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Une histoire compliquée

Depuis des années, en été, l’Italie reçoit gratuitement 40.000 enfants en provenance de la Biélorussie et de l'Ukraine, afin de leur permettre de respirer au moins pendant un ou deux mois un air sans particules radioactives, les méfaits Tchernobyl étant toujours présents. Certains ont une famille, d’autres proviennent des orphelinats que la catastrophe a contribué à remplir. Vu qu’ils viennent chaque année, en général ils retournent dans la même famille, et on s’arrange même pour que frères et sœurs soient proches les uns des autres. Les liens affectifs se créant et se renforçant au cour des années, l'aide individuelle fournie à l'enfant s'étend souvent à sa famille quand il en a une, et quand il s'agit d'un orphelin, il n'est pas rare que la famille d'acceuil finisse par faire une demande d’adoption. Actuellement il y en a déjà plus de 600 en cours, et c’est là que le bât commence à blesser, car à la Biélorussie et à l'Ukraine, cette idée-là ne plaît pas beaucoup. En plus, cette année, pour la première fois, Maria, 10 ans, a manqué à l’appel le jour où elle devait monter dans l’avion qui devait la ramener à Minsk.

 

Alors l’Italie s’est de nouveau déchirée en deux (l’Italie adore les affaires à la Dreyfus), divisant homme politiques, médias, associations, psychologues, magistrats, clergé, et, bien entendu, les « mamme » (prononcer maaammé). Car la question est compliquée.

 

Le pacte entre la Biélorussie et l’Italie est simple : tous les enfants qui viennent en Italie doivent rentrer en Biélorussie à l’échéance de leurs séjours.

La famille d’accueil de Maria, les conjoints G., rendent publiques, récits et dessins à l’appui, les mauvais traitements et violences de toutes sortes qu'elle dit subir dans son orphelinat de la part du personnel et des plus grands. Sans enfant et fortement attachés à la petite qui les appelle déjà « Màmma » et « Papà » et pour laquelle ils ont déjà fait une demande d’adoption, les G. décident de ne pas la renvoyer en Biélorussie, soutenus par tous les habitants de leur village et le curé de la paroisse. Les deux grands-mères en puissance entrent dans la bataille et disparaissent avec l’enfant.

Aux yeux de la police et de la magistrature, il s’agit d’un détournement de mineur.

Les médias s’emparent de l’affaire (les médias biélorusses aussi) et la famille G., à travers eux, déclare et répète inlassablement qu’elle ne rendra jamais Maria.

On demande à sa petite copine d’écrire au Président de la République

L’ambassadeur biélorusse contient mal sa fureur, demande la restitution immédiate de Maria.

Les médias recherchent l’avis des hommes politiques qui évitent de se compromettre pour ne pas plonger dans l’incident diplomatique.

Les associations surenchérissent, accusant les conjoints G. de compromette l’avenir de 30.000 enfants, et même de véritable « trahison ».

La presse écrite commence à fustiger la famille G., pour son « instinct possessif ».

Les médias se délectent et passent en boucle le désespoir et les larmes des conjoints G.

On va chercher l’avis des psychologues. Ceux qui n’ont ni famille ni enfants sont les plus véhéments. Traumatisme par-ci, traumatisme par-là, ils sont dans leur élément, sans jamais aborder, comme d’habitude, l'ensemble des aspects de la question.

On met sur pied des débats aux cours desquels les grands mots volent.
Le temps passe, les deux grands-mères G. sont introuvables, la police piétine, le corps diplomatique biélorusse tempête et réitère ses menaces, les hommes politiques italiens s’occupent d’autre chose, éludant la question, et les langues continuent à aller bon train.

19 jours plus tard, la police retrouve Maria dans un couvent du Val d’Aoste, les frères ayant accepté de devenir complices du détournement de mineur.

Une des grands-mères G. se déclare fière de son geste et annonce que Maria a menacé de se suicider si on la renvoyait dans son orphelinat.

Maria est renvoyée en Biélorussie, dans une autre structure paraît-il, entourée de médecins et psychologues paraît-il, mais sans que la famille G. ait pu la revoir, l’ambassadeur biélorusse qualifiant haut et fort ce qu'il a appelle les « soi-disant violences » de pure invention dans le but de faire pression sur la procédure d'adoption.

 

 

Mise à part l'emphase à l’italienne, moi, dans cette affaire, je ne vois aucune possibilité d'arriver à une solution satisfaisante pour toutes les parties en cause.
Du côté de la Biélorussie, ce transfert temporaire en masse de ses enfants n’est acceptable que parce qu’il lui est impossible de bonifier son environnement, et à la seule condition qu’il n’y ait aucune défection dans les retours. Les requêtes d’adoption, par contre, sont probablement ressenties comme un affront, comme preuve d’une carence interne.  

Du côté de Maria, même si les enfants ne sont jamais à court d’imagination, la télévision aidant, j’ai tendance à croire à son récit, les ONG opérant dans l’Europe de l’est ne cessant de porter au grand jour ces histoires d’orphelinats sordides. Cependant, même si on exclut les violences et les mauvais traitements, faut-il faire semblant d'ignorer, comme l’a d’ailleurs fait remarquer un magistrat, la cruauté d'un système qui écartèle l’esprit des enfants entre deux mondes complètement différents : d’un côté, un monde enjolivé où tout semble doré, parfait, facile, où tous les espoirs sont permis, parce que pour eux, les familles d’accueil font plus qu’elles ne font pour leurs propres enfants, mais seulement un ou deux mois par an, et, de l’autre, un monde restrictif, pauvre et dur, même si pour certains avec une bonne dose d’affection, mais à la limite du besoin et dont la plupart d'entre eux n'a pas grand chose à attendre ?

Du côté des familles biélorusses (mais aussi ukrainiennes), suite à cette histoire, ne vont-elles pas tout à coup avoir peur de laisser partir leurs enfants au lieu de se réjouir de cette opportunité pour leur santé ?

Du coté de la famille G., même si l’instinct de possession n’est pas étranger à cette affaire, même si elle a dépassé avec trop de légèreté son rôle d'assistance familiale, peut-on vraiment lui reprocher de préférer la prison plutôt que de renvoyer Maria dans un enfer ? Certains ont suggéré l’envoi d’un groupe d’inspection depuis l’Italie. On sait comment se passent les inspections annoncées à l’avance, et quel pays accepterait que des membres d’un autre pays viennent inspecter le fonctionnement de ses propres institutions ?


Alors, fallait-il sacrifier Maria au mieux-être de 30.000 enfants ? Fallait-il sacrifier le mieux-être de 30.000 enfants à une évasion de l’enfer pour Maria ? Est-il judicieux de transplanter des enfants un ou deux mois par an dans un luxe apparent puis de les renvoyer à leur pauvreté habituelle ? Recevoir ces enfants dans des colonies, des collèges ou des communautés ne serait-il pas préférable ? Je crains qu’il n’y ait aucune réponse satisfaisante. Quel accueil Maria recevra-t-elle de retour en Biélorussie, quel sera son sort ? La laissera-t-on revenir l’année prochaine ?

 

J'ai bien peur que le manche de la cognée n’ait changé de mains ou que la situation ne se soit durcie. Avant c’était l’Italie qui proposait une aide à ses conditions. Désormais ce sera probablement la Biélorussie à dicter les siennes si les mères italiennes insistent pour revoir « leurs » enfants l’année prochaine. Ici, on parle de la mauvaise volonté et de l'ingratitude biélorusses et j'ai entendu une ministre s'exprimer dans ce sens, se demandant même s'il fallait donner suite à cette aide. Cette histoire est vraiment bien compliquée.
En attendant, Maria est retournée à sa condition et la famille G. a décidé de s’adresser à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, à Strasbourg.

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Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 1 Octobre 2006, 19:39 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
02-10-06 à 13:27

Dernières nouvelles

... Tout s'est dissous dans une situation idyllique. Au JT, on nous a montré la petite structure qui a reçu Maria à Minsk, « maison de l’enfant » rutilante pour une dizaine d'enfants du même âge, avec du personnel, un jardin et des jeux…. Les deux psychologues italiens qui ont suivi Maria ont même le droit de la voir une heure par jour. Elle s’est paraît-il déjà fait des copines. Le ministre de l’Education biélorusse a déclaré que la famille G. pourra faire sa demande d'adoption et que les enfants biélorusses retourneront en Italie l'année prochaine.


Il semblerait donc que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes…. D’autant plus que Maria a été réembarqué pour Minsk il y a seulement trois jours. Volte-face magistral et solution en temps record, .... mais à quel prix ? Allez, assez de mauvais esprit !
A ne pas perdre de vue cependant … Les enfants sont devenus de véritables armes de chantage.


 
gilda
02-10-06 à 23:40

Même si pour la petite Maria tout semble s'arranger (je me méfie des effets d'annonce), les questions que vous posez sont les bonnes et demeurent pour l'ensemble des enfants.

Pour mener, adulte une double vie (au moins) entre un job diurne et déconsidéré et un travail personnel (mais sans réel espoir qu'il me permette d'en vivre un jour), lequel a été causé par une rencontre miraculeuse et est à son tour source de rencontres et de moments passionnants. Je comprends très très bien ce que ces gosses peuvent ressentir avec des années ressemblant à deux mois de rêves et 10 de privations. Avec toute ma structure mentale adulte, j'ai un mal fou à ne pas me désintégrer dans ce grand écart permanent. Alors même si les petits ont une meilleure capacité de résilience, comment pourraient-ils y parvenir et ne pas, plus tard développer toutes sortes de troubles ou d'instabilité psychiques sans compter les conséquences éventuelles de leurs conditions de vie (puisqu'ils ont été et sont encore victime des conséquences de la forte radioactivité) ?


 
ImpasseSud
03-10-06 à 08:13

Re:

En fait le ton de mon commentaire était mi-dubitatif mi-ironique, mais cela n'apparaît peut-être pas très clairement. Je me demande comment la situation a pu se retourner aussi rapidement. Pour calmer l'opinion publique ? Quelles promesses, quelles menaces a-t-on "lâché" ? La structure dans laquelle on a mis Maria peut-elle être considérée comme l'emblème d'un désir de changement radical au niveau des orphelinats (en un weekend ?) ou bien s'agit-il d'une «vitrine» aménagée pour les circonstance sous inspection ? Quant à Maria, même si elle éprouve le sentiment d'avoir été trahie, abandonnée par tous ceux qui, en Italie, lui ont certainement promis qu'ils ne permettraient jamais qu'on la renvoie en Biélorussie, elle y a quand même gagné et il est fort probable que l'amélioration de sa condition ne s'arrêtera pas là. Vu que plus de 40.000 familles italiennes sont directement intéressées à l'affaire dont 600 qui attendent une adoption, son cas ne tombera pas dans l'oubli. Mais au niveau des autres orphelinats, du choix des enfants qu'on enverra en Italie l'année prochaine ?

Si on exclut les violences et mauvais traitements (catégoriquement niés par le directeur du précédent orphelinat, comme il fallait s'y attendre), inacceptables quelles que soient les conditions de vie ou circonstances, je crois que cette affaire devrait nous inciter à reprendre conscience que ce qui déséquilibre le plus les enfants, ce sont les tiraillements entre plusieurs personnes ou entre plusieurs milieux en forts contrastes entre eux, comme c'est le cas ici (mais ausi dans des tas d'autres circonstances). La richesse ou la pauvreté n'entrent pas beaucoup en ligne de compte. Contrairement à ce qu'on voudrait faire croire aujourd'hui, la vie idyllique qu'on nous dépeint partout et à tout bout de champ comme accessible n'existe pas. Il s'agit de la conséquence d'une des deux erreurs de l'Illuminisme, dirait Massimo Fini (écrivain italien. il faudra qu'un jour je me décide à publier ici le passage qui les met... en lumière). Bien au contraire, la vie n'est facile pour personne, chacun doit lutter à son niveau et par rapport à ce qu'il a (ton commentaire illustre parfaitement cette réalité), et, si on veut aller de l'avant, il faut se faire une raison d'un passé qui n'est jamais aussi rose qu'on l'aurait aimé. Bien sûr, il y a des réalités bien plus dures que d'autres, mais ce dont les enfants ont essentiellement besoin, à mon avis, c'est de grandir dans un milieu stable, avec des points de repères et des limites. Ensuite, quand ils arrivent à l'âge adulte, s'ils ne savent pas toujours ce qu'ils veulent de la vie, ils savent au moins ce qu'ils ne veulent pas, ce qui n'est pas si mal. Dans le cas contraire on en fait des maîtres chanteurs et d'éternels adolescents pleins de rancoeur, incapables de se contenter, de jouir ou même de conserver leur petite part de bonheur.


 
ImpasseSud
07-10-06 à 07:48

DES SOLUTIONS EXISTENT DEJA

Comme je le disais plus haut, trop de personnes sont concernées par cette histoire, il n'y a donc aucun risque qu'elle tombe dans les oubliettes.
Hier, j'ai suivi une émission où on avait invité une responsable d'une des dizaines d'associations qui s'occupent de l'accueil de ces enfants. Celle-ci est opère depuis 1993, a été reconnue d'utilité publique en 1993, a déjà placé, depuis ses débuts, plus d'un milliers d'enfants, mais son rôle ne se borne pas seulement à regrouper enfants et familles d'acceuil, ou à fournir une aide financières aux familles des enfant qu'elle reçoit en Italie, il va désormais au-delà. Elle a déjà "adopté" à distance 150 enfants trop malades ou handicapés pour qu'ils puissent faire le voyage et, pour les orphelins, ouvert trois petites structures d'un type familiale qui accueillent chacune huit enfants.

J'imagine sans peine que d'autres petites associations font la même chose. Le tableau me semble tout à coup plus limpide, l'avenir des enfants sans famille un peu moins sombre. Tous n'en profitent pas encore, mais la bonne volonté est dans l'air.

Mais de tout cela, les médias n'ont pas parlé, ils ont préféré, une fois de plus, déchirer l'opinion publique avec un cas singulier et sur des positions extrêmes !


 
ImpasseSud
31-10-06 à 18:40

EPILOGUES

D'après La Repubblica d'aujourd'hui, Maria ne reviendra pas en Italie. Tout d'abord, il faut savoir que Maria ne s'appelle pas Maria mais Vika. En somme, il semble que la famille d'accueil italienne avait voulu « recréer » cette enfant de fond en comble. D'autre part, Vika aurait un frère de 13 ans, déjà adopté par une famille biélorusse, et il paraît que c'est elle qui aurait demandé d'aller rejoindre son frère dans cette même famille, laquelle, en un premier temps, aurait dit qu'elle n'avait pas les moyens d'adopter deux enfants. En attendant, Vika a été confiée à cette famille, l'ambassadeur de Biélorussie en Italie disant qu'il est juste que frère et soeur se retrouvent.
C'est « sans commentaire » ... Quelle histoire lourde pour une petite fille!