Ma voisine du dessous a une grande terrasse, et bien qu'elle n'en profite jamais, elle l'arrose au jet au moins deux fois par jour, aspergeant copieusement le mur qui supporte la rambarde externe. La peinture commence à faire d’énormes bulles au ventre lourd qui, cela ne fait aucun doute, ne vont pas tarder à crever, laissant à leurs places des crevasses lépreuses. Je ne dirai pas combien ça m’énerve, mais qu'y puis-je ? En Italie, contrairement à ce que pourrait nous inciter à croire le climat ensoleillé, les taches d’humidité sur les murs suivies de plaies béantes ne sont pas chose rare. Le dernier en date de ces moments d'énervement m’a remis en mémoire une vieille histoire qui remonte à l’époque de mon tour d’Europe de l'ouest avec Julianne.
A Genève, je connaissais une jeune femme très sympathique, d’origine italienne. Nous nous étions rencontrées à plusieurs reprises dans des réunions, et il nous arrivait souvent de boire un café ensemble et de perdre de grandes demi-heures en conversations effrénées. Quand je lui avais fait part de mes projets de voyage et du passage de notre itinéraire par le nord de l’Italie, elle m’avait tout de suite proposé, avec la générosité qui caractérise les Italiens, de faire étape pendant quelques jours dans sa famille qui habitait aux portes de Venise. Elle avait tellement insisté que j’avais fini par accepter. Munies d’une grosse boîte de chocolats, nous avions donc débarqué un soir dans cette famille inconnue, largement accueillante et même chaleureuse, j'en suis sûre. Dans la chambre à deux lits qu’on nous avait réservée et préparée, au mur, il y avait une énorme tache d’humidité. Et pourtant l’immeuble était coquet et l’appartement neuf. Grâce à cette hospitalité, cependant, nous avions pu visiter Venise en toute tranquillité et à moindres frais, repartant deux jours plus tard en direction de l’Autriche.
Même si nous nous sommes perdues de vue, je n’ai oublié ni le nom ni le visage de mon amie italo-genevoise qui apparaît sur quelques-unes de mes photos, mais je n’ai plus le moindre souvenir de l’aspect, de la gentillesse ou de l’accueil de sa famille vénitienne. Tout ce dont je me souviens, c’est de cette énorme tache d’humidité sur le mur.
La mémoire est ingrate, volage, mystérieuse, ses choix sont incompréhensibles. Que raconteraient nos hôtes si on les interrogeait sur notre compte ?
Mots-clefs : Europe, Méditerranée
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La mémoire a la faculté de se "souvenir" des choses incongrues, voire choquantes, prenant la place d'autres souvenirs...
C'est comme ça, on n'y peut rien...