Une mauvaise nuit, agitée. Vous vous réveillez sans réussir à ouvrir les yeux. A vrai dire ils sont bien ouverts, mais c’est comme si, écrasés par des paupières lourdes, ils ne vous laissaient voir qu’une demi-pénombre, épaisse, paralysante. Le jour est ocre, bas, opprimant. Les nuages qui roulent à grande vitesse sont d’un brun roux. Mais vous avez déjà compris, car les stores ont remué toute la nuit. Vous souffrez même d’un léger mal de tête et votre corps est moite. Le sirocco, après avoir franchi la mer, est arrivé, tout droit du Sahara.
Vous donnez un coup d’œil à travers la vitre. Vous aviez raison, il rugit, violent, ce vent d’Afrique. Par la fenêtre entrebâillée, une bouffée de chaleur humide vous saute au visage. Dehors, l’air est dense, opaque, mouvant, l’atmosphère est irréelle. Les formes incertaines des arbres glauques se tordent, les eucalyptus plient l’échine, les palmiers donnent l’impression de marcher contre le vent, leurs chevelures tirées en arrière. Les cultures seront brûlées, fanées. Les orangers et les citronniers sont presque indifférents, les oliviers cèdent leurs derniers fruits, les tamaris sont habitués. La poussière s’élève en tourbillons, se glisse sous les portes, aveugle les imprudents. Les éléments sont déchaînés, des rafales vous bousculent, vous oppressent. Vous devez avancer courbé, le corps en avant, la main devant la bouche et le nez, des lunettes sur les yeux. L’air est en folie, tout vole, les papiers, les feuilles mortes, le sable et la terre, les tuiles, les corniches, les branches. Petit à petit tout se recouvre d’une patine rougeâtre et les grosses gouttes de pluie qui tombent sont des larmes de sang.
La mer est grise, en tumulte, furieuse, vêtue de vagues à l’écume sale, qu’elle culbute et démonte. Poussés avec fureur, les flots remontent. Les plages qui regardent au midi sont balayées, nettoyées, bouleversées, élargies, remodelées. Demain, elles seront différentes. Aujourd’hui les barques ne sortiront pas. Quant aux cargos, ils se sont réfugiés en grande hâte dans des baies abritées, jetant l’ancre dans des eaux plus calmes. Les ferries restent au port et leurs passagers habituels chez eux. Les avions arriveront de la mer, ou bien seront déroutés vers d’autres cieux.
Vous vous sentez fatigué, nerveux, d’humeur incertaine ou carrément mauvaise. N’en doutez pas, c’est un jour à litiges. Votre migraine empire. Alexandre Dumas écrivait dans un de ses livres : “Par un temps pareil, il n'y a plus de médecins, il n'y a que des malades.” Alors vous vous surprenez en train de songer au Palais de la Ziza à Palerme, avec ses courants d’air savamment étudiées et ses fontaines internes qui rafraîchissaient la « chambre du sirocco », dont les techniques de climatisation ont été importées par les Arabes au début du précédent millénaire. Et, tout à coup, vous vous souvenez également de ce film du même nom, vu il y a quelques temps.
Imaginez, cachée au centre d’une de ces demeures seigneuriales dégradées par le temps et l’incurie, une salle carrée dans le sous-sol, austère, recueillie, sous une voûte de briquettes rouges, les parois revêtues de mosaïques géométriques aux tesselles multicolores. A une extrémité, une large fontaine de marbre blanc, et, le long du périmètre du sol rosé poli par des siècles de pas, un ruisseau. Une lumière indirecte, douce, vaporeuse, pailletée, pénètre par des ouvertures au ras du plafond. La pièce est fraîche et silencieuse, troublée seulement par le chuchotement de l’eau courante et le clapotis de la fontaine. Dans le lointain, le hurlement suffoqué du sirocco. Mais il appartient à une autre existence, hors du temps. Appuyé contre un mur, un banc de chêne sombre, sévère. Il ne reste plus qu’à vous y asseoir, à vous laisser prendre par le charme, à fermer les yeux. La perception vague de la lumière, le murmure de l’eau, la fraîcheur de la pièce prennent possession de votre corps, vous sentez monter le répit et l’étau qui encercle votre tête se desserre. Votre respiration se calme, devient profonde et régulière. Votre esprit se libère, s’allège, l’idée de litige vous abandonne. A la place un grand bien-être vous pénètre, le temps s’est arrêté… Le vent peut continuer à souffler...
Mot-clef : Méditerranée
Commentaires et Mises à jour :
Re: lointain souvenir !
Ton article me rappelle également une péripétie pendant une traversée de l'Atlantique à la voile, c'était en janvier 1985, départ de l'île de Hiéro aux canaries, cap sur Martinique, l'alizé est musclé cette année là, après quelques jours de navigation, un brouillard jaunâtre cache le soleil, les cordages, les voiles, le pont du bateau, tout est recouvert d'une poussière ocre : c'est l'harmattan, vent saharien qui envoie cette fine poussière à plus d'un millier de kilomètres en océan.
Autre souvenir : deux fois par an entre 1965 et 1983, j'emmenai à la montagne, dans le Valais suisse, une soixantaine enfants du bord de mer pour un séjour de ski. A Pâques, il était fréquent de trouver une neige franchement brunâtre. Il était impossible que ce fût de la pollution industrielle car notre chalet était dans le val Ferret, juste derrière le massif du Mont Blanc. Renseignement pris, c'était un vent saharien aidé par un effet de foehn qui déposait des tonnes de poussière de sable à cette époque de l'année. L'été, cette vallée est réputée pour être riche en . . . papillons rares portés qu'ils sont par ce même vent venu d'Afrique.
Re: lointain souvenir !
Pierre,
L'Italie se trouve en plein centre de la Méditerranée, donc il n'est pas étonnant qu'elle soit rejointe par le sirocco qui porte même du sable rouge sur les neiges des Alpes. Il souffle une vingtaine de jours par an, et il y a deux régions où il se manifeste plus particulièrement et plus violent qu'ailleurs : la Sicile (même le guide du Routard en parle), et Venise où il pousse vers le nord les eaux de l'Adriatique, causant des marées hautes qui recouvrent la célèbre place Saint-Marc. Le phénomène étant bien connu, la ville est organisée, et on sort des passerelles qui permettent aux gens de se déplacer. Il arrive cependant que la hauteur de l'eau les dépassse. C'est pour cela que, prochainement, on va installer dans la lagune, 78 digues mobiles flottantes (projet "Moïse") en rapport direct avec l'arrivée de l'"aqua alta" (la marée haute).
En ce qui concerne les tempêtes de sable, je sais également ce que c'est, les ayant essuyées en Tunisie, au nord de l'Algérie et dans le Sahara. Dans ce dernier cas on comprend immédiatement la façon de se vêtir des Touaregs, et on se dépêche de les imiter.
Re: Re: lointain souvenir !
Lucanus,
Je ne connaissais pas le détail des papillons, et je le trouve enchanteur. J'aime les surprises heureuses que nous réserve notre monde.
Quant à celui de la "neige rouge", je le connais depuis très longtemps. Les conséquences de ce vent (fatigue et nervosité) qui prend effectivement le nom de foehn sur les Alpes sont tellement connues par les Autrichiens qu'ils en tiennent compte dans les accidents de la route.
Re: Re: lointain souvenir !
Merci, ImpasseSud pour ce cours de géographie. Il est vrai que j'ai dû voir des images télévisées de ces passerelles, à Venise, mais je n'ai jamais fait le rapprochement avec le Sirocco. Quand au sable déposé par le vent sur la neige, cela doit ressembler à une toile de maître.
Pour en revenir à mes souvenirs de Djibouti, cela me rappelle aussi ce fameux vent "Le Khamshim" qui souffle en été et qui porte les criquets pélerins d'une région à une autre. Cette année 1975, le vent était tombé et un nuage de sauterelles s'est litéralement abattue sur la ville comme de la grêle.
Ces "criquets pèlerin" gros comme des pinces à linge en bois (6 à 8 cm), se heurtaient à tout ce qui était sur leur chemin. Mon épouse a sauté de la jeep à la vue de cette horde sauvage et aux coups recus dans la nuque. Heureusement nous arrivions à destination.
Le soir les "gecko", lézards bien connu des pays tropicaux se faisaient éclater la panse devant ce festin improvisé, leurs tailles étant en proportion à celle des sauterelles. Le lendemain matin, autre surprise, celle des colonnes de fourmis géantes en plein nettoyage de la ville. Les sauterelles n'ayant que du béton et de la poussière à manger n'ont pas succombées longtemps à toutes ces agressions. La chaleur moite et le soleil ont vite fait le reste. Leur voyage en quête de nourriture a viré au cauchemar.
Re:
Grazie Incognito. :-) Quello che mi dispiace però, è che tu non abbia firmato con il tuo nickname e nemmeno lasciato l'indirizzo del tuo blog in modo che possa andare a darci un'occhiata :-)))
lointain souvenir !
Ton récit me rappelle quelques séjours à Djibouti en 1974, avant l'indépendance, où nous avions en charge la maintenance d'un centre informatique. Il n'était pas rare pendant la journée, où la température atteint son apogée 43°, de voir des tourbillons de sable chaud traverser la jeep, sur les pistes empoussiérées, pour ceux qui circulaient à l'heure de la sieste.
Je ne savais pas que le Sirocco gardait une telle force arrivant en Italie. Personnellement, j'aime l'Afrique et tout ce qui la compose. C'est un continent qui n'a pas fini de nous étonner. Je comprends aussi qu'on puisse lui préférer un pays doté d'un climat plus clément.