A Ted Kedar, petite ville israélienne bien tranquille dans le désert du Negev, un couple sombre lentement dans l’apathie après sept ans d’une vie heureuse. Théo, urbaniste de succès, la soixantaine, se replie de plus en plus sur lui-même et semble avoir perdu tout énergie et désir de se remettre en jeu. Noa, professeur de lettres frénétique, d’une quinzaine d’années plus jeune, est toujours à la recherche de nouveaux objectifs et de nouveaux défis. Suite à la mort accidentelle d’un de ses élèves (sous l'effet de la drogue ou suicide ?), elle accepte, sur l’insistance du père de ce dernier, conseiller militaire en place au Nigéria et personnage plutôt ambigu, de s'occuper de la création d’un centre de rééducation pour jeunes toxicomanes que celui-ci désire financer en mémoire de son fils. Cette « nouveauté », même si encore à l’état de projet, va secouer le couple, réveiller la petite ville endormie, soulever la patine de poussière du désert tout proche qui ne cesse de chercher à reprendre ses droits. A travers les récits parallèles et différents des deux protagonistes, on découvre le jeu des états d’âmes, mais aussi la vie habituelle d’une petite ville d’Israël peuplée d’anciens et de nouveaux émigrés aux personnalités et aux passés les plus divers, et la montée d’un instinct citadin de rejet envers un projet qui pourrait être source de contamination.
Ce livre-là, j’ai entendu Amos Oz le présenter, en personne, au cours d'un large entretien sur RAI3, lors de son récent passage en Italie où on lui avait attribué un prix. Il en a parlé comme d’une histoire intimiste, d’une fouille dans les méandres de l’amour, à travers la description d’un couple en crise, où chacun, tiraillé par sa propre personnalité dont il essaie de se réapproprier, ne réagit que par opposition, pour se différencier de l’autre, alors que l’unique solution possible n’existe que dans le compromis.
« Compromis ». c’est un des mots chers à Amoz Oz, qui, dans son vocabulaire, affirme-t-il, signifie « la vie ». C’est le mot dont il rêve continuellement dans le contexte du conflit au Proche-Orient. Mais ici, rien de tel, car l’histoire se tient loin du confit, et ce mot qui en hébreu semble nimbé, en français (mais aussi en italien) est souvent affublé d’une connotation négative.
C’est sans aucun doute la raison pour laquelle j’ai un peu sombré dans l’ennui en lisant ce roman. Plus que comme une histoire originale, je l’ai perçue comme l’étalage d’une situation assez classique, banale même : celle d’un couple sans enfants qui vit sur lui-même, avec un homme qui arrive à l’âge où on redimensionne l’importance des choses, et une femme de quarante-cinq ans, qui, au contraire, essaie de s’agiter (mais ça sonne faux), pendant qu’il en est encore temps, pour donner un sens à une vie qu’on lui a en partie volée. Cela dans une petite ville de province qui, comme toutes les petites villes de province, s’accroche à sa tranquillité faite de routine et de potins. Plus qu’à une recherche de compromis, j’ai plutôt eu la sensation d’assister aux effets (bénéfiques dans le cas présent) qu'un évènement fortuit finit toujours par avoir sur ceux qu'ils touchent même de loin, et à l’effritement progressif d’une de ces mille idées sans écho, non mûries, qui sont lancées sur le coup de l'émotion, mais que tout le monde ou presque souhaite voir tomber dans l’oubli.
Comme si l'auteur voulait dire : contrairement à ce que vous pourriez penser, Israël est aussi la terre des situations et des sentiments classiques, "normaux".
Une petite note positive cependant : dans ce livre, j’ai aimé la présence du désert. « Le désert », a tenu à ajouter Amoz Os à la fin de l’entretien, comme si, alors que la conversation tournait autour des possibilités d'un compromis entre Israël et Palestine, il craignait tout à coup d'avoir négligé un élément essentiel, « devient un personnage, le personnage principal de ce roman. Il parle, il est présent, il a une influence, un impact sur la vie des personnages. Personnellement, je pense que le désert est fantastique. Chaque matin je vais faire une promenade dans le désert, dans le silence le plus absolu. Et quand je rentre à la maison, que j’allume la radio et que j’entends les hommes politiques dire "jamais" ou "toujours" ou encore "pour l’éternité", je sais que les pierres du désert rient de ces hommes politiques ».
Une réflexion de 2007 ? J'ai tendance à le penser. En 1993, quand Amos Oz termina son récit, le désert était déjà là, bien entendu, mais probablement en toile de fond, derrière les problèmes du couple, derrière les ébats de la ville. Aujourd’hui le voilà au premier plan. On change avec les années. Tout à coup, à mes yeux, cette déclaration donne un sens accompli au titre : apparemment là comme un cheveu sur la soupe, à la dernière page du 16ème chapitre, ou pour permettre à Théo, justement, d'évoquer celui qui, du désert, connaissait tous les secrets ? En voici quelques lignes : « C’était en 51 ou peut-être en 52. Nous avions un guide bédouin des garde-frontières anglais désormais décimés (…) Il s’appelait Aatef, mais, à son insu, nous l’avions surnommé Nuit parce que pour lui l’obscurité était lumineuse, comme s’il avait la nature d’un animal nocturne. Cependant, nous faisions bien attention à ne jamais utiliser cet appellatif en sa présence, parce que nous nous souvenions qu’en arabe, nuit, Layla, est un nom féminin. »
Sorti en italien en mars 2007 sous le titre « Non dire Notte », si vous trouvez ce livre en français ou en anglais, lisez-le, mais sachez qu’ici, on est encore loin de la beauté et de la fascination d’« Une histoire d’amour et de ténèbres ».
Mots-clefs : Livres, Asie, Question israélo-palestinienne