Quand, après la chute des Talibans en novembre 2001, elle entre dans Kaboul avec l’armée de l’Alliance du Nord dont elle a partagé la vie et écouté les conversations sur les avancées et les tactiques de la guerre pendant six semaines, Åsne Seierstad, envoyée norvégienne, éprouve un immense plaisir en pénétrant dans une librairie. Elle est tout de suite enchantée par la grande quantité et la diversité des livres dont regorgent les étagères. Elle y fait la connaissance du propriétaire, Sultan Khan, élégant personnage aux cheveux gris, libraire avisé et patriote Afghan, qui a su poursuivre son rêve à travers les vicissitudes de plus de vingt ans de conflits. « Tout d’abord, les communistes ont brûlés mes livres, ensuite ce sont les moudjahiddins qui ont fait main basse dessus, et pour finir les talibans les ont brûlés une nouvelle fois », raconte-t-il.

Elle y retourne à plusieurs reprises, dès qu’elle a un instant, et un jour, le libraire l’invite à dîner chez lui. « Autour d’un somptueux banquet servi à même le sol, il y avait sa famille, une de ses femmes, ses fils, ses sœurs, ses frères, sa mère et des cousins ». Suite au déroulement du repas ou Sultan raconte, où ses fils rient, mais où les femmes s’expriment bien peu, Åsne Seierstad a l’immédiate impression de se trouver face à l’un des aspects réels de l’Afghanistan, et un projet mûrit dans sa tête : écrire un livre sur cette famille. Elle finit par aller faire part de son projet à Sultan qui, sur sa requête, accepte avec une extrême bonne grâce qu’elle vienne habiter chez eux. C’est ainsi qu’en février 2002, elle vient s’installer dans sa famille où, durant tout le printemps de 2002, elle jouit, à travers l’accueil chaleureux de ses membres, de la plus ample des informations, son statut de femme lui permettant d’une part de partager la vie des femmes de la famille dans ses moindres coutumes et secrets, et son statut d’Européenne lui permettant également d’aller partout et de suivre les hommes dans tous leurs déplacements.

De cet excellent reportage, cependant, l’auteur a su faire un récit. S’il ne s’agit pas exactement du portrait d’une famille typique vu que l’argent et la faim n’y sont pas un problème, que certains de ses membres ont reçu une instruction, qu’ils savent presque tous lire et écrire et que trois d’entre eux parlent l’anglais couramment, on entre cependant de plein pied dans cet Afghanistan à la stabilité aussi fragile que ses racines et coutumes sont profondes et solidement ancrées.

Quatre ans se sont écoulés depuis lors, mais d’après les nouvelles qui continuent à filtrer jusqu’en Europe, il ne semble pas que la situation se soit beaucoup améliorée. Les seigneurs de la guerre continuent à faire la loi dans plusieurs régions, les « effets collatéraux » n’ont pas disparu, les attentats continuent, le statut des femmes, s’il s’est légèrement modifié à Kaboul pour les plus entreprenantes, est sensiblement le même qu'avant dans le reste du pays, Ben Laden court toujours, l’insécurité n’a pas vraiment diminué et on parle même de la nécessité d’augmenter sur place les forces de l’ISAF (International Security Assistance Forces). Alors, ce livre, en plus d’être vraiment passionnant, est toujours d’une extrême actualité. En plus de nombreux détails sur le statut des femmes dans ce pays, vous en apprendrez énormément à propos de l’importance et de l'implacabilité du patriarcat même vis-à-vis des enfants mâles, sur les coutumes et la vie locales, sur l’histoire récente de l’Afghanistan, sur l’état actuel du pays, sur le pourquoi de l’inefficacité des forces d’assistance ( !?!?)….

Donc, à lire absolument, même si vos centres d'intérêt ne dépassent pas les frontières nationales.

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