Dans une ville quelconque d’un pays quelconque, un homme au volant de sa voiture attend à un carrefour que le feu passe au vert, mais tout à coup il devient aveugle. Il ne voit pas tout noir, mais au contraire, tout blanc, comme s’il était entouré d’une « blancheur lumineuse », semblable à une mer de lait. Au début, il pense qu’il s’agit d’un problème passager, mais l’ophtalmologue qu'il consulte ne comprend pas de quoi il s’agit et devient aveugle à son tour. Peu à peu cette cécité se propage, comme une épidémie, tout d’abord à tous les patients du médecin, mais finit par toucher toute la ville, puis tout le pays, laissant cependant indemne la femme du médecin.
Les autorités, très vite dépassées, ne voient pas d'autre solution que celle d’isoler au fur et à mesure les aveugles et ceux qui sont entrés en contact avec eux. Les premiers sont envoyés en quarantaine dans un ancien hôpital psychiatrique désaffecté, où ils sont contraints, abandonnés à eux-mêmes, à vivre dans un abrutissement profond et l’abjection la plus totale - les nécessités les plus élémentaires se transformant en une entreprise impossible, voir quelques extraits) -, rencontrant l’indifférence la plus complète des soldats qui gardent l’établissement. Ces derniers, persuadés qu’un simple regard rend aveugle, tirent sur tous ceux qui osent passer la porte.
A l’intérieur, cependant, une hiérarchie basée sur la violence s’impose très vite. Les plus forts s’approprient des vivres qu’ils ne distribuent que contre une rançon, et quand les richesses matérielles sont épuisées, ils obligent les femmes à se prostituer. Dans cet enfer, la femme du médecin qui a fait semblant d’être aveugle pour pouvoir accompagner son mari est la seule voyante. Elle aide comme elle peut ceux de son entourage, mais elle descend elle aussi tous les cercles de l’horreur jusqu’au jour où elle tue le tyran, et réussit avec un petit groupe à prendre la fuite. Mais à l’extérieur la situation n’est pas meilleure. La dégradation n'a plus de limites……
Je m’arrêterai là pour ne pas gâcher la lecture de ceux qui voudraient se lancer dans ce livre de 366 pages, écrit comme dans un souffle oppressant, avec très peu de paragraphes et sans retour à la ligne pour les dialogues, mais facile à lire.
Ce qu’on y découvre, de façon paradoxale, c’est que c’est justement le monde des ombres qui révèle tant de choses sur celui que nous "croyons" voir. Avec des images d'une forte intensité et des accents d'une grande dureté, Saramago dénonce la nuit de l’éthique dans laquelle a sombré notre société, pleine d'esprits aveugles. En 1996, il déclarait à Einaudi, son éditeur italien : « La cécité, c’est la cécité de la rationalité. Nous, nous sommes des êtres rationnels, mais nous ne nous comportons pas de façon rationnelle. Si nous le faisions, dans le monde personne ne mourrait de faim . »
Le livre porte en exergue :
Si tu peux voir, regarde.
Si tu peux regarder, observe.
Livre des Conseils
A lire absolument.
* José Saramago, un des plus grands écrivains portugais, a reçu le Prix Nobel pour la littérature en 1998.
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