Dans un de ses derniers articles dont je conseille vivement la lecture, Raskolnikov rapporte les propos que Jean-François Kahn a tenus au sujet de libéralisme et néolibéralisme, au cours de « Travaux Publics », une des émissions de France-Culture, dénonçant le danger de ce dernier et l’importance de le combattre. Ce qu'il a dit est intéressant, ses explications sont très claires, ses exemples illuminants, mais comment se fait-il qu'il ait oublié, ne serait-ce que pour un principe de rigueur, de démonter/dénoncer l’ambiguïté, je dirais même l’imposture, qui se cache sous le terme de « néolibéralisme », créé intentionnellement en conservant la racine évidente de « liberté », alors que le système que recouvre ce courant en est complètement dépourvu ?
Qu’il s’agisse d’une doctrine, d’une école ou d’un courant, les suffixes en « isme » ont toujours eu pour rôle d’indiquer une tendance, un idéal à atteindre, pour tous, et non pour quelques-uns. Le capitalisme, le communisme, le libéralisme sont des mots dépourvus de sens dès qu’ils atteignent un niveau d’obligation pour tous au profit de quelques-uns. On a alors le choix entre des termes comme « oligarchie », « dictature » ou « tyrannie », qui, bien entendu, ont une résonance bien moins agréable mais ont le mérite d’être plus proches de la vérité. Le problème, c'est que ces termes forts font peur. N’empêche que tous les ajouts relatifs à l’ultracapitalisme et à la servitude ont de grandes chances de rester sans échos sur une population vite rassurée par le « radical heureux » de liberté.
Ici, la question de vocabulaire n’est pas anodine. L'opinion de Jean-François Kahn ayant un certain poids sur l'opinion publique de par ses publications, c'est pour cela que je pense qu'il était essentiel qu'il dénonce/démonte l'usage abusif, mensonger, d'un terme tels que « néolibéralisme » pour désigner le courant oligarchique qui s'est instauré. Si lui-même continue à utiliser les mêmes termes que ses adversaires, la confusion restera dans les esprits et le concept d'urgence d'une opposition qu'il veut exprimer ne convaincra que ceux qui le sont déjà, sans égratigner la tranquillité des masses ni, a fortiori, mettre au pied du mur les détenteurs du pouvoir.
Je veux bien que les armes pour combattre ce courant ne soient pas forcément évidentes, mais la première, celle d'appeler un chat un chat, est impérative et à la portée de tous. Ici, on retrouve d'ailleurs le principal défaut de toute la gauche européenne, qui bien qu'ayant une grosse partie de l'opinion publique derrière elle suite à l’augmentation du chômage, à la réduction du pouvoir d'achat, au délabrement des services publics, continue à tergiverser, se diviser, émettre des théories, se taire ou même se comporter en complice (comme dans le cas du OUI au TCE), mangeant un peu à tous les râteliers sans jamais plus essayer de faire pencher la balance de façon décisive du côté des plus démunis ou des laissés-pour-compte.
Aujourd'hui les hommes politiques de gauche vivent trop confortablement. En Italie, le quotidien
Alors, désormais, les hommes de gauche parlent, parlent, parlent beaucoup, du matin au soir, ils se gargarisent. Ils participent à toutes les émissions de télé ou de radio avec des airs de censeurs, vous servant des concepts de gauche lessivés, faisant ainsi une faveur au pouvoir « oligarchique » en place à qui on ne pourra pas reprocher l’absence de liberté d’expression. Peu importe si la gravité de leurs propos est noyée dans un programme musical « pour apporter de la couleur et du goût à l'émission du jour » vu que ce qui compte c’est l’audimat et de vendre leurs écrits, car ce qu’ils disent ne les concerne pas. Ce n’est plus qu’une suite de mots, hérités d’un passé lointain ou d’une tradition familiale, de phrases-sentences tellement ressassées qu’ils n’en avertissent même plus les failles et l’aspect suranné, inadéquat.
Le drame, aujourd’hui, c’est que les seuls qui veulent réellement changer quelque chose à l’état de fait, c’est l’extrême droite. Et quand, pendant longtemps, on a rêvé d’une Union Européenne socialiste à la scandinave, il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. En attendant, les oligarques qui agissent sous le couvert du « néolibéralisme » n'ont pas trop à s'inquiéter, celui-ci a encore de beaux jours en perspective.
Mots-clefs : Union Européenne, Société, Médias, Défense de la langue française
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