Le restaurant était médiocre. Ce n'était pas du tout ce à quoi nous nous attendions. Quand on est habitué au poisson frais, on ne se contente plus de n'importe quoi. Les oursins auraient pu avoir la saveur de la mer, les crevettes et les langoustines auraient dû être un peu plus fermes, les clams moins quelconques, les moules plus dodues, les anchois simplement marinés et non pas assaisonnés, la friture de petits poulpes plus croquante, le loup sans amertume. Heureusement que les spaghettis au noir de seiche étaient luisants et "al dente", et qu'à la fin, on nous avait apporté ce merveilleux sorbet de citron, dense, parfumé... nous étions prêts à en redemander. Mais nous avions envie de sortir, de nous éloigner de cet endroit qui promettait tant mais qui nous avait déçu.
Il nous fallait rejoindre la route nationale ou peut-être l'autoroute. Mais la langueur post-prandiale sous un soleil déjà tiède et ce ciel un peu brouillé des jours de sirocco en avaient décidé autrement. Par paresse, nous nous étions embarqués sur une petite route provinciale, étroite, déserte à cette heure. Sur cette pente de l'Etna qui descend doucement vers la mer, avant de s'y enfoncer d'un seul coup, violemment, ne laissant qu'une maigre plage avec deux ou trois barques et quelques récifs, la nature est luxuriante, surtout au début du printemps. Nous avions trouvé une terre riche, travaillée. Des champs de blé dressaient leurs tapis uniformes d'un vert brillant, les plants des pommes de terre étaient déjà hauts, les fèves étaient mûres, mais leurs fleurs blanches promettaient une récolte prolongée. Les oliviers étaient sagement alignés. Abandonnées depuis des années, quelques hautes maisons carrées toutes semblables s'accostaient parfois à la route, ternies et décharnées par les intempéries, les greniers au rez-de-chaussée et l'habitation à l'étage avec un seul balcon, étroit, regardant vers le sud. Des groupes de fermes, lourdes de glycines, dont les cours étaient abritées par un seul pin pararol, énorme, offraient leurs jardinets déjà somptueusement fleuris, avec des néfliers, des acacias en fleurs et un ou deux palmiers. Le paysage était très beau, mais sans surprise pour nous qui le connaissions déjà.
Tout à coup, cependant, la route avait changé d'aspect. Désertant la civilisation, elle s'était enfoncée entre deux murets de lave noire, nous isolant complètement. A droite et à gauche, surélevés par rapport à la route, d'immenses vergers de citronniers, chargés de leurs beaux fruits d'or, tellement serrés et touffus que leurs branchages s'emmêlaient. Sur les bords de ces deux frondaisons, à espaces réguliers, de très gros buissons d'oiseaux du paradis lançaient leurs gammes de notes bleues et rouges. A l'improviste, nous étions dans un monde féérique, et nous avions ralenti, instinctivement. Au pas, retenant presque notre souffle pour ne pas troubler ce rêve et de peur que le moindre geste fasse disparaître la sensation de bonheur profond qui nous avait saisis, nous avions défilé pendant des kilomètres entre ce qui nous semblait être une haie d'honneur. L'avions-nous méritée?
Aujourd'hui encore, je n'ai aucun mal à rappeler cette impression. Elle fait partie de ces moments rares et brefs où on est transporté, l'espace de quelques instants mais qui nous accompagnent toute la vie, dans ce qui devait être le Jardin de l'Eden.
Mots-clefs : Méditerranée, Flore.
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oui!!!
:-)