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Sepúlveda Luis, « La folie de Pinochet » (2003)

Qu’on se rassure tout de suite : il ne s’agit pas d’un cours d’histoire ennuyeux, mais plutôt d’un long cri d’espoir... puis d’indignation et d’impuissance, écrit sur un ton courroucé, ironique ou parfois vraiment touchant. Ce livre est un recueil des articles que l'auteur a publiés dans les principaux journaux européens entre le 19 octobre 1998, trois jours après l’arrestation de Pinochet à Londres suite à la requête d’extradition vers l’Espagne du juge Baltasar Garzon, et début 2003 alors que Pinochet est rentré au Chili et y vit tranquillement, non seulement libre mais au milieu de ses partisans qui s’apprêtent à fêter le 30e anniversaire du coup d’état du 11 septembre 1973, que le pays est toujours sous un régime de « démocratie surveillée » vendu au néolibéralisme économique américain et que le juge Guzman a déjà commencé son enquête sur la part exercée par le tyran dans l’instauration de la dictature argentine des années 70.

 

A travers le récit de faits personnels, entre batailles et exil, rêves et désillusions, amis perdus et amis retrouvés, souvenirs et rencontres, Sepúlveda dissèque les courants porteurs de notre société, pour rendre justice à son pays en sauvegardant la mémoire de son histoire récente que beaucoup veulent déjà effacer ou réécrire, mais surtout pour réfuter l'oubli et le pardon que beaucoup voudraient imposer : au Chili où, à propos des années qui vont de 1973 à 1989, toute une classe politique et sociale a déjà passé l’éponge au nom du modèle économique néolibéral ou bien souffre d’amnésie forcée pour raison d’état ; et en Europe où on abonde en phrases du genre : une extradition serait un risque pour la paix sociale chilienne et sa démocratie naissante, ou encore, la société chilienne pourrait être une de celles qui ont préféré ne pas rouvrir de vieilles plaies pour avancer vers la plénitude des droits civils (Jean Daniel), ou encore, comme l’a exprimé Felipe Gonzalez au moment de l’arrestation de Pinochet à Londres, on craint que cela ne déclanche une fracture au sein de la société chilienne, etc…

« C’est évident qu’au Chili il existe une profonde fracture sociale », s'émerveille Sepúlveda. Reprenant un aphorisme d’un certain Lichtenberg, il affirme que le pire des mensonges, c’est la vérité légèrement altérée. « On ne peut ni oublier ni pardonner », hurle-t-il. « Procès à Pinochet et à tous les crimes contre l’humanité ! » 

Quelle douleur ne doit-on pas ressentir quand ceux qui vous lâchent, ce sont justement ceux sur qui on croyait pouvoir compter !

 

3.000 morts, 35.000 cas de torture, tant d'exils forcés et, aujourd'hui, la cohabitation avec des bourreaux toujours en vie, toujours impunis et parfois même couverts d'honneurs ! Est-ce supportable ? Peut-on faire semblant de rien ? 
On n'est jamais aussi magnanimes, aussi débordants de bon conseils charitables que quand il s’agit de prétendre des victimes de douleurs et d'horreurs dont on n'a pas souffert soi-même qu'elles pardonnent à leurs bourreaux ! Oubliant qu'en matière de « mémoire », entre encouragements par-ci et condamnations par-là, on joue souvent à l'élastique selon les circonstances et les besoins.

 

Bien que je ne sois pas une inconditionnelle de Luis Sepúlveda, ce livre m’a plu et souvent même émue. Il est porteur d'un cri de révolte, cela va de soi, mais aussi d'une nostalgie profondément chaleureuse, comme si l’auteur, durant ces quelques cinq années d'espoirs ensuite déçus, avait peu à peu pris conscience de l'énormité des capacités dévastatrices de ses adversaires, mais, cependant, décidé de continuer à résister, - éventuellement avec ironie ("Sorry, don Maikol") -, avec l'écriture ("Pourquoi j'écris").

A lire ! Car cette sorte de procès, Sepúlveda ne le fait pas seulement à Pinochet, mais à l'ensemble de la société occidentale qui a permis et continue à protéger ce qu'il appelle une « infamie ».

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Jeudi 30 Novembre 2006, 16:32 dans la rubrique "J'ai lu".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
04-12-06 à 10:46

« Une bouteille de Dom Perignon m'attend dans mon frigo » Lire l'article de Luis Sepulveda sur La Reppublica d'aujourd'hui  : « Troppe complicità per chi ha tradito un paese »

Pinochet serait au plus mal suite à un infarctus. Vu qu'il a 91 ans, cela me remet tout à coup en mémoire un article de Tahar Ben Jelloun, Il Piccolo dittatore paru dans L’espresso à propos de la récente peine de mort prononcée contre Saddam, dans lequel il se plaît à souligner une évidence assez curieuse : ce qui fait la différence entre un grand dictateur et un petit, c’est le fait que, indépendamment de la somme ou du degré d'horreur des crimes perpétrées, le grand dictateur réussit (parce qu'il est plus intelligent ?) à mourir dans son lit, sans que justice soit faite. Pour ne citer que les plus récents : Franco, Pol Pot, Staline, Mao, Hafez el Assad... On pourra sans doute ajouter le nom de Pinochet à cette liste.