Si on veut savoir à quel point en est l’épidémie du SIDA aujourd’hui, cela vaut la peine de cliquer ici : pas de long texte à lire, mais seulement trois cartes de géographie et quelques chiffres. On a immédiatement une idée de l’ampleur de la catastrophe en cours. Il est clair que l’Afrique noire est la région la plus touchée. Au sud du Sahara, plus de 8.000 personnes sont contaminées chaque jour. La cause principale d’une diffusion aussi rapide étant la promiscuité sexuelle, en bons occidentaux que nous sommes, nous pensons aussitôt à l’usage du préservatif. Pourquoi ne pas faire d’énormes campagnes de diffusion, au lieu de rester muets comme le fait l’Eglise catholique face à ce fléau de l’humanité ? Pourquoi ne pas les fournir gratuitement comme vient de décider de le faire le Libérien Alex Cummings, président de Coca-Cola en Afrique, qui a annoncé qu’il allait bientôt commencer à distribuer des préservatifs avec ses bouteilles ? Et bien parce que ça ne servirait presque à rien.
Je n’en ai pris conscience qu’après avoir lu dans L’Espresso, un article qui m’a fait réfléchir. Nous oublions trop souvent que notre mode de pensée n’est pas universel, qu’une grande partie du monde a une toute autre culture, d’autres habitudes. C’est comme cela que j’ai découvert que la diffusion du préservatif en Afrique subsaharienne serait pratiquement inefficace, illusoire, mais que le seul mode de prévention qui, aujourd’hui, fasse enregistrer quelques progrès, c’est l’absence de promiscuité sexuelle. Il ne s’agit pas d’une question de morale, mais de changer un comportement sexuel qui véhicule la mort.
En Afrique noir, du Burkina Faso à la Tanzanie, on retrouve la polygamie, des traditions qui veulent que les veuves épousent le frère du mort ou vice-versa, et l’impossibilité pour une femme qui ne veut pas passer pour une prostituée de demander à son mari d’utiliser un préservatif. Cet état de fait a été pris en compte par plusieurs types d’organisations laïques et religieuses.
Au Kenya, en Zambie et au Zimbabwe, les Jésuites ont lancé le « Jesuit Aids Project », décidant de combattre ce fléau sur trois fronts : "contenir la contagion, sauver les jeunes avant qu’ils soient contaminés, les aider à changer leurs habitudes sexuelles. » Ils ne font aucun sermon ou conférence tenue par des experts, mais ils comptent sur les jeunes : « Pour agir sur les jeunes il faut que l’initiative parte de ceux qui ont le même âge et qui vivent dans les mêmes situations, parce que c’est le groupe qui fixe les standards sexuels », dit le Père Edward Rogers. « Nos commandos de jeunes vont dans les écoles, dans les bars, dans les villages. Ils se mêlent aux jeunes de leur âge. Il transmettent des informations. Ils expliquent comment on attrape le SIDA. Ils disent comment faire pour ne pas être contaminé ». Et comment ? « Par la chasteté avant le mariage et la fidélité conjugale ensuite ».
Le Père Jean Ilboudo, du Burkina Faso, est l’assistant générale de l’ordre pour l’Afrique. Il confirme : « La publicité du préservatif est faite par les Etats. Nous, jésuites, nous allons directement à la racine. Nous faisons comprendre, par exemple, que la veuve d’un malade du SIDA n’est pas obligée d’épouser le frère de son mari à peine décédé, comme c’est l’usage » … Ces traditions véhiculent la mort. « Malheureusement il se produit très souvent qu’un des deux conjoints soit infecté. Dans ce cas précis alors l’usage du préservatif est compréhensible ».
Les Jésuites ne sont pas les seuls à jouer la carte de la chasteté sur le changement des standards sexuels en Afrique. Des organisations laïques vont dans le même sens. Et il commence à y avoir des premiers résultats.
En Ouganda, aujourd’hui, l’âge du premier rapport sexuel est plus élevé qu’avant et le nombre des rapports sexuels hors du couple a diminué.
En Tanzanie, dans le district de Magu près du Lac Victoria, les grossesses dans les écoles ont diminué. Les fêtes populaires où les garçons partaient à la chasse des jeunes vierges dans la forêt ont disparu. Et les parents n’envoient plus leurs filles faire des achats sans argent. Les gens des villages après s’être rendus compte que certains comportements sont porteurs du SIDA, ont décidé de les interdire. Maintenant, dans chaque village du district, il y a une milice qui surveille, et qui met des amendes à qui désobéit. Tout est né suite à l’enquête d’un chercheur hollandais, dont le but était de découvrir quelles étaient les habitudes sexuelles à risque. Tous les villages dont il requit la participation ont été convaincus que la meilleure façon de contenir l’épidémie du SIDA était de freiner la promiscuité sexuelle.
Le Wall Street Journal est également de cet avis : “In Africa [too] the root cause of Aids is almost entirely the result of promiscuity. If you have relations with only one healthy partner, you don’t get sick. This awkward fact makes everybody concerned with Africa’s Aids epidemic squeamish.”
Sur le dernier rapport (2003) du Joint United Nations Programme on HIV/AIDS (Unaids) qui s’occupe des données épidémiologiques sur la diffusion de la maladie, on peut lire : « Jusqu'à présent, les efforts faits pour contraster la diffusion du virus se sont révélés tout à fait inadéquats. L’épidémie est désormais hors de contrôle."
La théorie de la chasteté peut sembler "étroite", mais aux grands maux les grands remèdes. Quelqu'un a-t-il une meilleure solution ?
En attendant que cette théorie soit comprise et que l’épidémie puisse finalement régresser, il y a quand même une bonne nouvelle : en Afrique du Sud, les médicaments antirétroviraux seront bientôt en vente à un prix inférieur à celui du marché occidental.
Mise à jour du 18 mars 2009 : La situation vient de rebondir suite à l'incroyable déclaration de Benoît XVI qui, ce 17 mars, au cours de son voyage vers le Cameroun, a affirmé que "l'on ne peut pas régler le problème du sida avec la distribution de préservatifs" mais qu'"au contraire [leur] utilisation aggrave le problème".
J'ai écrit ce billet fin 2003. Il y a donc des années que l'on sait que l'usage du préservatif n'est pas "la" solution qui arrêtera l'épidémie du SIDA en Afrique, mais fin 2007, on a cependant constaté des résultats qui "permettent de penser que les efforts de prévention commencent à avoir un impact dans plusieurs pays parmi les plus touchés." Pour en savoir plus cliquer ici : dès la pag. 12 on y aborde la question du changement des comportements sexuels avec l'usage du préservatif.
Tout comme Alain Jupé, je pense moi aussi que ce pape vit "dans une situation d'autisme total" qui le porte continellement à des prises de position irresponsables, dont il ne semble plus capable de mesurer la portée négative. Dans le cas présent, cela dénote une grand manque de sensibilité et d'intérêt envers l'Afrique, risque de saper le travail de ceux qui luttent contre la contagion, et mérite largement le tollé de condamnations qu'il a provoqué.
Mise à jour du 24 mars 2009 : Lire dans Le Temps : "L'Afrique relativise les propos du pape"... qui seront probablement sans effet.
Commentaires et Mises à jour :
étudiant
Re: étudiant
Bonjour,
J'ai du mal à comprendre votre commentaire. Il me semble que ceux qui disposent du niveau intellectuel et des moyens ou des aides nécessaires pour faire des études universitaires devraient être assez instruits pour ne pas méconnaître les risques des rapports sexuels non-protégés, et être en mesure de se procurer des préservatifs. Ce n'est donc pas de vous que parle mon article, mais de la grande multitude des plus démunis que vous. Bonne chance pour votre mémoire.
Une solution à méditer
Lire dans Le Monde : "Une stratégie innovante pour faire reculer le SIDA"
En ce qui me concerne, elle suscite un grand nombre d'interrogatifs..., car dans tous ces problèmes mondiaux, je reste toujours perplexe face au grand art de poser les fausses questions pour éviter d'aborder les bonnes.
Excellent article qui explique clairement que nos principes de protection ne peuvent pas être transposés comme tels dans des pays à traditions séculaires. C'est vraiment "à la racine" que la prévention doit être effectuée.