D’après le quotidien italien Il Corriere del Mezzogiorno, c’était une des requêtes non facultatives du questionnaire fourni par l’agence napolitaine Sold out aux candidates à une sélection pour participer à la conduction d’une nouvelle émission de la RAI (chaînes publiques italiennes). A vrai dire, le ton était plus désinvolte : « Parlaci dei tuoi amanti » (parle-nous de tes amants). Après tout, pourquoi ne pas les tutoyer? Ce ne sont que des jolies filles…
Heureusement, une députée de l’Ulivo (Démocrates de gauche) est montée sur ses grands chevaux et a réussi ( !) à obtenir que la demande disparaisse du questionnaire, et que la réponse (parce que celle-là on la veut quand même) soit rédigée sur une feuille de papier libre, qu’on promet de détruire par la suite.
Si on réfléchit un peu, on comprend assez vite que le but d’une telle requête n’est autre que de savoir le nom des amants et la place qu’ils occupent dans les hautes sphères, afin d’orienter les choix définitifs dans le sens « rendu de faveur » ou « faveur à rendre ».
Les réflexions que l’on peut tirer d’un tel fait ne sont pas minces.
Tout d’abord, c’est que les qualités qu’on attend d’une jeune femme sont avant tout la beauté, la fourberie et l’absence de scrupule. L’intelligence (une bonne partie des candidates fréquente l’université) et le savoir-faire semblent facultatifs, voire inutiles, et la moralité devient une tare. Le concept de « femme-objet » est largement dépassé. L’objet devient, dans les mains de ceux qui les manipulent, l’instrument malléable qui leur permet d’arriver où ils veulent, qu'ils peuvent façonner à leurs façons, puis rejeter si la prestation n'est pas performante pour eux.
Ensuite, c’est que le sort des femmes, en 2003, est encore soumis au bon plaisir des hommes. Si on exclut la maternité, leur rôle dans la vie, aujourd’hui comme hier, est encore celui que les hommes leur assignent, plus ou moins émancipé, selon les époques et les besoins, et même dans les hautes sphères. Il n’y a qu’à faire la comparaison entre les femmes qu’on embauchait volontiers dans les usines durant la première guerre mondiale, c’est-à-dire il y a bientôt 100 ans, et qu’on trouvait utiles parce que les hommes étaient au front, et celles d’aujourd’hui, qu’on ramène, en cette période de chômage, au rôle d’objet, ou qu’on oblige à raisonner et à s’habiller comme des hommes si elles veulent aspirer aux mêmes emplois. Si on tient compte des éducations respectives, sont-elles tellement plus libres que les Afghanes sous leurs burqa ?
Pour finir, c’est qu’au nom de cette fameuse théorie de la « transparence » née entre la fin des années 80 et le début des années 90, avec Glasnost in Russia et Tangentopoli en Italie (ici tangente = pot-de-vin), et sous prétexte de faire la clarté sur tout, toutes les formes (ou presque) de pudeur, de honte, de réserve qui polissaient notre société sont tombées, à tous les niveaux : on ne se gêne plus. On ne se retient plus, dans les mots et dans les gestes. Les chefs d’Etats rient ouvertement de la misère et de la douleur et font des déclarations insultantes, le linge sale se lave tous les jours en public sur nos petits écrans, dans la presse et un peu partout, les rapports sexuels sont banalisés, étalés et réduits au niveau de fonction, moyen ou performance alors qu’ils font partie du domaine le plus intime et le plus gratuit qui soit, etc… Cela me fait penser à ces couples en crise qui se balancent tout à la figure, sans plus aucun respect de l’autre ni de sa sphère personnelle, sans savoir que le soulagement n’est qu’apparent. Ou à ces gestes qui finissent par nous échapper, inconsciemment, qui quelques temps auparavant nous auraient encore fait rougir de honte, mais qui ont pu aboutir parce nous sommes pris dans une culture et un tourbillon du non-respect.
Bien sûr, tout est plus « transparent » qu’avant, mais à quoi cela sert-il? car l’homme n’a pas changé. Le meilleur et le pire existaient déjà; la différence, c’est qu’on le voyait moins, et que par conséquent il y avait un peu plus de retenue. Sont-elles conscientes, ces candidates, que pour avoir une place à la RAI que les élues devraient obtenir pour leurs compétences, on les contraint à avoir des amants influents ou à mentir ? Sont-elles consciente qu’on leur demande ensuite de les trahir ? Sont-elles conscientes du fait qu’on leur en demandera toujours plus… sans plus de pudeur ou de retenue que vient de le faire ce questionnaire ? Sont-elles conscientes qu’elles devront continuer à se vendre à l’infini ? Est-ce là la vie dont elles rêvent quand elles se mettent en file?
(Sources : Il Mappamondo)
Mot-clef : Société
Commentaires et Mises à jour :
Re:
Je pense que le problème est plus compliqué que cela.
Je suis d’accord avec toi quand tu dis que ces demoiselles devraient refuser de participer à une sélection présentée dans ces termes. Mais ici, il s’agissait d’un concours pour entrer à la télé d’Etat, alors, quand on aime le monde du spectacle et qu’on est doué pour ça, faut-il perdre une telle occasion ? Faut-il renoncer à un rêve ? Pourquoi une fille jeune, jolie, et douée doit-elle obligatoirement passer par un tel « examen de passage » ? Pourquoi doit-elle subir une humiliation de ce genre ? A ce point-là la beauté devient une tare qui vous expose au tout-permis. Quant à celles qui sont prêtes à vendre père et mère, ça, c’est une autre affaire.
Ici, il s’agit d’une question de principe. Pose-t-on la même question aux hommes ? La requête du questionnaire est tout aussi provocante et insultante que l’idée de prévoir le concours de Miss Monde à Lagos, l’année dernière. Ce n’est plus ni pour la beauté, ni pour les capacités, ni pour l’intelligence; le but ultime est d’accéder à son bon plaisir en ignorant complètement la personnalité ou la spécificité de qui est en jeu.