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Soleil et eau

Le soleil de ces jours-ci remet l'été en mémoire... Il fait naître le désir d'y exposer son propre corps, un peu pour récupérer une meilleure mine, mais aussi pour faire le plein d'énergie qui en découle, après un long hiver passé à se défendre contre le froid et la grisaille. La chaleur qu'il dispense est désormais perceptible sur la peau, et on voudrait déjà pouvoir lézarder, comme durant les jours les plus chauds... rêvant également d'un sompteux plongeon dans la mer, dans un lac ou dans un piscine, ou, à défaut, de prendre une délicieuse douche, pour se rafraîchir. Le soleil et l'eau : quelle alternance merveilleuse! Et pourtant, l'eau n'est pas donnée à tout le monde, l'eau n'arrive pas à tous les robinets. Certains penseront immédiatement à l'Afrique, et ils auront raison. Mais ce que beaucoup ne savent pas, c'est que l'eau qui coule des robinets des vacances n'arrive souvent que grâce aux grosses citernes qui se trouvent sur les toits. Pour une bonne partie du sud de l'Europe, la précarité de l'eau est une réalité. Il arrive que les gens l'attendent pendant plusieurs jours, sans savoir ni si, ni quand elle arrivera. Le 22 mars dernier, comme chaque année, c’était la journée mondiale de l’eau, promue par l'Unesco. En cette circonstance, Andrea Camilleri, le célèbre auteur italien des aventures du Commissaire Montalbano, a fait cadeau de cette histoire à un grand quotidien :

 

« Il y a quelques années, on avait publié dans tous les journaux et dans certaines revues, la nouvelle que certains chercheurs avaient fait une découverte surprenante : l’eau conservait en soi la mémoire de son histoire. Naturellement la chose avait été démentie par la suite et on avait compris qu’il s’agissait d’une invention, plutôt belle si on y réfléchit bien, poétique même, mais elle n’était pas vraie. Par contre, il est vrai que dans l’ADN de chacun d’entre nous, il y a probablement une certaine mémoire de l’eau. Moi, je peux apporter mon témoignage dans ce sens.

 

Je possède une maison en Toscane, sur les pentes de l’Amiata, avec environ un hectare de terrain. Pas très loin de la maison, il y a un puits. Un jour, je m'étais aperçu que presque au bout de mon champs, il poussait une herbe particulière que j’avais vu naître en Sicile, là où il y a de l’eau. Par conséquent, je m'étais dit que là, il devait y avoir de l’eau. Je m'étais baissé, j'avais touché la terre, et j'avais vu, en effet, qu’elle était légère. Et alors, comme par jeu, j'étais retourné à la maison, j'avais pris une bêche, et j'avais commencé à creuser. Il s’agissait de toute évidence d’une veine du puits que j’avais plus haut. Peu après, en effet, l’eau avait commencé à affleurer. Regarder de l’eau qui affleure, c’est toujours une belle sensation, même quand on sait sans l’ombre d’un doute qu’il ne s’agit pas d’une découverte, même quand, par exemple, on fait un trou au bord de la mer et qu’on sait que l’eau va arriver d’ici peu. A la campagne, l’émotion est plus grande, naturellement.

 

Bon. J'avais creusé une petit trou d’environ cinquante centimètres de profondeur, plutôt étroit, et j'étais rentré à la maison. Comme ça, juste pour m’amuser, comme je viens de le dire. En l’espace de deux ou trois ans, l’eau a agrandi l’embouchure du trou, elle a érodé la terre et celui-ci s'est transformé en un petit puits très curieux, bien commode pour prendre de l’eau.

Un après-midi, je venais de finir de déjeuner et j’étais confortablement assis sur une chaise longue. La journée était très belle. Je pensais à mes affaires et je m’apprêtais à faire un petit somme, quand, tout à coup, je vis que le paysan, propriétaire du champ voisin, était en train de faire quelque chose de tout à fait naturel, pour lui. Comme entre mon champ et le sien, il n’y a aucun muret séparateur, aucune haie, il était entré dans mon champ une cuvette à la main, et, sous mes yeux, vu qu’il ne faisait rien d’extraordinaire, il s’était penché pour la remplir d’eau. A ce moment-là, je ne sais pas exactement ce qui s’était passé en moi, mais je m'étais retrouvé à l’intérieur de la maison, hurlant comme un fou et terrorisant ma femme, en train de monter les escaliers qui portaient  à notre chambre à coucher tout en répétant :

« Où est mon fusil ? Où est mon fusil de chasse ? »

Atterrée, ma femme m'avait dit :

« Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Que veux-tu faire ? »

« Je dois tirer sur quelqu’un qui est en train de me voler mon eau !».

 

Au moment où je prononçais cette phrase, je m'étais rendu compte de l’absurdité de ce que j’étais en train de dire, et je m'étais mis à rire. J'avais cependant commencé à réfléchir à propos de ce geste qui, de toute évidence, provenait justement des profondeurs historiques de mon être. Je crois que j’ai des origines africaines ou quelque chose comme cela, maghrébine tout du moins, et j’ai pensé qu’à ce moment-là, c’était peut-être un aspect de mon passé très lointain qui avait dû émerger, de ces terres où l’eau a une valeur absolue, une valeur de survie, certainement pas comme en Toscane où il y a de l’eau en abondance. Et je dois dire que, l’espace d’un instant,  j’ai eu peur de ce profond tourbillon qui m’avait reporté en arrière et qui, cependant, avait servi à souligner en moi l’importance de l’eau. Du reste, je suis né et j’habite en Sicile, et, aujourd’hui encore, dans ma ville, l’eau n’arrive pas au robinet tous les jours. Au fond, la valeur de l’eau, nous, nous la connaissons assez bien.

Andrea Camilleri


(paru dans La Repubblica du 21.03.2004)

Traduction  de l’italien ImpasseSud

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Lundi 5 Avril 2004, 17:14 dans la rubrique "Méditerranée".

Commentaires et Mises à jour :

Incognito
13-10-04 à 13:54

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Search: plongeon terre afghanistan - WebCrawler : "13. Entre mer et maquis - Soleil et eau... rêvant également d'un sompteux plongeon dans la mer, dans un lac ou dans un piscine ... Je m'étais baiss&#"

 
Incognito
16-05-05 à 08:17

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HaloScan.com - Comments : " Et bien ici, où les gens ont vraiment très peu de respect pour le bien public, ça ne viendrait à l'idée de personne de verser de la lessive dans les fontaines, car tout le monde connaît la valeur de l'eau et ce que c'est que d'en manquer."

 
ImpasseSud
13-07-05 à 13:23

L'eau vue par Le Monde Diplomatique

http://www.monde-diplomatique.fr/2005/03/PLATON/11975

Dans les années 350 avant Jésus-Christ... Platon écrivait plus ou moins ceci :
L’eau est, de tous les aliments du jardinage, assurément le plus nourissant, mais elle est facile à corrompre : ni la terre, en effet, ni le soleil, ni les vents, qui nourissent les plantes, ne sont faciles à perdre par des drogues, des dérivations ou même des vols mais l’eau est, de nature, exposée à tous ces inconvénients : aussi faut-il une loi pour la protéger. Voici donc cette loi : quiconque détruira volontairement chez autrui l’eau de source ou de citerne, soit en la droguant, l’arrêtant dans des fosses ou la volant, sa victime le citera devant les astynomes (1) en déclarant par écrit le montant du dommage. Celui qui sera convaincu de torts causés par des drogues, devra non seulement payer l’amende, mais en outre purifier les sources de l’eau ou la citerne en se conformant aux règles formulées impérativement, pour cette purification.