"Tout d’abord, on est frappé par l’immensité, puis par le silence, et enfin par ces yeux en amandes réduits à de simples fissures pour mieux apprécier les distances dans cet océan qui mue selon les caprices du temps. Nous sommes de retour au pays de Gengis Khan, à la recherche des Hommes-renne.
…. Dans un matin qui a du mal à se lever, notre caravane composée d’une dizaine de chevaux se met en marche pour rejoindre la tribu des Tsaatan. J’ai mis des fleurs dans la crinière de mon cheval que j’ai appelé Gengis Khan pour cette occasion. Nos corps dansent en suivant le rythme de nos destriers. La steppe comme un film sans fin, sans horizon qu’on puisse toucher du doigt, se déroule sous nos yeux. Seuls, le bruit des sabots et les hennissements troublent, par intervalles, le calme de ces lieux magiques, puis le silence se referme derrière nous pour mieux effacer nos traces. La steppe doit toujours rester intacte. [Nous sommes] ivres de liberté, saoulés d’air pur. Porté par le zéphyr de la steppe, un chant monte des profondeurs de la terre : c’est notre guide qui chante son amour pour ses chevaux et sa patrie. Sa gorge libère des sons graves qui s’envolent, triomphants, jusqu’au bleu du ciel. Nous n’avons jamais connu une telle plénitude et ni même une telle harmonie avec la nature. Et quand la musique abandonne dans l’air léger ses derniers accords, nous restons immobiles, pensant ainsi pouvoir arrêter l’instant, prolonger ce présent à l’infini... Ici, la musique elle-même reflète l’âme profonde de
Montagnes dénudées, boisées, fleuries, cassées, pierreuses ; névés, torrents, passages étroits et tortueux où nos bagages restent accrochés, où nos genoux s’écorchent; sentiers presque invisibles où même une chèvre tibétaine hésiterait à conduire ses petits. Dans cet univers minéral et végétal, nous devons cependant poursuivre vers une montée si escarpée, un terrain si glissant, détrempé et boueux qui nous épuise autant que nos chevaux qui s’enfoncent parfois jusqu’à mi-cuisse….
Impression de vertige... Et si le temps n’existait pas ? Et si cette vie éloignée de tout mais si proche de la nature était la vérité ? Et si ces nomades (et les Hommes-renne) avaient trouvé la clef pour vivre dans un présent hors du temps ?
Des nuages blancs comme neige jouent avec le soleil en dessinant des arabesques sur cette mer d’herbe et de pierres. Nous nous approchons en silence pour ne pas intimider les Hommes-renne. Et, finalement, en récompense, derrière la énième montagne voici les premières yourtes, semblables aux tentes des Peaux-Rouges, avec leurs fumées bleues qui s’offrent à notre vue. Nos sens sont en alerte : quel genre d’accueil les Tsaatan vont-ils nous réserver ? Nos craintes sont vite oubliées. On se préoccupe aussitôt de nous servir quelque chose de chaud à manger, pour réchauffer nos muscles endoloris, on nous apporte du bois et on nous aide à monter notre tente moderne dans laquelle nous gelons durant la nuit.. Notre montée s’est terminée, après dix heures de longs efforts, dans le royaume des cerfs des neiges. Ici, au cœur de cette tribu, les rennes ont remplacé la plus noble conquête de l’homme (le cheval). La vie s’organise autour des rennes et dépend totalement d’eux.
Enfants d’une nature grandiose mais hostile, le petit peuple des Tsaatan* est en train de disparaître : ils demandent de l’aide en silence. A l’ouest du lac Kövsgöl, là où la steppe cède la place à la taïga, sur une terre sillonnée par d’innombrables fleuves où l’hiver est très rigide, habite un petit peuple nomade, très ancien. Cette tribu d’environ 200 personnes vit dans un symbiose totale avec ses animaux, à tel point que les Mongols les ont appelés Hommes-renne, du mot tsaa buga, cerf des neiges, et tsang, peuple. Leur survivance dépend en effet, entièrement des rennes : leur viande et leur lait quatre fois plus riche que le lait de vache représentent presque les seuls produits dont ils se nourrissent. La peau est utilisée pour fabriquer des chaussures et des couvre-chefs, les bois coupés directement sur l’animal en vie, très appréciés par la pharmacopée chinoise comme aphrodisiaque, sont utilisés au cours des échanges pour se procurer les produits indispensables comme le riz, la farine, le thé et le sel.
Les Tsaatan ont conservé leurs traditions ancestrales et pratiquent le chamanisme. Il vénèrent et craignent les esprits du ciel et de la terre et respectent les anciens rites funèbres. Les enfants apprennent tout par imitation en observant les adultes quand ils travaillent. Même les plus petits savent s’occuper des troupeaux et se préparent de cette façon à affronter la dure vie de la tribu et les migrations annuelles. Comme pour tous les peuples de l’Asie centrale, ce n’est pas la nécessité de trouver de nouveau pâturages qui pousse au nomadisme. Dans ces terres sans fins, l’herbe ne manque pas, mais le nomadisme a une profonde signification spirituelle liées aux cycles de la vie qui permet la relation entre la terre et le ciel, entre le visible et l’invisible.
Les Tsaatan ont renoncé à une vie plus facile dans le village de Tsagan Nur, au confort ils ont préféré vivre sans chaînes leur culture et leur spiritualité, ils ont choisi la liberté. Mais la lutte est inégale. Maintenant que leurs troupeaux n’ont plus le droit de paître dans
... Et sur le chemin du retour, repartant vers de nouveaux paysages sublimes et d’inoubliables rencontres, nous pensons longuement aux Hommes-renne, là-bas, cachés dans les forêts limitrophes avec
Ecrit par Graziella « Mongolia, alla ricerca degli Uomini-renna », traduction de l’italien ImpasseSud)
*Les Tsaatans vivent dans une des régions les plus reculés de
Pour en savoir plus sur ce peuple, sur ses besoins et sur les moyens de le rejoindre, voir ici (en italien).
Commentaires et Mises à jour :
de quoi se poser