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Sur la plage
--> ... et à propos de mémoire.

La région où j’habite est très belle, mais pas très touristique. A vrai dire, mon conjoint et moi-même nous en sommes presque heureux. Il faut en convenir, le tourisme, mais surtout le tourisme de masse, gâche tout : le paysage, les traditions culinaires et les mentalités. Tout le monde finit par se vendre. Il nous arrive même, - mais ne sommes-nous pas futuristes ? – de penser qu’on devrait l’interdire aux touristes. Mais venons-en à la plage, à celle que nous fréquentons assez régulièrement.

 

A vingt minutes de la ville, elle s’étend à l’infini, entre la voie ferrée et la mer, couverte de sable gris et de galets. Pas de problèmes de parking. Vous arrêtez votre voiture, vous descendez la dizaine de marches qui vous enfile sous un tout petit pont de trois ou quatre mètres de long et vous êtes de plein pied sur la plage. Les empreintes les plus communes sont celles, triangles palmés, des mouettes qui, si vous arrivez assez tôt, attendent en groupes serrés, le bec au vent, l’heure de se lancer vers la mer. Le bruit de la route nationale n’y arrive même pas. Seuls un doux clapotis, régulier, ou, si le vent est soutenu, le claquement des vagues qui s’écrasent sur la rive. Ici, pas de propriété privée, pas de luxe, mais la nature et les gens du cru, avec quelques refuges ombreux de fortune, ou un parasol lié à une chaise longue, en attente d'un retour le lendemain. Ceux qui la fréquentent sont des habitués, comme nous. Ils aiment leurs aises. En plein mois d’août, votre plus proche voisin se trouve à une quinzaine de mètres. Ici, on n’est pas obligés de se sentir impliqués dans les conversations des autres, on ne doit pas subir les éclaboussures ou les ballons des enfants des autres, on peut se détendre, se décharger de ses soucis et de ses humeurs, laisser couler le temps et perdre la notion de l’heure. On peut s’abandonner à la mer, au vent dominant, au courant du jour, aux couleurs mouvantes, à la violence ou à la douceur du soleil. On peut se laisser caresser, envelopper, bercer par le flot tiède jusqu’à oublier le poids de son propre corps, tout en remplissant son regard de la beauté d’un paysage indompté. Le bonheur peut être prolongé si on a tout son temps, ou fugitif si les heures sont comptées, mais, à n’en pas douter, il est intense, régénérateur, précieux, et il s’inscrit à jamais dans votre mémoire.

 

La mémoire… justement…
Depuis quelques temps, une nouvelle famille y vient régulièrement : le père, la mère, deux fillettes d’environ sept et cinq ans, et un nourrisson proche des premiers pas. Comme nous tous, ils arrêtent leur voiture et s’installent sur la plage, sous leur parasol que le père plante avec expertise. Leur groupe exprime douceur et harmonie, plaisir. Lui, le visage enfoui sous une barbe noire bien nourrie, arbore un short hawaïen aux couleurs vives, les fillettes ont des maillots rose et vert pomme, sans top pour la plus grande qui finit par l’emprunter à la plus petite. Ils ont apporté masques, tubas et palmes. La joie fuse. Quant à la mère, elle aussi est joyeuse et son rire répond aux cris de joie de ses filles qui font l’aller et retour entre leurs jeux dans le sable et la mer, mais elle reste sagement assise sous le parasol, emmitouflée dans un pantalon crème, flottant, une longue veste brune, légère, mais qui couvre ses bras jusqu’aux poignets, et un foulard candide qui ne laisse apparaître que l’ovale de son beau visage. Le père est chaleureux, prévenant, attentionné. Dès que les petites s’approchent de l’eau, il les encourage à y entrer. Puis il se décide, plonge et bientôt revient, pour leur enseigner quelques mouvements de natation, avec toute la patience que bien des pères n’ont pas.

 

Et moi, lasse d’avoir trop nagée, je paresse sous mon parasol et je me dis : Mais pourquoi leur apprend-il donc à nager, pourquoi leur fait-il découvrir le bonheur de la mer et la liberté du corps si c’est pour leur imposer, dès qu’elles seront , de renoncer à toutes ces joies, avec la mémoire comme torture ? Allah a-t-il vraiment voulu cela ?

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 29 Août 2004, 16:12 dans la rubrique "Bribes perso".

Commentaires et Mises à jour :

PierreDesiles
30-08-04 à 19:24

Puisse cette plage garder son authenticité pour perpétrer les repos sur chaises longues de ses habitants et de vos baignades paisibles...Dommage pour cette dame qui a choisit de renoncer à ces joies pour une autre cause...!

Merci, ImpasseSud, pour cette belle description...


 
ImpasseSud
30-08-04 à 19:47

Re:

A-t-elle vraiment eu le choix? Et les petites, l'auront-elles?

Pierre, merci d'être passé :-)!


 
PierreDesiles
30-08-04 à 20:04

Le choix ?

En tout cas certaines ne s'en plaignent pas, lorsqu'on les interrogent, et elles revendiquent fièrement leur appartenance religieuse. Pour elles, c'est écrit dans le Coran et pour rien au monde elle s'abstiendraient de lever le voile. Perso je ne partage pas leurs avis, car c'est toujours la femme qui est diminuée, mais je n'essaierai pas non plus de les convaicre du contraire. J'ai mes convictions et je n'aimerai pas qu'on m'en impose d'autres non plus.

Par contre, je suis pour le respect de la loi dans chaque pays et si en France la loi sur la "discrétion religieuse" est appliquable dans les écoles laïques en septembre, alors je dis qu'elle doit être respectée. Quand je vais visiter une mosquée en Turquie, on me demande de retirer mes chaussures, je le fais par respect, je ne me pose aucune question, alors pourquoi tout ce débat en France?


 
ImpasseSud
30-08-04 à 21:39

Re: Le choix ?

Tout à fait d'accord avec toi!

La femme de la plage non plus ne semblait pas s'en plaindre. Comme je l'ai écrit, elle riait du bonheur de ses filles et regardait son mari qui s'en donnait à coeur joie sous ses yeux, trouvant la chose absolument normale. Les religieuses catholiques renoncent elles aussi à ces moments de bonheur, mais il s'agit d'un véritable choix, d'une vocation qui touche un nombre de femmes très restreint. Elles aussi, elles s'habillent encore parfois comme les femmes du début du christianisme. Que certaines femmes musulmanes fassent ce choix, cela me paraît également normal, mais que ce soit le sort imposé à toutes les femmes, avec pour seule différence la maternité ?

Récemment, j'ai lu un article très intéressant à propos d'un livre d'un auteur syrien, Ammar Abdulhamid, qui vient de sortir avec un titre assez provocateur "Menstruation". Il traite de la sexualité féminine en rapport avec l'identité religieuse, et du rôle des hommes dans l'éducation des femmes et des conséquences négatives qui s'en suivent.  J'ai beaucoup aimé cette interview  (trop longue à traduire), mais j'en ai retenu ce passage :

« J’ai vécu aux USA un peu moins de 9 ans. Quand j’y suis arrivé, je n’avais pas encore vingt ans, j’étais un jeune homme aux idées confuses, timide, introverti et plutôt asocial, qui trouvait réconfort et force dans la foi religieuse. Quand j’en suis reparti, j’étais sûr de moi, enragé, polémique et agressif mais, dans une certaine mesure, mes idées étaient encore confuses à propos de moi-même et de ce que je voulais faire dans la vie. Je trouvais du confort dans l’athéisme et dans le rejet de tous les systèmes de foi traditionnel, et en particulier dans l’Islam. Donc, je suis d’accord, j’ai été profondément influencé par la période vécue aux USA. Je devrais donner beaucoup de détails, mais il me suffit de dire que la raison principale de ma « conversion » à un regard plus libéral sur la vie consistait dans un simple processus de maturation personnelle, ce genre de sûreté de soi qu’un jeune homme est destiné à acquérir quand il commence à affronter les défis de la vie de tous les jours. Plus j’étais sûr de moi, plus j’avais de facilité à entrer en relation avec des personnes de toutes sortes sans que j’en sois intimidé, et plus ma volonté de pousser ma recherche intellectuelle vers sa conséquence logique augmentait. J’ai constamment réélaboré mes convictions religieuses, réinventant toujours l’Islam pour l’adapter à ma façon de voir les choses qui était en train de changer. Vu  que c’était l’Islam qui s’adaptait à moi, la foi traditionnelle est devenue presque tout de suite inacceptable et il fallait la réformer de quelque manière afin de la  moderniser. Au début, cependant, comme geste d’humilité, j’avais tendance à freiner ma recherche intellectuelle et à reconduire toutes les questions que je me posais, à l’intérieur de la tradition islamique. Au début, j’avais tendance à bloquer certaines questions intellectuelles et j’essayais de les faire entrer dans le moule traditionnel islamique par geste d’humilité. Une fois entré dans ce « processus », il me semblait qu’il était arrogant de ma part d’essayer de réformer l’Islam. Ce qu’il fallait réformer, c’était notre compréhension de l’Islam, de façon telle qu’il puisse, une fois encore, s’harmoniser avec l’image que nous avons de la foi originelle. J’ai finalement compris la fausseté de ce raisonnement quand j’ai pris conscience que c’était moi qui, continuellement redéfinissait mon idée de l’Islam original afin de me conformer à un courant de pensée. Pourquoi ne pouvait-on pas accepter l’originalité de ma pensée comme on acceptait celle des autres ? Pourquoi avais-je besoin d’une justification islamique pour cela ? […..] S’il y a des problèmes [….] , il faut aller les chercher dans l’incapacité des gens à concevoir qu’une personne puisse vivre sans avoir un système de croyance défini. Tout le monde s’attend à ce que je dise que je crois à ceci et à cela…. En ce qui me concerne, la règle d’or est « fais aux autres ce que tu voudrais qu’on fasse à toi-même », et c’est suffisant comme fondement de toutes les éthiques sociales. »
(Sources : Il Manifesto)

Je partage ces réflexions, et continue à être persuadée qu'une religion (quelle qu'elle soit) qui requiert une sommission totale et immobile n'a rien de bon. Elle n'est rien d'autre qu'une manifestation de plus de la soif de pouvoir de quelques-uns ... Et sur les femmes, c'est plutôt facile.