déclare le fameux écrivain marocain Tahar ben Jelloun dans un article écrit pour l’hebdomadaire L’Espresso, en se référant aux immigrants clandestins.
La nuit du 2 juillet dernier, la police marocaine arrêtait un convoi de 104 personnes, tous Africains, qui allaient s’embarquer pour l’Espagne. Chaque année, ils sont près de 100.000 à essayer d’entrer en Espagne, en traversant le détroit de Gibraltar à bord des « pateras » des trafiquants mafieux. Et l’Association des travailleurs émigrants marocains estime que, durant ces cinq dernières années, près de 4000 personnes ont perdu la vie ou ont disapru lors de ces voyages.
Le 18 juillet 2003, une embarcation de 12 mètres en mauvais état avec 184 immigrants à bord débarquait à Lampedusa, cette petite île italienne qui se trouve à 205 km de la côte sicilienne mais à seulement 113 de la Tunisie. Le même jour, une autre embarcation coulait au large des côtes libyennes avec plus de 70 personnes à bord. Rien qu’en juin 2003, 3000 personnes ont débarqués à Lampedusa, et des dizaines de milliers arrivent chaque année sur les côtes de l’ Italie, dans le talon de la botte entre Bari et Otrante, et en Calabre.
Bien souvent, ces voyages de l’espérance se transforment en tragédies de la mer :
Le 25 décembre 1996, 200 personnes meurent noyées entre Malte et la Sicile; le 28 mars 1997, 54 personnes meurent dans la mer Adriatique suite à une collision avec une corvette de la marine italienne. Dans la nuit entre le 30 et 31 décembre 1999, un canot pneumatique coule dans le canal d’Otrante, provocant 59 victimes. Le 5 septembre 2002, on récupère 37 corps sur le littoral d’Agrigente, et le 22, 14 personnes meurent noyées alors qu’elles cherchaient à rejoindre la côte à la nage après que leur barcasse ait finit sur un banc de sable. Pour finir, le 16 juin dernier, une embarcation coule au large de Lampedusa : 70 morts.
Ici, je ne parlerai pas des immigrés que les « trafiquants en chair humaine » obligent à se jeter à la mer pour rejoindre la côte, même s’ils ne savent pas nager, ou poignardent et jettent par-dessus bord quand ils ne sont pas assez dociles. Je ne parlerai pas non plus des rafiots que l’équipage abandonne à la dérive quand ils arrivent en vue des côtes, même si la mer est grosse, et je passerai sur tous les épisodes différents mais semblables qui caractérisent chaque frontière.
Parmi eux, des femmes, des enfants, et, de plus en plus souvent, des nouveau-nés.
Comment peut-on rester indifférents ?
Critiquer l’Espagne et l’Italie ? Un peu trop facile, elles sont aux premières loges. L’Algérie, elle-même, malgré ses nombreuses expulsions, n’arrive pas à freiner le flux migratoire vers le Nord des habitants des pays Africains. Idem pour la Libye.
« Ensuite, ils finissent chez nous », m’a dit un jour une brave dame patronnesse bien nantie, qui ne supporte pas de verser quelques Euros d’impôts en plus pour que ces gens-là cessent de crever de faim, de peur, de fatigue, pour que ces gens-là retrouvent un peu d’espoir quelque part, de chaleur humaine, de vie possible.
Et bien oui, ils finissent chez nous. Et nous, que ferions-nous à leur place ?
Où est la solution ?
Pendant plusieurs siècles, notre civilisation s'est approprié (et continue à s'approprier) des richesses des populations réduites aujourd’hui à la misère. Notre civilisation a ensuite détruit leur système d’organisation ethnique, les forçant tacitement à adopter le nôtre.
Dans son livre « Il Vizio oscuro dell’Occidente », Massimo Fini, journaliste et écrivain italien, dénonce ce fait plus ou moins en ces termes : « La conception occidentale de la globalisation est la suivante : libre circulation des capitaux et des marchandises, mais pas celle des hommes, c’est-à-dire que le capital peut aller chercher sa propre collocation géographique là où il est le mieux rémunéré, mais que ces mêmes hommes, qui bien souvent ont été réduits à la misère justement par ce capital, n’ont pas ce droit. Si on laisse de côté toutes les considérations éthiques à propos de cette façon de poser le problème, il reste que l’Occident industriel s’est fourré dans une fourchette irréversible qu’il a créée lui-même. En effet, s’il ouvre ses portes à l’immigration sans faire de distinctions, il risque d’en être rongé par l’intérieur, mais s’il ne le fait pas, il créera des masses de désespérés toujours plus importantes qui pousseront aux frontières et qui seront les proies faciles des louanges du terrorisme. La situation ne peut pas non plus se résoudre par l’envoi d’ «aides» aux populations du Tiers-monde, essayant ainsi de mieux les intégrer, parce que c’est justement cette intégration, comme le démontre l’histoire de ces trente dernières années, qui la rend malade et la fait exploser. »
(ma traduction)
Le problème de l’immigration au sein de l’UE a été un des sujets du récent forum de Salzbourg, le premier avec l’Union européenne à 25. L’Italie, à la présidence depuis le 1er juillet, pour six mois, a proposé, pour combattre le phénomène, de baser son programme sur :
- une prime aux pays hors de l’UE qui collaboreront pour empêcher l’immigration,
- la somme d’argent dont disposent ceux qui veulent entrer en Europe,
- l’inscription sur les permis de séjour des données biométriques des immigrants, une sorte de livret avec les maladies probables, les caractéristiques épidémiologiques et génétiques des individus.
- L’UE devra concentrer les ressources affectées à l’immigration (250 millions d’Euro) aux rapatriements.
M. Pisanu, le ministre de l’Intérieur italien a conclu en ces termes : « La Présidence italienne pense qu’une partie consistante des fonds pour financier les accords avec les pays d’origine ou de transit des plus importants flux migratoires doit être destinée à trois objectifs spécifiques : un contrôle majeur aux frontières de ces pays, la lutte contre les trafiquants, le rapatriement et les réadmissions. » Il a ensuite ajouté : « Il sera nécessaire de mettre en acte une politique sévère des visas et des mesures ultérieures pour le contrôle des entrées. »
(je ne sais pas si j'ose citer les mots du ministre U. Bossi, qui propose de les repousser à la mer à coups de canons!)
Il est clair qu'un tel programme, exclusivement répressif, ne tient pas compte de l’aspect global de la réalité. Et là, je rejoins parfaitement le point de vue de Tahar ben Jelloun qui conclut son article dans l'Espresso plus ou moins en ces termes (adaptation traduite) :
« Même si, selon les experts, d’ici 2010 l’Europe a besoin de plusieurs millions d’immigrés, l’unique solution est de diminuer les inégalités sociales et économiques dans les pays du sud, par des investissements et un partage – en d’autres termes par une politique moins égoïste, plus généreuse - afin que les gens trouvent du travail chez eux, décourageant ainsi les candidats à l’émigration. Si on essaie de forcer la porte du voisin, c’est parce qu’on a perdu toutes notions de respect, de droit et de dignité. C’est ce qu’on lit dans le regard des femmes africaines récemment échappées à un naufrage. L’une d’elle, mère de famille, un enfant au sein, répète face à l’objectif que si on la rapatrie, elle recommencera. Vu que la répression, les risques du voyage, l’emprisonnement et la mort pour eux-mêmes et pour leurs enfants, ne les découragent pas dans leurs tentatives qui sont bien souvent des récidives, il faut leur donner un espoir chez eux.
Il serait temps de comprendre que chez ces gens-là, il y a une détermination plus forte que tout et que la mort ne leur fait plus peur ! Comme dans le cas des kamikazes, l’instinct de vie cède la place à la volonté de mort. Quand on n’a plus rien à perdre ni à espérer, la mort devient banale, et peut même être une libération. »
Commentaires et Mises à jour :
Re: indignation
J'ai suivi d'assez près l'affaire de Sangatte, avant et après la fermeture du hangar de la Croix-Rouge. D’une part, c’est d'une grande cruauté, mais c’est également d'une bêtise sans nom. On croit supprimer le problème en supprimant ses aspects extérieurs. Heureusement qu'il y a des gens courageux, pleins de bonne volonté. C'est la même chose en ce qui concerne les débarquements sur les cotes méditerranéennes. Il y a une foule de gens simples, et même sans le sous, qui aident les immigrés. Il n'y a encore aucune répression de la police contre eux, mais cet hiver, un patron dont le bateau de pêche avait secouru les passagers d'une barcasse qui était en train de couler, a été dénoncé par le parquet pour "encouragement à l'immigration", osant par là aller à l'encontre des lois de la mer valables dans le monde entier.
Je suis tout à fait d'accord avec toi quand tu pointes le doigt sur les politiciens marrons. Mais leurs calculs vont bien au-delà de la satisfaction d'un électorat d'extrême droite, et les lois répressives et restrictives ont un but bien précis.
L’Italie et la Grèce sont les premiers pays de l’UE pour le pourcentage sur le PNB (30%), des économies submergées L’Italie compte entre six à huit millions de personnes qui travaillent au noir (sources Il Manifesto). Dans cette masse, les étrangers clandestins ne représentent qu’une petite minorité, mais ils sont très recherchés parce ce que vulnérables. Dans le bâtiment (surtout dans la plaine du Pô) et pour l’agriculture, chaque matin, bien avant l’aube, à des points donnés, des "caporaux" sélectionnent les plus gros travailleurs journaliers parmi les plus dociles, Et en cas de problème, quoi de plus facile, avec les lois actuelles, de « découvrir tout à coup » qu’il s’agit d’un clandestin et de décider de son expulsion ?
Re: Re: indignation
La Russie aussi est en train de devenir intollérante face aux immigrants clandestins qui arrivent continuellement dans les grandes villes, en provenance pour la plupart des ex Etats de l'URSS. Je viens de lire un article qui cite une déclaration du ministre de l'Intérieur russe Gryzlov, qui propose tout simplement de les déporter. Les camps de la Sibérie vont-ils rouvrir?
indignation
Il n'y a aucune autre solution que celle d'améliorer le sort et l'espoir de ces populations migratoires chez elles. Toute autre tentative de répression, de contrôle, de dissuasion est vouée à l'échec et à la mort potentielle d'enfants, de femmes et d'hommes qui choisiront de fuir leurs conditions de vie plus que déplorables. Tahar ben Jelloun a mille fois raison. Honte aux ministres salopards et réactionnaires qui ferment leurs frontières par clientélisme pour satisfaire un électorat nauséabond d'extrême droite.