« Je voudrais qu’il n’y ait pas de lois », dit Sylvelie. Et à son frère qui se récrit, elle répond : « Et pourquoi pas ? Il y a un million de vie pour chacun, pas une seule. (…..) Il y a quelque chose de pas juste à ce qu’un être humain en arrête un autre. Si la loi permet ça, il doit y avoir quelque chose de mal dans tout le monde, ceux qui ont fait la loi et ceux pour qui elle est faite. »
Cet extrait de Via Mala de John Knittel est venue accréditer une réflexion que je me fais depuis quelques temps. Si le concept d’injustice est on ne peut plus évident dans les pays où règnent la pauvreté et la dictature, l’injustice des lois existe tout autant chez nous, même si dans une mesure moindre. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder la société occidentale actuelle avec un certain recul.
L’homme est ce qu’il est, avec ses qualités et ses défauts qu’on essaie sans cesse de contenir par des lois. Mais les mêmes lois qui paraissent justifiées à un certain moment de l’histoire peuvent être tout à fait injustes à un autre moment. Les mêmes avantages durement conquis qui pouvait apparaître comme un immense progrès à une époque peuvent se transformer en abus et en désavantage dans une autre.
Par exemple, toutes les lois contre le terrorisme fleuries en abondance après le 11 septembre, sont-elles de bonnes lois ? Sont-elles efficaces ? Le terrorisme a-t-il diminué ? Il me semble au contraire qu’elles sont en train d’aboutir à une recrudescence de la violence, et, en même temps, à une notable diminution de la liberté de tout un chacun. De nombreux gouvernements ont sauté sur l’occasion pour assurer plus durement leur pouvoir, réduisant drastiquement des droits qu’on croyait inaliénables. Bientôt tout le monde sera fiché et contrôlé comme le pire des criminels.
En ce qui concerne la récession économique, si les tours de vis donnés par les droites au pouvoir dans presque toute l’Europe de l’ouest peuvent nous sembler injustes et parfois même anticonstitutionnels, on ne peut pas ne pas se rendre compte que la position de la gauche et des syndicats avec leurs grèves en tous genres n’est pas la réponse qu’il faut dans la conjoncture actuelle. D’une part, bon nombre des lois en place qui s’adaptaient parfaitement au boom des années 80 et 90 est désormais préjudiciable. Non seulement elles n’apportent aucune solution aux problèmes actuels du chômage, mais elles sont la cause d’une aggravation de la situation, parce qu’aujourd’hui elles paralysent les employeurs, qui, eux aussi, doivent faire face à cette crise économique. D’autre part, la délinquance augmentant toujours avec le chômage, on crée de nouvelles lois « protectrices », mais qui réduisent la liberté de tout le monde. Quel non-sens ! Ce qu’il faut supprimer, ce n’est pas la délinquance mais les conditions qui portent à la délinquance. La seule chose qui devrait compter, c’est qu’il y ait du travail pour tout le monde. Il faudrait donc revoir toutes les lois qui régissent le monde du travail. Comment la gauche ne le comprend-elle pas ? D’un autre côté, la droite qui, elle, a bien compris que le système en place ne répond plus aux exigences du moment, ne veut pas renoncer aux gros profits dont les années grasses lui ont donné l’habitude, et elle grignote (mais sans résultats elle aussi) sur les lois relatives à l’enseignement, à la recherche, à la santé et à la sauvegarde des plus déshérités.
Est-ce que de nouvelles lois ont des chances d'ajuster tout cela?
Autre exemple : alors qu’il est logique que chaque être humain, même analphabète, ait le droit de s’exprimer, le droit de vote a toujours été régi par des lois. On a tout d’abord fait des lois qui privilégiaient certaines classes et évinçaient la grande majorité, mais là où le suffrage universel est arrivé, les gens ne vont plus voter que si leurs intérêts immédiats sont en cause.
Les lois génèrent autant de problèmes et de crimes que de protections. Quand elles sont émises sur le coup d’un évènement, elles sont bien souvent répressives. Quand elles sont émises après une lutte soutenue et qu’elles sont finalement appliquées, elles sont déjà caduques, dépassées, inutiles, voire nocives. En fait, elles ne sont bien souvent qu’un instrument dans les mains d’un pouvoir, parce que si d’un côté on a l’impression qu’elles sont une garantie, de l’autre elles nous emprisonnent, modulant au fur et à mesure en nous une mentalité de profit.
Et pourtant, il serait utopique d’imaginer un monde sans lois. Alors faut-il raisonner avec l’ambiguïté de Montesquieu : « Si je pouvais faire en sorte que tout le monde eût de nouvelles raisons pour aimer ses devoirs, son prince, sa patrie, ses lois ; qu’on pût mieux sentir son bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque poste où on se trouve, je me croirais le plus heureux des mortels ».
photo : VOS, Marten de (b. 1532, Antwerpen, d. 1603 Antwerpen)
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