Nous sommes en 1591, à Istanbul, ville partagée entre nouvelles tentations et antiques inquiétudes. C’est dans ce cadre que se déroule une intrigue policière et amoureuse qui nous fait pénétrer dans le milieu des peintres miniaturistes et enlumineurs. L'un d'eux, le spécialiste des dorures, a été assassiné (c'est sa voix qui ouvre ce vaste roman polyphonique, avec changement d’auteur, tour à tour, à chacun des 59 chapitres) parce qu'il tentait d'empêcher la réalisation d'un livre commandé par le Sultan, pour sa gloire personnelle - son règne vient de voir le millième anniversaire de l’Hégire -, mais surtout pour impressionner le doge de Venise.
Le désir d’alliance des styles ottomans et vénitiens a débouché sur une confrontation entre Orient et Occident, à travers deux écoles différentes : celle de Maître Osman et celle de Monsieur l’Oncle, deux façons de se placer face à la réalité, à la religion et aux grands problèmes de l’univers.
Pour Maître Osman, il est juste de suivre scrupuleusement la tradition anonyme des maîtres enlumineurs de
Monsieur L’Oncle, au contraire, est fasciné par les techniques des peintres occidentaux qu’il a découvertes au cours de ses voyages, parce que l’art conçu selon leurs propres canons offre l’éternité, aussi bien à celui dont on a fait le portrait (c'est là, la tentation du Sultan) qu’à celui qui l’a exécuté dans un style différencié.
Aux yeux des fondamentalistes, il s'agit donc d'un livre impie, qui porterait atteinte à la religion en adoptant le goût de la différenciation développée par les peintres italiens. Monsieur l’Oncle est frappé à son tour, et c’est son neveu, Le Noir, qui se met à la recherche de l’assassin pour conquérir la belle Shékuré, fille de l’Oncle, dont il est amoureux depuis douze ans.
Ici, on plonge dans un livre d’un grand intérêt, entre la haute érudition, la fresque historique, la belle sensibilité poétique et l'exceptionnel talent de narrateur d’Orhan Pamuk : « J’ai choisi de m’exprimer à travers un très grand nombre de voix » a-t-il expliqué à une journaliste italienne, « parce qu’écrire un roman historique à la troisième personne donne à son auteur une autorité excessive. Et c’est justement parce que ce j’avais dans la tête était extrêmement sérieux, avec des problèmes philosophiques, iconographiques, religieux et idéologiques, que j’ai pensé que de le faire raconter par des personnes différentes donnerait une touche de légèreté au récit. »
En effet, le grand thème de l’iconoclastie qui imprègne l’ensemble du roman, développé aussi bien sur les plans philosophique que théologique, semble immuable dans le temps et on a parfois la sensation oppressante d’être sous une chape de plomb. Sans cette polyphonie, on aurait peut-être du mal à aller de l’avant ou à résister à l’envie de sauter directement à la dernière page pour connaître le coupable et l’épilogue. Et si, au cours de cette histoire, on s’impatiente face à certaines redondances et lenteurs quand il s’agit de d’esthétique ou de l’histoire de l’enluminure orientale, on comprend à la fin qu’elles sont véritablement voulues, indispensables à l’esprit de l’œuvre. « La société ottomane pré moderne était beaucoup plus multiculturelle et tolérante que
Bien qu'il soit très intéressant, ce livre n'est pas forcément facile à lire, mais il laisse le signe sur ceux qui arivent au bout... sans avoir sauté des pages. C'est un regard sur une autre conception du monde.