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Gary Romain, « La promesse de l’aube » (1960)
--> Un cadeau différent pour la Fête des mères

Pour ceux qui aimeraient faire un geste différent, se démarquer de l'habitude classique des plantes et bouquets, dimanche prochain offrez-lui ce livre : c’est le plus bel hommage à une mère que j’aie jamais lu, hors des mièvreries et de la larme à l’oeil, hors des modes et des opportunismes, hors du temps. C’est le simple récit, écrit par son fils, Romain Gary, de la lutte d’une mère russe éprise de la France, femme décidée, prête à tout, non pas pour seconder les caprices de son enfant ou excuser ses fautes, mais pour l'aider à devenir un grand artiste, un héros, un Guynemer, un ambassadeur de France, un Victor Hugo, un D’Annunzio et qu’il reçoive le prix Nobel….. Rien de moins ! Car « tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! » lui répète-t-elle continuellement. Allant jusqu’à défier le temps et la vie, le cordon ombilical qui les lient étroitement même dans la séparation ne sera coupé que sa tâche accomplie.

 

C’est aussi le récit de l'enfance en Pologne puis de la jeunesse en France de ce fils, à Nice, sur une côte d’Azur où, à la veille de la seconde guerre mondiale, abondent les immigrés d’origines et de milieux sociaux différents, des efforts qu'il fait pour satisfaire les ambitions que sa mère a pour lui, de ses sentiments et de ses états d’âmes au côté de cette louve infatigable, ingénieuse et insatiable, si aimante, mais qui lui a enseigné, à douze ans, la considération inconditionnelle et le devoir de protection qu’un fils a envers sa mère, sous peine d’en faire la femme la plus désemparée qui soit. « Alors, tu as honte de ta vieille mère ? » répète rituellement, le visage défait, à la moindre de ses défaillances dans ce domaine, cette femme qui a bercé son fils avec d'autres légendes.

 

« (…) j’entourais ses épaules de mon bras et je pensais à toutes les batailles que j’allais livrer pour elle, à la promesse que je m’étais faite, à l’aube de ma vie, de lui rendre justice, de donner un sens à son sacrifice et de revenir un jour à la maison, après avoir disputé victorieusement la possession du monde à ceux dont j’avais si bien appris à connaître, dès mes premiers pas, la puissance et la cruauté. (…)

J’étais un enfant lorsque ma mère pour la première fois m’appris leur existence ; avant Blanche-Neige, avant le Chat Botté, avant les sept nains et la fée Carabosse. (…)

Il y a d’abord Totoche, le dieu de la bêtise, avec son derrière rouge de singe, sa tête d’intellectuel primaire, son amour éperdu des abstractions ; en 1940, il était le chouchou et le doctrinaire des Allemands ; aujourd’hui, il se réfugie de plus en plus dans la science pure, et on peut le voir souvent penché sur l’épaule de nos savants ; à chaque explosion nucléaire, son ombre se dresse un peu plus haut sur la terre ; sa ruse préférée consiste à donner à la bêtise une forme géniale et à recruter parmi nous nos grands hommes pour assurer notre propre destruction.

Il y a Merzavka, le dieu des vérités absolues, une espèce de cosaque debout sur des monceaux de cadavres, la cravache à la main, avec son bonnet de fourrure sur l’œil et son rictus hilare ; celui-là est notre plus vieux seigneur et maître ; il y a si longtemps qu’il préside à notre destin, qu’il est devenu riche et honoré ; chaque fois qu’il tue, torture et opprime au nom des vérités absolues, religieuses, politiques ou morales, la moitié de l’humanité lui lèche les bottes avec attendrissement ; cela l’amuse énormément, car il sait bien que les vérités absolues n’existent pas, qu’elles ne sont qu’un moyen de nous réduire à la servitude (…)

Il y a aussi Filoche, le dieu de la petitesse, des préjugés, du mépris, de la haine – penché hors de sa loge de concierge, à l’entrée du monde habité, en train de crier « Sale Américain, sale Arabe, sale Juif, sale Russe, sale Chinois, sale Nègre » - c’est un merveilleux organisateur de mouvements de masses, de guerres, de lynchages, de persécutions, habile dialecticien, père de toutes les formations idéologiques, grand inquisiteur et amateur de guerres saintes, malgré son poil galeux, sa tête d’hyène et ses petites pattes tordues, c’est un des dieux les plus puissants et les plus écoutés, que l’on trouve toujours dans tous les camps, un des plus zélés gardiens de notre terre, et qui nous en dispute la possession avec le plus de ruse et le plus d’habileté.

Il y a d’autres dieux, plus mystérieux et plus louches, plus insidieux et masqués, difficiles à identifier ; leurs cohortes sont nombreuses et nombreux leurs complices parmi nous ; ma mère les connaissait bien ; dans ma chambre d’enfant, elle venait m’en parler souvent, en pressant ma tête contre sa poitrine et en baissant la voix (…)

(…) Ma mère avait été un de leurs jouets favoris ; dès mon plus jeune âge, je m’étais promis de la dérober à cette servitude ; (…)  (p. 17-19)

 

Ce billet, cependant, serait incomplet si je passais sous silence le rôle important que joue la "France idéale" de cette mère, seule cadre possible à la réussite de celui à qui elle a donné le jour. Toutefois, celui-ci, malgré les difficultés que ce pays mettra tout d'abord en travers de sa route parce que Français.... naturalisé trop récent, malgré la réalité beaucoup moins glorieuse qui s'étalera sous ses yeux en 1940, se gardera toujours de la désabuser.

 

A lire et à relire, surtout si vous êtes mère, car vous serez doublement émue per cette merveilleuse complicité, qui se rit de la fausse moralité, du complexe d'Oedipe et des psys.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Jeudi 24 Mai 2007, 08:18 dans la rubrique "J'ai lu".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
20-12-10 à 00:08

30 ans après la disparition de Romain Gary

2 décembre 2010 : à 30 ans exactement du suicide de Romain Gary, le 2 décembre 1980, sur France 5 La Grande Librairie consacre une émission spéciale à ce grand écrivain.

Très intéressante !!!!