Ceux qui connaissent la Méditerranée pour avoir passé quelques semaines de vacances sur ses rives, l’imaginent telle qu’elle se présente au Cap d’Agde ou à Saint-Tropez, à San Remo ou à Rimini, avec un certain charme, cela va de soi, mais submergée par les touristes et leur cannibalisme destructeur. Ceux qui l’ont sillonnée en long et en large en ont sans aucun doute saisi les beautés, les nuances, les humeurs et l’immense maternité. J’avoue sans ambages que mon coeur va vers les seconds, car il s’agit d’un contact réel, d’un corps à corps. Avec la mer, on ne peut pas tricher. Mais la Méditerranée, comme toutes les mers et tous les océans d’ailleurs, recèle tout au fond de soi des secrets, qui, au cours des siècles, ont forgé les qualités des populations riveraines. L’un d’eux est évident, c’est le sens de l’hospitalité. Si vous êtes dans la gêne, l’hospitalité est spontanée, gratuite, chaleureuse, généreuse. Si vous savez être discret et vous rendre sympathique, l’hospitalité est respectueuse. Je laisserais de côté l’hospitalité vénale, parce que ce n’est que la réponse à l’arrogance et la bêtise des touristes. Je citerai un deuxième secret, moins bien connu: c’est l’ingéniosité.
En ville, le contact intime avec la mer, celui du corps, n’est pas toujours facile. La promenade du long de mer jette un regard indiscret sur la plage envahie par les établissements balnéaires. Les gens y affluent avec leurs voitures, entraînant avec eux bruits et pollution. Mais moi, je n’aime pas les demi bonheurs. Alors, pour savourer le calme, entendre le rythme des vagues, se laisser prendre jusqu’à l’oubli, savourer le paysage, il faut aller ailleurs, plus loin.
A quelques kilomètres seulement, au fond d’une orangeraie, il y a une toute petite plage de sable fin, en arc de cercle, protégée des vents violents du nord. Ne la connaissent que les habitants des quelques villas voisines. Elle est étroite et les eucalyptus la couvrent pour une bonne partie de leur ombre. Pas besoin d’emporter de parasol, un grande serviette est suffisante. Malgré cela, nous n’y allons pas souvent, car l’eau, parcourue par les courants du détroit, n’y est pas toujours bien chaude. Il y a quelques jours cependant, le vent soufflant du sud, nous nous sommes décidés pour cet endroit. Quand nous sommes arrivés, il n’y avait que deux autres couples, et tout au bout, deux petits garçons d’environ 7 et 8 ans. Assis en tailleur sur le sable, ils tenaient devant eux un morceau de carton où, de leurs mains encore inexpertes, ils avaient écrit « BAR ». Bien entendu, ils nous regardaient, tous, tour à tour, espérant attirer notre attention, mais avec beaucoup de réserve et sans venir nous importuner. Nous avons fini par nous approcher : "Mais de quel bar s’agit-il?" leur avons-nous demandé. "Ici, il n’y a aucun bar." "Non, justement!" a répondu le plus grand avec sérieux. "Mais vous pourriez avoir soif. Et vous pourriez avoir envie d’une orangeade, d’un coca, d’une bière. Nous, on a tout ça dans le frigo, à la maison. C’est tout près et on peut aller les chercher. Tenez, voici la liste." Face à cette carte improvisée avec application et quelques fautes d'orthographe, nous avons souri, avec tendresse. D’aucuns souriront avec suffisance, en pensant qu’il s’agit d’une initiative surannée, de pays pauvre. Mais ces enfants-là ne sont ni pauvres ni riches, ils ont tout simplement hérité de cette ingéniosité méditerranéenne, qui, avant que je n’arrive, a enchanté pendant des années l’enfance et la vie de tous ceux qui vivent ici, tout comme les quelques tables que des femmes installaient parfois sur la plage, à l’ombre d’une baraque en bois, servant pour un prix très modique à qui voulait s’arrêter, des moules marinières à peine détachées d’un pain vivant immergé dans l’eau claire, arrosées du suc d’un citron rugueux à la peau épaisse, pulpeux, au parfum exaltant, une peperonata savoureuse aux couleurs vives, une salade d’énormes tomates rosées, presque pourpres, charnues, gorgées de soleil, le tout arrosé d’un vin conservé avec la pastèque juteuse dont on vous taillait une belle tranche, dans la fraîcheur d’un puits creusé à même le sable mouillé.
Pour ma part, j’ai eu la chance de connaître encore quelques bribes de cette époque, la façon dont les gens les plus simples savaient se débrouiller pour «sbarcare il lunario*» comme on dit ici, permettant aux plus humbles de se défendre avec dignité tout en faisant le bonheur de toute une population. Et imaginez un peu la fierté de nos deux enfants, quand ils réussissent à vendre quelques boissons! Le fisc n’y avait pas encore mis ni son nez ni ses lois. Aujourd’hui, tout cela semble de l’histoire ancienne, en Europe surtout où, chez les enfants, on encourage plus le culot que l’ingéniosité, tout en les persuadant que tout leur est dû. Les secrets de la Méditerranée sauront-ils résister à ce vent d’inhumanité?
* Joindre les deux bouts.
Mots-clefs : Méditerranée, Société
Commentaires et Mises à jour :
Re: Bonjour
Quel plaisir de te lire!! Bien sûr que j'ai reçu ta réponse. Mais ces temps-ci, j'ai eu tellement à faire que j'ai un peu délaissé ma poste électronique et mon joueb. Je vais de ce pas jeter un coup d'oeil sur ton nouveau joueb :-)!
ImpasseSud
Comme toujours l'émotion prend le pas sur l'écriture quand on vit tes textes.
J'ai imaginé ces enfants, dont tu parles, et en te lisant, ont défilés dans ma tête, des comparaisons...
1° Il y a quelques années un jeune garçon, venu de métropole était le premier sur l'île, à laver les pare-brise des voitures. Il se postait à un feu rouge dont il connaissait parfaitement la durée pour ne pas freiner la circulation, et laissait le "client" choisir le montant de sa prestation. Il était devenu noir d'ensoleillement! Un jour, un quotidien a cru bon faire un article sur lui, en dévoilant ses revenus assez conséquents (10 à 12 mille francs). Ensuite il y avait des gamins partout et plus personne ne voulait se faire laver la vitre, car la qualité n'y était plus. Le jeune homme s'est retrouvé au chômage et a dû quitter l'île!
2° Autre histoire, autre moeurs. C'était à Lima, capitale du Pérou, nous étions dans un car privé en voyage de groupe. Au feu rouge, là bas c'est une tradition de voir de nombreux vendeurs à pieds s'intercaler entre les véhicules, respirant toute cette pollution à plein poumons, pour essayer de glaner quelques clients. Nous avons été émus par un vendeur de petite marmottes en peluches qu'il animait en mettent sa main dedans comme un gant, les faisant courir sur son bras. Après avoir insister auprès du guide, On le fit monter dans le car et toutes ses peluches ont été vendu. Il avait la quarantaine et ses yeux embués de larmes en disait long sur ses dures journées! Coup de coeur pour nous?
""des moules marinières à peine détachées d’un pain vivant immergé dans l’eau claire, arrosées du suc d’un citron rugueux...""
ImpasseSud, tu m'en mets l'eau à la bouche...., puis-je t'inviter?
Re: ImpasseSud
Pierre, les exemples que tu fournis sont un peu différents de mon histoire.
Ne parlons pas des laveurs de vitre aux feux-rouges. Ici, nous avons été envahis, et ça commence seulement à diminuer. O combien exaspérants!!!! En plus, ce travail n'était pas fait par des enfants, mais par des immigrés sans travail. Le drame, c'est qu'il vous salissait plutôt votre pare-brise et qu'on ne peut pas donner à chaque feu et à tout le monde.
Dans les pays pauvres, pourquoi ne pas tirer quelque chose des touristes? Bravo pour votre geste à Lima! Mais là encore, c'est pareil. Peut-on aider tout le monde? On est contraint à faire des choix.
Sur ma petite plage, il n'y a pas de touristes. Cela rejoint plutôt la mentalité locale, bien justifiée. En Italie, il y a des endroits bien secs, avec peu d'ombre. L'été, personne ne se déplace en voiture, personne ne va à la plage sans avoir de l'eau potable avec soi. Alors, pourquoi ne pas proposer quelque chose de différent? Et les petits "restaurants improvisés" dont je parle servait la population locale. Malheusement, "grâce" à la modernité, aux services d'hygiènes, au fisc qui veut sa part, etc... tout cela a disparu. Et pourtant, c'était tellement sympathique... et bon!
Pour les moules, j'accepte ton invitation avec grand plaisir.... :-))))
Re: Re: ImpasseSud
Mes exemples très différents n'étaient que des émotions ressenties en lisant ton article.
J'ai bien compris le fond de ta pensée rassure-toi et il est vrai qu'à la Réunion aussi, tous ces petits "métiers" hors circuits fiscaux, disparaissent sous la pression du marché commercial qui s'installe "dans les normes". Je n'ai pas eut le temps de les voir au temps du "petit train" local qui s'est arrêté dans les années soixantes, car j'étais encore à Paris. Il reste quelque personnes âgées qui proposent encore quelques "samoussas" ou "bonbons piments" lors des fêtes ou des concerts, d'autres proposent des mangues rapées avec du "piment la pâte" comme au temps longtemps ou bien de l'eau de coco...cela fait partie des traditions, mais les jeunes ne sont plus intéressés que par les Mac Do et le coca maintenant et c'est désolant!
Pour les moules....avec un vinho verde ?
Re: Re: Re: ImpasseSud
Pour les moules.... on pourrait aussi choisir une bouteille de Donnafugata, ou un simple Corvo bianco. Ils vont très bien l'un et l'autre.
Je dois avouer que je ne connais pas beaucoup les vins portugais, à part les plus fameux.
Re: Re: Re: Re: Re: ImpasseSud
Woups...
Dites les amis, c'est que vous me mettez l'eau à la bouche avec vos moules...
Moi aussi je vote pour le Corvo!
Re: Re: Re: Re: Re: Re: ImpasseSud
Je ne peux pas m'empêcher de repenser aux montagnes de coques de moules qui s'élevaient(pendant que celle des frites diminuait) à chaque coin de rue durant la fête de la Ducasse à Lille, début septembre, où je suis allée plusieurs fois quand j'étais petite.
Là aussi, les gens s'ingéniaient pour gagner quelques sous, en étalant les biens de leurs greniers sur le trottoir. Aujourd'hui cette tradition est largement reprise un peu partout.
Bonjour
Ce n'est que moi, Friedrich Weinmann! Je ne sais pas si tu as reçu la réponse au gentil mail que tu m'as envoyé... Un peu de mes nouvelles sur mon "nouveau" joueb (http://tagliamento.joueb.com/).
A bientôt et merci!