discute longuement avec les représentants de la Transformation Resource Center, l’ONG qui fournit une assistance aux personnes touchées par le projet, lesquels lui reprochent le retard dans la construction d’une étable pour les animaux. Quand il s’éloigne, les jeunes gens de l’ONG haussent les épaules : « A vrai dire, cette digue n’a apporté aucun développement véritable à ces gens-là – disent-ils – et à nous, il ne reste qu’à les pousser à ne pas se laisser aller. »
La situation n’est pas tellement différente pour ceux qui ont choisi de quitter les montagnes et de se transférer dans la vallée, près de Maseru. Au Lesotho il y a un taux de désoccupation très élevé, et pour ceux qui ont passé toute leur vie à faire paître des animaux, trouver du travail en ville est presque impossible. C'est comme ça que les adultes passent leur temps à scruter le ciel, tandis que les enfants jouent pieds nus devant les maisons : « Je ne les envois pas à l’école parce que ça coûte trop cher », dit Malibuseng Mosotho, qui habite une maison dans la plaine aux pieds des montagnes.
Les habitants très catholiques ont donné au nouveau village le nom de Nazareth. Mais cela n’a pas été suffisant pour en faire un lieu béni par la Providence. Les nouvelles maisons sont modestes mais bien faites, cependant les gens ne sont pas contents : « Mon mari est tombé malade et les médicaments pour le soigner coûtent trop cher – dit Malibuseng –, ici, on ne trouve pas de travail. De temps en temps il retourne là-haut, à la montagne, pour voir les animaux, mais là-haut, il n’y a plus rien pour nous, seulement l’eau qui s’en va en Afrique du Sud. Dîtes-moi si c’est le progrès, tout ça ?
Francesca Cafferi La Repubblica (Traduction ImpasseSud)
Mot-clef : Afrique
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