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« Ressources humaines », une expression à bannir!
--> Encore une question de vocabulaire, et pas des moindres.

Je suis presque furieuse quand je lis des phrases telles que "les chefs du personnel sont devenus des directeurs des ressources humaines, le vocabulaire a souvent progressé davantage que la réalité." Celle-ci appartient cependant à un bel article tout à fait perspicace de Jean-François Dumont, éditorialiste de l’hebdomadaire belge Le Vif/L’express signalé par TgTemps qui en reproduit un extrait. Dans cette affaire, je ne sais pas si le vocabulaire a réellement « progressé », mais à mon avis, c'est plutôt l'homme (en l'occurrence le personnel) qui a régressé, passant du statut de « personne » à celui d'une banale "ressource quantifiable". 

 

Les mots ne sont jamais innocents, je le répète très souvent. Il se peut que, de temps en temps, il nous en échappe un ou deux hors de leur contexte, mais quand ils atteignent le stade d' "appellation", alors il n'y a plus aucune ambiguïté, c'est bien ce qu'on voulait dire. Dans "Ressources humaines", le contexte de "personnes" a disparu, ce qui compte, c'est celui de "ressources", "humaines" n'est là qu’en tant qu’adjectif qualificatif, pour permettre de faire la différence avec "pétrolières", "bananières", "minières", etc... De la marchandise à exploiter et rien de plus.

Voilà des années que je dénonce cette expression, que je refuse de l'utiliser, et voilà que tout à coup on tombe des nues face au mécontentement croissant des salariés qui n'ont plus envie de travailler ! Bien sûr, d'autres facteurs entrent en ligne de compte, mais ce genre de vocabulaire ne naît pas, ne progresse jamais par hasard. C'est au contraire le symptôme d'un courant imprimé par un petit nombre de décideurs que tout le monde suit sans réfléchir. Dans le cas présent, la minorité qui a décidé est faite de patrons et d'actionnaires (et parfois même de l'Etat) qui, obnubilés par leurs bilans, frais, chiffres d’affaires, profits et dividendes, n’ont plus le moindre regard pour tous ceux qui sont derrière.
Les « ressources » ne sont qu'une potentialité physique dont on tire un rendement unique, et qu'on abandonne quand celui-ci diminue. Elles n’ont ni visage, ni familles, elles n'ont pas de loyers, de traites ou de factures à payer. Le « personnel » si ! Les « ressources» n'ont aucune sensisbilité, n'éprouvent aucun sentiment envers l'entourage ou les appréciations. Le « personnel », si ! Les « ressources » n’ont ni autonomie personnelle ni les qualités propres à fournir intelligence, initiative, compréhension, efforts. Le « personnel », si ! « Les ressources » sont statiques. Le « personnel », lui, est dynamique, multiple, il est constitué par un grand nombre de personnes aux qualités variées, complémentaires, que l’on peut développer, combiner et même parfaire, aux défauts que l’on peut transcender, et chacune d’elles, c’est-à-dire chacun des individus qui en font partie, grands ou petits,  forts ou faibles, savants ou peu instruits, extrovertis ou timides, brillants ou besogneux, a son importance et sa fonction.

Mais tout cela, on l’a oublié. Pour parler des salariés, on est passé, en l’espace de vingt ans, de l’appellation d’ensemble « le personnel », à « les personnels » (ce qui sous-entendait déjà des distinctions par ordre d'importance), à l’horrible « ressources humaines » qui a fait basculer d’un seul coup l’ensemble de tous ceux qui travaillent pour un salaire dans un grand sac où on ne regarde jamais, mais où on puise selon les besoins du marché. Quelqu’un vous a-t-il jamais dit : « Moi, je suis une « ressource humaine » de telle ou telle entreprise », ou encore  : « Aujourd’hui, il y a la réunion des « ressources humaines ». Non, les gens ont besoin d’un mot qui indique qu’ils sont des « personnes ». 

On veut que les choses s’améliorent ? Alors pourquoi ne pas commencer par bannir cette horrible expression, par un retour à la personnalisation. « Le salaire n’est pas tout », écrit notre éditorialiste. En effet, qui d’entre nous ne vit pas, également, d’un peu de considération ?

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Ecrit par ImpasseSud, le Vendredi 14 Octobre 2005, 07:01 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

Incognito
14-10-05 à 08:09

Lien croisé

info - [C]Rétablir des conditions de travail acceptables! : " Ton billet et l'article auquel tu te réfères ont inspiré le mien :-) "

 
alberto
14-10-05 à 08:25

Parfaitement de ton avis. Je trouve que tu mets le doigt sur un point extrêmement brûlant et qui, j’ai l’impression, va devenir de plus en plus brûlant, surtout dans les pays de dénatalisation.

 
parasitemort
14-10-05 à 08:54

eh bien... j'avais déjà eu cette impression lors de mon stage ne entreprise et j'avais aussi trouvé cala peu "humain"... Bravo pour cet article, je suis d'accord avec toi.

 
ImpasseSud
15-10-05 à 08:15

Re:

Alberto, Parasitemort, j'aimerais tellement que beaucoup de monde soit tout à coup d'accord avec moi.

 
Monsieur HUT
15-10-05 à 19:54

Pour ce qui est du vocabulaire à employer, je trouve le terme "intendant" bien plus en adéquation avec la nature réelle du poste. C'est d'ailleurs tellement vrai que bien souvent le Directeur du Service du Personnel, pour les entités qui usent de cette fonction, gère également le Service Entretien et Maintenance. Gérer les fiches de paye et les demandes de congés, c'est de la logistique et non de la gestion de personnel.

Le vrai Directeur du Personnel au sens primaire de ce terme, ce n'est ni plus ni moins que le dirigeant de l'entreprise, faute de quoi il ne saurait mériter cette appellation. Une société se résume aux hommes qui la compose, et les conceptions systémiques qu'on s'en fait sont des vues de l'esprit. Or, diriger c'est servir l'entité que l'on dirige et, par voie de conséquence, son personnel. De la pleine compréhension de ce paradoxe découle la qualité du dirigeant dont la bienveillance est un leitmotiv.

Mais le dirigeant est aussi et avant-tout un stratège, un calculateur et un créatif : c'est ce que son personnel lui demande quotidiennement, afin que l'entité survive et prospère dans l'harmonie pour le bien de tous ses membres. C'est celui qui s'accomode le mieux de la brutalité et de la cruauté du monde extérieur, économique ou politique, c'est lui qui l'analyse froidement, mathématiquement, avec rigueur et décide de la route à suivre.

Aussi, et c'est là que mon point de vue diverge quelque peu du tien, il serait irresponsable de la part du dirigeant de s'appuyer sur les "qualités variées et complémentaires" de son personnel. Les effets de masse et les inexorables modifications de personnalités font que les populations salariales se valent dans le temps. Ce sont les conditions dans lesquelles un dirigeant fait effectuer le travail qui font la différence et permettent au potentiel de chacun de s'exprimer pleinement.

Si le potentiel créatif, organisationnel, artistique... d'un employé commence à s'exprimer indépendamment des circonstances offertes par un dirigeant, il ne tarde pas à devenir lui-même son propre maître, voire à expérimenter l'accès à cette forme de maturité économique comme une expérience spirituelle. A mon sens, le plus obscur des artisans est au directeur commerciale de multinationale ce que l'adulte est à l'enfant.

Si le dirigeant doit donc nécessairement tenir compte que la société qu'il dirige se résume aux femmes et aux hommes qui la composent, lesquels ne sauraient être assimilés à des objets, il ferait preuve en revanche d'une grave incompétence en comptant sur "l'initiative, la qualité, l'intelligence, l'effort" présupposés de ses équipes : ces choses viennent en leur temps quand les conditions adéquates sont créées quelles que soient les personnes que l'on dirige, et justement parce-que ce sont des personnes et non des objets. Et certains, parfois, en viennent à décider de passer de l'autre côté du miroir.

 
ImpasseSud
16-10-05 à 15:26

Re:

A ta définition, moi, je donnerais plutôt le titre de "Directeur administratif", qu'on utilisait encore il y a vngt ans dans les petites entreprises. Dans les grandes, les fonctions de directeur administratif et de chef du personnel étaient tout à fait distinctes. Quant aux 'intendants", j'ai du mal à les imaginer en dehors des "latifundia". C'est la raison pour laquelle je répondrai surtout à ton dernier paragraphe.

Je ne pense pas qu'un dirigeant doivent "avant tout" tenir compte des qualités d' "intelligence, initiative, compréhension, efforts" des hommes et des femmes qui composent le personnel, mais ne pas en tenir compte est, à mon avis, le symptôme de deux caractéristiques qui, bien que distinctes l'une de l'autre, coexistent bien souvent, malheureusement : la servilisme et l'imbécilité. Comment peut-on expliquer autrement les critères qui, aujourd'hui où la demande dépasse largement l'offre, entrent en ligne de compte pour un engagement? N'est-il pas, au contraire, très facile de déceler les candidats qualifiés, voire compétents, au milieu des grimaces des parfaits acteurs, des CV gonflés ou des lettres de motivation flatteuses et mensongères ? Est-ce donc le demandeur d'emploi qui s'impose par un entregent impeccable (peu importe la compétence), ou l'empoyeur qui choisit, délibérement, un bon acteur, c'est-à-dire une personne malléable, "flexible", un bon exécutant ? Evidemment dans ces cas-là "intelligence, initiative, compréhension et efforts" risquent de devenir des défauts véritablement encombrants, que, contrairement à ce que tu dis, non seulement on n'utilise pas en un second temps, mais deviennent assez vite des motifs de licenciement ou de harcèlement. Ce n'est pas par hasard qu'aujourd'hui on préfère les CCD et la précarité en général. Quant à passer de l'autre côté du miroir, aujourd'hui on le fait rarement par choix, mais bien plus par désespoir et sans avoir les qualités nécessaires, et ceci pour se retrouver, dans de nombreux cas, au même point un an plus tard, ou encore plus bas.

Je suis toujours terriblement surprise par tous ceux qui, aujourd'hui, défendent la "flexibilité", même parmi ceux qui sortent des grandes écoles et sont hautement qualifiés. A mon avis, ils n'ont pas la moindre idée de ce dont ils parlent. Le fait que les générations précédentes aient lutté pendant des siècles, voire des millénaires, pour l'amélioration du statut de tous ceux qui travaillent "pour" quelqu'un, ne devrait-il pas leur mettre la puce à l'oreille? Ou bien le lavage de cerveau actuel du courant néolibéraliste commence-t-il à donner ses fruits? Sous l'expression de "ressources humaines" se cachent tous les esclavages, toutes les exploitations, toutes les émigrations. La région du sud de l'Italie où j'habite actuellement en sait long à ce sujet, tu peux me croire! En paroles, on peut toujours tout défendre, une apparente vérité et son contraire, mais les faits finissent toujours par mettre à nu la réalité. 


 
Monsieur HUT
17-10-05 à 13:41

Re: Re:

Tout d'abord, et malgré la traditionnelle apparence glacée de mon expression, je tiens à dire que je trouve ton sentiment de tristesse et de révolte tout à fait légitime et que je ne remets pas en cause la pertinence du sujet que tu as lancé ni la manière dont il est traité. Je te commente peu mais je te lis beaucoup.

Je m'oppose à l'idée que l'on puisse défendre en paroles des idéologies diamétralement opposées. Cela ne me semble pas possible sans formulation d'une erreur logique, auquel cas la défense s'écroule. J'en veux pour preuve éclatante que bon nombre de philosophes furent de brillants scientifiques. Parallèlement à cette option, si les faits mettent effectivement à nu la réalité, j'ai tendance à me méfier des évidences qui font immédiatement écho à notre propres schémas de pensée. Je ne dis pas que tu es dans cas, c'est juste que cela ne paraît pas possible.

Lorsque je dis "[...] grave incompétence en comptant sur l'initiative [...]", j'exprime par-là que selon moi, ce sont les employés qui doivent pouvoir se reposer sur leur dirigeant, pas l'inverse. C'est à lui de créer les conditions de l'épanouissement puisque la marge de manoeuvre est sienne. Je ne dis rien de plus, j'ai donc trop dû développer la même idée par excès de précision, puisque nous sommes d'accord sur le fait que "ressources" est un terme inapproprié.

Donc, mon propos n'est pas de m'inscrire en faux dans ton analyse des stratégies économiques actuelles et de leurs dégâts, mais de mettre l'accent que la reconnaissance de l'employé en tant que personne ne peut s'avérer profitable à tous que par l'existence de dirigeants à la hauteur de cette humanité autrement plus complexe (et plus passionnante) à vivre.

 
ImpasseSud
17-10-05 à 15:48

Re: Re: Re:

Dans le cas présent, la réalité qui est en train de faire surface ne fait pas seulement écho aux schémas de pensée de quelques-uns. La tache d'huile est, au contraire, en train de s'élargir démesurément. Les gens sont mécontents, ils se sentent frustrés. On en écrit des livres. Il ne se passe pas une semaine sans qu'un grand hebdomadaire ou un grand quotidien aborde la question, sans toujours mettre en évidence l'endroit où le bât blesse, malheureusement. Le rapport direct employeur/employé semble désormais bien mal en point et je suis tout à fait d'accord avec ta dernière phrase.


 
ImpasseSud
18-10-05 à 08:23

Cet article paru hier dans Le Monde :  Y a-t-il des raisons d'espérer que le capitalisme se calme ?, par Eric Le Boucher », confirme ce que j'ai écrit ci-dessus. Aux problèmes des embardées du capitalisme actuel, les experts en économie continuent à chercher des solutions « financières » et les journalistes à rapporter ces mêmes «solutions financières». Entre chercheurs et journalistes, tout le monde ou presque continue à ignorer, même en la citant, l'ampleur de la dégradation des rapports humains, comme si aujourd'hui, personne n'était plus capable de penser autrement qu'en matière de «finances». Je ne possède pas les connaissances nécessaires pour émettre un jugement ou même une opinion à propos des solutions financières proposées, mais pourquoi s'obstine-t-on à ignorer une partie « essentielle et indissociable » du problème : pour que l'économie reprenne de l'essort, il faut commencer par redonner aux gens l'envie de travailler.

 
Monsieur HUT
18-10-05 à 12:03

Re:

Mais aussi à rejeter le mythe de la croissance toute-puissante soutenu par de dangereux illuminés et inapplicable sur une planète aux ressources limitées. Mieux travailler (par opposition à : travailler plus), c'est une forme d'épanouissement personnel et individuel facteur de bien-être et donc, de limitation d'une consommation compulsive, débridée et, au final, avilissante : toutes ces notions sont liées. L'économie à (ré)inventer se passera nécessairement du mirage de la croissance économique pour considérer harmonieusement l'intérêt de tous ses acteurs.

Nous ne devrions pas attendre que tels schémas soient proposés par les gouvernements pour commencer à les imposer de fait au niveau local, comme une évidence de survie biolgique à moyen terme. D'ailleurs, on voit des modèles d'économie parallèle fleurir un peu partout en France depuis quelques années, signe d'un chaos fertile. Si nous n'opérons pas nous-même cette régulation des flux économiques, elle nous sera imposée par les lois de la matière.

 
ImpasseSud
18-10-05 à 13:17

Re: Re:

Voilà une vision des choses assez positive. En Italie, le système des coopératives, après avoir piétiné pendant un certain temps, ou, encore pire, après avoir encouragé certaines dérives entre le public et le privé, commence effectivement à prendre un bel essort.