Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

Pique-nique sur le Pont des Arts.

19 heures. La journée a été maussade, indécise. Epuisés par nos longues ballades, nous sommes assis sur un des bancs, au centre du pont, le regard tourné vers Notre-Dame et les manoeuvres des bateaux-mouches. Derrière nous, le ciel se dégage, et le soleil, entre deux nuages, décide de réchauffer la soirée avant d’aller sombrer. L'exposition du moment, des photos en noir et blanc, sans aucun doute excellentes, mais d’un goût douteux par ces temps angoissés : des usines délabrées, des terrils, des déchets industriels. Deux des panneaux ont été renversés et une petite femme, grisaille, sentant les archives de musée, s’agite pour convaincre les deux gardes qui patrouillent avec leurs chiens à l’aider à les redresser. Les passants sont nombreux, de toutes sortes, des rollers mais aussi des hommes d’affaires et des intellectuels, serviettes tout cuir pour les premiers, cartables élimés et incolores pour les seconds ; des vendeurs de bière, Indiens, qu’on surveille de loin ; des amants qui suivent le fil de l’eau, des attentes et des rencontres furtives, des globe-trotters et des flots de jeunes Américains, des touristes dont des artistes en peine fixent le portrait pour l’éternité, des groupes assis par terre, sur des couvertures ou à même les planches, qui mangent, boivent, jouent de la guitare ou aux cartes. Certains réussissent à lire. Mais un couple s’approche, la main dans la main.

 

Lui, la trentaine dépassée, assez beau gosse, mais les cheveux bouclés en bataille, la mise terne et plutôt éculée. Elle, mince, élégante, le teint hâlé, vingt-sept vingt-huit ans, tout de noir vêtue : des sandales plates aux fines lanières, une jupe moulante s’arrêtant au-dessus du genou, un étroit pull sans manche, à col roulé. Ses cheveux châtains sont relevés en un doux chignon et son visage sourit presque derrière le rectangle de ses lunettes d’écaille. Apparement, ils cherchent un espace libre près de la rambarde d’amont. Elle, elle porte un grand sac qui semble assez lourd. Lui, il ne porte rien. Dès qu'ils s'arrêtent, non loin de nous, elle en sort un joli plaid, et l’étale sur les planches. Lui s’assoit, le visage au soleil, le dos contre la barrière, les jambes allongées. Elle, elle ôte délicatement ses sandales et, tournée vers le Pont-neuf, elle s’installe face à lui, ses genoux lisses pliés devant elle. Lui, il la regarde de temps en temps, mais laisse aussi son regard errer dans le vide, sur les passants qui défilent, vers le soleil couchant. Elle, c’est lui qu’elle regarde, elle lui parle, lui sourit, le corps tendu en avant. Au bout d’un moment, elle avance ses lèvres vers les siennes et les baise, avec désir. Lui répond à ses baisers, sans conviction, sans faire un geste. Pour elle le temps, l’espace n’existent pas. Pour lui, on ne sait pas : est-il gêné, s’ennuie-t-il ?

Tout à coup elle s’assoit sur ses genoux, tire à elle son grand sac, et commence à en sortir une petite nappe blanche sur laquelle elle dépose deux assiettes en porcelaine, des couverts en argent, et deux verres à pied, allongés, probablement en cristal. Mon cœur bat la chamade : quel romantisme ! Elle garnit la première assiette d’une salade verte qu’elle vient de retourner dans son saladier après l’avoir assaisonnée, sur laquelle elle dépose un médaillon de pâté, des tranches de jambon cru presque transparentes et du fromage. Elle la lui tend avec un jolie serviette et un sourire délicat. Lui, il commence tout de suite à manger, sans attendre qu’elle ait rempli la sienne…. Et quand elle sort une bouteille de champagne, il ne fait pas le moindre geste pour l'aider. Il a presque fini son assiette alors qu'elle a à peine commencé et il ne lui prend même pas la bouteille des mains, pour la déboucher et la servir. C'est encore elle qui fait sauter le bouchon et remplit les verres.

 

Pour nous, il était temps de partir, mais pendant toute la soirée, je me suis demandée ce qu’elle pouvait bien lui trouver d’intéressant à cet homme. Espérons qu’elle se réveille avant qu’il ne soit trop tard. Autres temps, autre mœurs diront certains. Que les femmes prennent l’initiative, je n’y vois pas d’inconvénient, mais qu’on ne se fasse surtout pas d’illusion, la bonne éducation et un peu de galanterie masculine sont toujours très appréciées, aujourd’hui encore, par toutes les femmes, sans exception, quel que soit leur âge, et l’une et l’autre arrondissent encore bien des angles.

Tout à coup, je repense au poème de Sainte-Beuve...

 

Mot-clef : Société, ,

Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 25 Juillet 2004, 19:49 dans la rubrique "Récits".

Commentaires et Mises à jour :

tgtg
25-07-04 à 20:25

que

tu écris bien!!!!
:-)

un couple = 100%
et pour arriver à ce total , ici , je dirais que l'observation donne 20% et 80%.
....:-(((

 
Valaxaur
25-07-04 à 20:58

Une petite émotion à la lecture de ton texte me pousse à te laisser ici ma trace de lecteur. J'ai ressenti ton trouble s'accroitre au fil des mots, il m'a envahi peu à peu jusqu'au malaise. Sensations d'une femme, l'auteure, et d'un homme, le lecteur,  face à un bonheur raté ou à un malheur imminent? Peut-être. Chacun lit comme il veut...

 
ImpasseSud
25-07-04 à 22:02

Re: que

Merci Tgtg!

J'ai été tellement intriguée par cette scène, j'ai eu tellemnet de plaisir à la suivre, que j'aurais pu ajouter encore tant de détails :-))))

 
ImpasseSud
25-07-04 à 22:09

Re:

Valaxaur, merci d'être passé. Je suis contente que tu aies perçu mon émotion. Cette scène fera partie des souvenirs qu'on n'oublie pas facilement. Je me dis qu'il est dommage que nous ayons dû partir avant de connaître la fin, mais ne valait-il pas mieux rester sur un point d'interrogation?

 
PierreDesiles
27-07-04 à 17:36

et la suite...et la suite!

Presqu'un sénario de film tant les détails sont croustillants et le rendu parfait!

Malheureusemnt, triste réalité, présente autour de nous, car la forme a disparue au profit du but à atteindre, sans relief, comme un mouchoir en papier qu'on jette après usage....

Mais je suis sûr que tu sauras nous faire oublier ce triste exemple, quand tu auras posé tes yeux et ton regard experte, sur un romantisme attendrissant, émanent d'un couple qui t'aura à nouveau marqué.

Bsx :o)


 
ImpasseSud
27-07-04 à 18:33

Re: et la suite...et la suite!

La suite reste ouverte.... mais le romantisme se perd, c'est sûr! Et si on n'est pas un peu romantique quand on est amoureux... alors je trouve cela grave car c'est tellement bon!