La Rinconada, c’est le nom de « l’Eldorado des glaces » : une mine artisanale qui fournit à elle seule trois tonnes d'or par an, à 5.400 mètres d’altitude, là où l’oxygène se fait rare, là où la terre dépasse les nuages, au milieu d’étendues sans fin et sans végétation, battues par les vents, sous les cimes les plus imposantes de la chaîne des Andes. Il n’est pas facile de trouver un moyen de transport pour y arriver, la zone est dangereuse à cause de ses trafics. La désolation des lieux et la proximité de la frontière bolivienne sont idéales pour l’activité des contrebandiers.
Puno est la dernière ville qu’on laisse derrière soi, avant d’affronter cinq à six heures de jeep. Il n’y a ni route ni piste : on doit se fier aux connaissances du guide et aux socs laissés par les cars qui grimpent sur ces hauts plateaux pour y transporter les mineurs. Les seuls bruits qui déchirent le silence irréel sont l'inévitable radio et les couinements des amortisseurs qui vous cassent les reins en rebondissant. Tout à coup un lac d’un bleu glacial s’approprie du paysage, et une procession de femme andines enveloppées dans leurs châles multicolores avance en bon ordre. Leurs chapeaux melon sont un signe incontestable de leur identité. Les groupes de lamas et d’alpacas ne prêtent aucune attention au bruit. Désormais, l’Ananea, le glacier qui accueille la Rinconoda est proche. Le paysage devient de plus en plus aveuglant, l’air est coupant et la respiration difficile. Le glacier est partout et resplendit au soleil, d’un blanc éclatant. Le sentier arrive jusqu’aux pieds de la langue blanche, où s’entassent des centaines de baraques aux toits en tôle. Petit à petit, la communauté s’est étendue, et aujourd’hui, dans cette appendice d’humanité, il y a environ 25.000 misérables qui se serrent l’un contre l’autre pour survivre.
Au Pérou, la fièvre de l’or est une vielle histoire, elle date du temps des Incas et des conquistadores espagnols. La fièvre n’a pas disparu, et les chiffres de ces dernières années le démontrent : en 1999 on a extrait 150 tonnes d’or pour une valeur de 1.276 millions de dollars, c’est la principale entrée du pays. Seulement 17 millions des 83 millions d’hectares de terres riches en or sont exploités. Mais cette richesse n’est pas pour tout le monde. Pour s’en rendre compte, il suffit de faire un tour dans les bidonvilles de la Rinconada : on a immédiatement la sensation de se trouver dans un enfer loin des hommes et des dieux.
Les conditions de vie et de travail sont inhumaines. Les mineurs ne reçoivent aucun salaire. Leur paie, c’est le "cachorreo" : tous les trente jours de travail, ils ont le droit d’aller creuser dans les galeries et ce qu’ils trouvent leur appartient. Mais pour trouver quelque chose, il faut qu’ils travaillent sans s’arrêter. S’ils ne trouvent rien, et bien cela signifie qu’ils ont travaillé gratuitement pendant un mois. Il n’y a pas d’électricité ni d’égouts, et les ordures restent dehors parce que personne n’est chargé de les ramasser. La salle de réunion se résume à une pièce froide et grise à l’arrière d’une baraque. Au pied des glaciers il y a de gros problèmes d’eau car le mercure est en train de tout polluer, l’eau et la terre. Les résidus du mercure, indispensables pour la séparation de l’or, sont déchargés dans les fleuves où s’abreuvent les animaux, les lamas et les alpacas qu’ensuite on retrouve dans les assiettes de la Rinconada. Cette surexposition au mercure provoque des maladies génétiques : cécité, malformations et démence.
Pour les enfants, il n’y a pas d’école : qui pourrait bien avoir envie de grimper là-haut pour un salaire de misère ? De toute façon, ils n’ont pas le temps de jouer. Tout d’abord, ils regardent pendant de longues journées leurs mères qui passent les paillettes jaunes au tamis. Puis l’âge d’aller travailler arrive bien vite. A 6 ou 7 ans, ils descendent dans les viscères de la terre pour aider leurs familles. Ici personne ne se scandalise de voir des enfants le dos plié sous le poids des besaces rêches pleines de pierres. Ceux qui ne sont pas encore prêts à descendre dans les galeries s’occupent du « chimbaletes ». Il s’agit d’une très grosse pierre utilisée comme un pilon dans un mortier, pour broyer les roches sélectionnées : les enfants sautent dessus pour provoquer son balancement, et ceci jusqu’au coucher du soleil.
Quant aux femmes, elles passent la plus grande partie de leur vie les bras immergés dans le bouillon d’eau et de mercure qui sert à sélectionner les meilleures pépites. Pratiquement, si elles ne meurent pas d’exténuation, il y a de grandes chances que le mercure détruise leur système immunitaire.
Après leur tour de quatre heures, les mineurs se retrouvent dans une espèce de baraque qui leur sert de bar. L’air y est dense et irrespirable. Les mineurs et les contractants, c’est-à-dire les chefs d’équipes, s’assoient côte à côte, mais il est inutile de dire que leurs rapports ne sont pas des meilleurs. Mêmes si les mineurs acceptent ces conditions de vie inhumaines, ils portent sur leur visage la rage qui les brûle à l’intérieur. Il suffit de leur parler de leur travail pour ouvrir les vannes d’un fleuve de peines.
Dans la mine, les galeries, basses et sans éclairage, sont creusées dans la glace et dans la roche, et en hiver la température descend à 20 degré en dessous de zéro. Les mineurs travaillent sans masque et sans gants et un bon nombre finit par avoir de graves problèmes pulmonaires. Il n’y a pas l’ombre de la moindre machine, les pierres sont encore chargées sur des brouettes, comme il y a cent ans, et ils mastiquent tous des feuilles de coca pour ne pas sentir la fatigue.
La sirène sonne. Il est temps pour les mineurs de retourner dans le ventre de glace. Ceux qui viennent de sortir, se bousculent au bar pour boire une bière qu’ils ne payeront pas avec des pièces de monnaie mais avec des particules d’or.
Une histoire hors du temps.
(Sources : Peacereporter)
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Mots-clefs : Amérique latine, Société
Commentaires et Mises à jour :
Vouloir habiter Cusco?
Re: Vouloir habiter Cusco?
""mais je serais curieuse de savoir ce qui t'a donné l'envie d'y aller habiter.""
CUSCO lien
Le décor naturel (mise à part la neige) et les gens ont des similitudes à ceux de la Réunion, malgré l'espagnol et leur langue locale, et je me suis senti bien partout où nous étions, parmi la population.Le ressenti est difficilement explicable, ça se vit. Cette ville Cusco est magique de par sa situation à mi hauteur entre les sommets andins enneigés et la vallée sacrée en dessous. Toutes ces arcades d'origines espagnoles sont propices à la flanerie...
Mon épouse réunionnaise connaissant un peu l'espagnol, a sympatisé avec plusieurs personnes. Notre guide Laura est devenue, depuis, comme une soeur et nous échangeons des courriers régulièrement après nous être revus.
Re: Re: Vouloir habiter Cusco?
Par contre je ne savais pas qu'à La Réunion on parlait l'espagnol !
Re: Re: Re: Vouloir habiter Cusco?
Désolé de m'être mal fait comprendre ImpasseSud, j'ai écrit"malgré l'espagnol" sous entendu qui ne constitue pas une barrière, tellement les gens ont envie d'échanges et font tout pour se faire comprendre.
Je pense que c'est un futur voyage pour toi, tant tu décris si bien les moindres ressentis de tes passages en des endroits qui n'ont pas forcément d'intérêt pour d'autre. Tes descriptions donnent un relief à tes textes qui facilite l'imaginaire.
Re: Re: Re: Re: Vouloir habiter Cusco?
Pierre, tu as très bien dit ce que j'éprouve souvent. Dans le monde, ce n'est assurément pas les grandes villes qui m'attirent, ni même les "excès" de civilisation qui n'ont plus rien de civil, mais ces endroits simples... qui seraient parfaits s'il n'y avait pas autant de misère et d'exploitation humaine.
Re: Re: Re: Re: Vouloir habiter Cusco?
tu es installé à Cusco depuis quand stp ? as-tu réussi à trouver un job dans cette ville trop magique ?
Bravo
christian
Les glaces en or ?
J'ai voyagé au Pérou, il y a quatre ou cinq ans et aveuglé par la beauté des sites, je n'ai pu remarqué tout ce dont tu parles, allant même jusqu'à vouloir habité Cusco, la ville Incas située au bord du plateau Andin au-dessus de la vallée sacrée qui va jusqu'au Matchu Pitchu. La rivière qui coule dans cette vallée est claire et donne envie de s'y baigner. Elle fait vivre bon nombre de familles qui cultivent les céréales jusqu'à la limite des pentes montagneuses, défiant les lois de la pesanteur.
Tu mets en évidence et ton lien aussi, la folie inconsciente des hommes sacrifiant tout pour s'enrichir à tous prix.
""Finalement, le minerai accumulé dans les terrils contient du soufre qui, tôt ou tard, avec l'eau de pluie, va donner des eaux acides qui prennent la route des rivières et qui, finalement, aboutissent dans le Lac Titicaca."" (sans compter le souffre et le mercure)
Lorsque nous étions dans le village flottant sur le lac Titicaca et je me demandais de quoi vivaient les villageois de Puno qui étaient à quelques kilomètres face à nous, vu qu'il y fait froid et que la culture y est insignifiante. Je ne savais pas qu'il y avait des gens sous terre en train d'extraire ces minerais.
Encore une fois merci, ImpasseSud, de nous éclairer sur ces fourmillières inconnues de nos civilisations occidentales et confortables...