On aime ou on déteste, et je serais incapable de faire un meilleur compte-rendu de ce livre que ne l'a fait Kinbote. Pour ma part j’ai aimé.
Tout d’abord, j’ai aimé l’équivoque entre les deux acceptations du terme « jalousie ». La première, celle de l’imaginaire, qui n’est utilisée qu’une seule fois, dans le titre, qu’on sent naître tout au long du roman, imperceptible au départ mais qui, au fur et à mesure, se fait plus dense, vous incitant à aller de l’avant. La seconde qu’on ouvre ou qu’on ferme tout au long du jour, suivant l’heure et l’exposition, avec ses lames de bois qui découpent le paysage et A…, montrant ou cachant tour à tour. Les longues descriptions d’une telle acuité, une « école du regard », ne m’ont pas rebutée, car je les ai lues à un rythme africain, lent, berceur, comme sous un soleil implacable. Les dérobades et les rondeaux incessants qui déroutent au début, témoins d’un esprit tourmenté qui ressasse les mêmes pensées à l’infini, ont fini par m’enchanter, et je me suis même surprise à les guetter, les désirer. J’ai savouré l’introduction discrète du troisième personnage (le troisième couvert), dessiné en creux, en négatif, dont l’absence dans le roman se fait toujours plus imposante jusqu’à devenir omniprésence, palpable. Mais pour finir que sait-on de cette jalousie, que sait-on de ce mari qui épie sa femme jusque dans ses moindres gestes ? Rien, tout reste dans le non-dit et c’est délicieux.
Que ceux qui aiment lire lentement (ce qui ne signifie pas qu’il faille y mettre du temps, car on peut lire ce livre en quelques heures), c’est-à-dire savourer les mots, la langue, le style au-delà du récit, que ceux qui jouissent quand ils sentent monter en eux puis grandir une impression éphémère, un climat particulier, à peine décelable dans les premières pages, que ceux qui savent apprécier les non-dits et les conclusions incertaines laissées à la rêverie du lecteur se lancent. Le « Nouveau Roman » ne me plaît pas, diront certains. Pour ma part, j’ai peu de goût pour l’analyse littéraire, et peu m’importe qu’il appartienne à cette catégorie. Mais ce roman de Robbe-Grillet, si vous vous laissez faire, vous emporte dans son sillage.
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Re:
Personellement, ce qui m'a donné envie de le lire, (et cela date de quelques années), c'est un petit bouquin universitaire de Bernard Valette sur "Le Roman", en usage ici chez les étudiants en français. Il consacre un grand paragraphe à ce qu'il appelle "L'effet-jalousie" au sein du "pacte narratif", et son approche a éveillé en moi une certaine curiosité qui n'a pas été déçue. Cet été, lors de mon passage à Paris, j'ai fini par l'acheter :-)))
Re: Re:
Je te conseille "La Modification" de Butor qui détrônerait presque dans mes préférences "la jalousie".
Re: Re: Re: Re:
... Je suis heureuse de savoir que tu as aimé "La Jalousie"... et je prends note de ton conseil pour mes prochains achats :-)!
Certes, on se laisse facilement prendre, on veut aller plus loin. Mais malgré tout, même si on est loin des la pipe de Sartre dans "La Nausée", je trouve le style assez lourd parfois. Et j'ai terminé le livre comme je l'avais commencé, c'est à dire sans passion.