Un juge de Los Angeles a repoussé la requête avancée par les avocats d’Unocal, multinationale pétrolifère qui a son quartier général à El Segundo en Californie. Au cours du procès dans lequel Unocal doit se défendre des accusations de violation des droits humains, ils avaient demandé que la compagnie soit jugée non suivant les lois des Etats-Unis, mais selon les lois des Bermudes où se trouve son siège, ou bien selon celles de la Birmanie (Myanmar), pays où se déroulent les faits pour lesquels Unocal a été dénoncé devant un tribunal. Une requête plutôt étrange : ses avocats ont soutenu qu’il serait juste de considérer les faits imputés à Unocal – complicité en intimidation, violence et travaux forcés – sous le regard de ce qui est légal en Birmanie.
Les faits remontent à la première moitié des années 90, et le procès à Unocal, quand il commencera, portera devant un tribunal un des cas les plus scandaleux de répression militaire accompli par l’armée birmane, avec la complicité, - c’est tout du moins ce dont on l’accuse –, d’une société occidentale. Il s’agit du projet « Yadana », du nom du gisement de gaz naturel dans la mer d’Andaman, juste au large de la péninsule de Tenasserim, la langue de terre de la Birmanie sud orientale qui touche la Thaïlande.
Au début des années 90, la société française Total (qui n’était pas encore TotalFinaElf) s’est adjugé un contrat pour l’extraction du gaz et a attiré Unocal dans l’affaire. Le projet prévoyait aussi la construction d’un gazoduc pour transférer le gaz jusqu’à la côte du Golfe de Thaïlande, à travers la péninsule de Tenasserim. En 1993, la société Total-Unocal signe un accord avec la société d’Etat birmane, Myanma Oil and Gas Enterprise. L’affaire est estimée à 1,2 milliard de dollar. Le gazoduc a été posé entre 1995 et 1998, et ce sont des entreprises françaises, japonaises et italiennes qui ont effectué le travail.
Pour la population locale, il s’est agi d’une véritable tragédie. Pour préparer le terrain pour le passage du gazoduc, les militaires ont commencé à construire des routes à travers la jungle, à évacuer les villages le long de son tracé, à construire des logements pour les militaires qui s’installaient dans la zone, à construire des héliports. Les villages des pêcheurs ont été évacués par la force, des communautés de paysans ont été chassées de leurs champs. Parfois un village était pris par surprise, les cabanes étaient rasées au sol, et les hommes et les femmes de tous âges étaient enrôlés de force au service de l’armée. Entre 1993 et 1994, il a commencé à se produire un grand mouvement de populations, des communautés entières ont franchi la frontière pour se réfugier en Thaïlande afin d’échapper à une évacuation forcée. Jusqu’à ce que des syndicalistes exilés en Thaïlande tombe par hasard sur les villages des réfugiés dans la forêt. U Maung Maung, secrétaire de la fédération syndicale birmane (en exil) estime que 150.000 personnes ont été arrachées à leurs villages et contraintes à fuir.
Deux procès ont été intentés en septembre 1996 : le premier par International Labor Right Fund, organisation étasunienne pour les droits du travail, le second par EarthRights International. Dans les deux cas, les compagnies pétrolifères sont accusées de complicité en homicide, obligation aux travaux forcés, viols et violences commises par l’armée birmane dans le cadre du projet Yadana.
Au bout de neuf ans, les témoignages recueillis dans la jungle sont parvenus dans un tribunal de San Francisco. Après des années de batailles légales, en septembre 2002, le tribunal a jugé qu’il y a assez d’éléments pour renvoyer en jugement Unocal (Total étant française). La disproportion entre les contendants est évidente : un groupe de paysans semi analphabètes contre une multinationale dont le chiffre d’affaire est supérieur au PIB de la Birmanie.
La thèse de l’accusation est qu’Unocal ne pouvait pas ne pas savoir ce que faisaient les militaires pour protéger ses affaires. Et en cela, elle a l’appui des dépositions des dirigeants d’Unocal en personnes et des relations de ses consultants.
Pour l’instant, la ligne de défense d’Unocal (nous ne le savions pas, nous ne sommes pas responsables) a perdu. Et la ligne de la « légalité relative » a perdu, elle aussi : les lois birmanes, en effet, autorisaient les travaux forcés.
(Sources : Il Manifesto)
( Photo : Routard.com)
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