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Némirovky Irène, « Suite française » (2004)
--> Prix Renaudot 2004

Quand on me demande si ce livre m’a plu, j’ai du mal à répondre car, au cours de ma lecture, j’ai changé plusieurs fois d’opinion. A mon avis, au lieu d'ajouter à ce roman inachevé les notes d'Irène Némirovsky relatives au projet initial, une partie de son journal personnel, sa correspondance avec son éditeur de l'époque et la correspondance qui suit son arrestation..., l’éditeur aurait dû se limiter à l'annexion, en préface (et non pas en postface comme le fait l’édition italienne !) de sa brève biographie par Myriam Anissimov, celle-ci ajoutant incontestablement un éclairage et un certificat d’authenticité à une œuvre si proche d'un vécu. S'agissait-il d'une des conditions requises pour la publication ? En tout cas, c’est comme si on disait au lecteur : « maintenant, il faut que tu finisses ton assiette », ce qui fait que ce livre a fini par me rester sur l’estomac. Mais procédons par ordre et, surtout, essayons de faire la part des choses car cela en vaut la peine. 

 

Ici il s’agit du dernier roman d’une écrivaine célèbre entre les deux guerres, commencé en 1941 puis interrompu, car émigrée russe après la révolution d’octobre, apatride, juive, et persécutée dans le cadre des lois raciales, Madame Némirovsky est arrêtée en juillet 1942 et déportée à Auschwitz où elle meurt un mois plus tard. Conservée sous forme de manuscript par sa fille Denise pendant près de soixante ans, cette Suite de guerre commencée avec la débâcle et qui aurait dû avoir cinq parties, s’arrête brusquement dès la fin de la seconde, avec le départ d'une bonne partie de l'armée allemande vers le front russe, en juin 1941, et c’est avec beaucoup d’intérêt que je l’ai abordée, immédiatement saisie par la fresque minutieuse et impitoyable que la romancière dessine sous les yeux du lecteur : "Mon Dieu ! que me fait ce pays? Puisqu'il me rejette, considérons-le froidement, regardons-le perdre son honneur et sa vie", écrit-elle dans son journal.

Dans la première partie, « Tempête en juin », on perçoit les échos de la débâcle française de juin 1940, son effet sur la population, et on assiste à l’exode massif et anarchique d’un large échantillonnage social vers le centre et le sud du pays, qui met à nu un ensemble de caractères qui ont tous (sauf les Michaud) un point commun : petitesse, égoïsme et mesquinerie, et bien peu de générosité. 

Dans la seconde partie, « Dolce », on scrute, comme au-dessus d’une maison de poupées, un petit village du Morvan, où le vainqueur se transforme en occupant et s’installe chez l’habitant. J’ai aimé l’étude psychologique faite autour des comportements individuels, des occupants bien entendu, mais surtout des Français soudain bousculés dans leurs habitudes et leurs critères de valeur : de ceux qui ont déjà connu l'autre guerre, des jeunes femmes seules, sans hommes, tués ou faits prisonniers, qui se retrouvent face à des charges et des responsabilités écrasantes mais aussi aux désirs impérieux de leur jeunesse, l’indifférence des enfants, les calculs des riches et des moins riches, leur avarice, l’inéluctable glissement vers une familiarisation, l’adhésion opportuniste et vénale au collaborationnisme, spontanée pour certains.


En l’absence de tout sentimentalisme, - ce que j’ai particulièrement apprécié -, ce témoignage pris sur le vif est d’une valeur inestimable, à tel point que l'aspect romanesque finit par passer en second plan. J’ai également aimé les lenteurs qui, mieux que des phrases descriptives, savent exprimer le poids d’une situation non seulement insupportable en soi, mais sans date d'échéance prévisible. Mises à part les quelques maladresses relevées dans la rédaction et qui auraient sans aucun doute disparu après une ultime correction, l’ensemble est vraiment très intéressant et profondément instructif.


Je passerai sous silence les notes que la romancière a laissé à propos de l’ensemble de son projet. A tout ceux qui, comme moi, n’aiment pas qu’on leur raconte ce qui se passe dans les coulisses, je conseille presque de les sauter, car elles ternissent l’idée de témoignage historique qu’on ne peut manquer de se faire en lisant les deux premières parties.

Je m'abstiendrai également de commenter la correspondance, instructive cependant, et à bien des points de vue.

 

Et pour finir, vu que personnellement je n’ai aucune ambition politique et, par conséquent, aucun besoin de flatter personne ou de récupérer un héros à mon profit, si cela ne tenait qu’à moi, à la lecture de la lettre de Guy Môquet, j’ajouterais ce livre aux programmes des lycées, avec tous les tenants et aboutissants cette fois-ci, afin qu’on puisse l’étudier, non seulement en tant que document historique durant les cours d’histoire, mais également durant ceux de français. Dans le second cas, l’étude de tout ce qu’il y a derrière la construction d’un roman digne de ce nom pourrait avoir son poids dans l'éducation à l'élaboration et au jugement, et dans le premier, cela obligerait à revoir avec humilité, mais surtout à la baisse, les notions de supériorité dont la population autochtone d'un pays se croit souvent investie.

 

A lire.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Lundi 4 Juin 2007, 16:01 dans la rubrique "J'ai lu".